Les usagers de la route nationale N°3 Conakry-Boké vivent un calvaire horrible et très dur à supporter. Pour l’automobiliste qui sort de Conakry par la route « Leprince » qui est d’ailleurs la plus empruntée pour aller à Dubréka, Boffa, Boké, Gaoual et Télimélé, son calvaire commence au rond-point dégradé de la T7 à Sonfonia. Il se poursuit par la partie pénible des trous béants de Sonfonia-rails, les ronds-points complètement défoncés depuis des années des T8, T9 à la Cimenterie et de la T10 à Bailobaya. C’est l’avant-goût du calvaire du voyage dans cette zone de la Guinée.

Il arrive ensuite à Kagbélen où, dès après le pont Paul Kagamé, il commence à affronter l’enfer de la Nationale N°3 qui mène, avec toutes les peines du monde, dans la régiondeBokéqualifiée  de « Poumon économique de la Guinée ». Rien qu’entre Kagbélen et le Km 5 à Dubréka, une distance d’à peine 10 km, l’automobiliste peut banalement faire trois à quatre heures, en train de dandiner et de basculer dans les trous béants remplis d’eau, sources d’interminables embouteillages et de fréquents accidents surtout en cette saison pluvieuse.

L’usager continue ensuite pour Boffa et Boké sur cette route étroite, défoncée avec beaucoup d’ouvrages de franchissement en dégradation très poussée.

La région de Boké est pourtant le « Poumon économique de la Guinée » qui renferme les deux tiers des réserves mondiales de bauxite. Ce sont les préfectures de cette région excepté Koundara et Télimélé qui contiennent l’essentiel des réserves de bauxite actuellement en exploitation dans le pays. Boké est qualifiée de « Poumon économique de la Guinée » à cause de la présence dans la région de près d’une trentaine de compagnies minières qui exploitent la bauxite et tirent des dizaines de milliards de dollars chaque année. Malheureusement, le récent constat du CNT révèle que plus de la moitié des recettes minières de l’Etat Guinéen est absorbée par notre fameuse EDG qui n’arrive pas, malgré tout, à donner du courant électrique aux Guinéens. L’exploitation de la bauxite dans cette région de la-Guinée a commencé en 1957 avec la compagnie Fria qui n’a jusqu’ici, après 67 ans de d’extraction et d’exportation de notre bauxite, marquées par la dégradation et la pollution de l’environnement, eu que très peu d’impacts sur la vie des pauvres citoyens de la région et du pays. L’usine d’alumine de Fria est devenue, à cause de la vieillesse de ses installations, un gros pollueur très difficile à supporter pour les populations de la zone. Cette exploitation de la bauxite dans la région de Boké s’est poursuivie avec la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) installée à  Sangaredi et à Kamsar au début des années 70.

Malgré la multiplication des compagnies minières dans Boké, Boffa, Gaoual et Télimélé,  même les villages riverains directs des cités industrielles manquent d’eau et d’électricité. Une revendication pour du courant électrique le 12 mai 2020 par les citoyens du village de Kamsar collé à la cité CBG s’était soldée par un mort, de nombreux blessés et des dégâts matériels considérables, suite aux affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre.  De telles manifestations sont très fréquentes dans la zone surtout à Kolaboui, ville située entre Kamsar et Boké. Le 16 mai 2023 par exemple, des manifestants contre le manque de courant électrique à Kolaboui avaient bloqué la circulation sur la nationale N°3 Conakry-Boké pendant presque toute une journée. En 2022 les femmes de Kolaboui avaient déménagé leurs cuisines pour installer les marmites de riz sur les voies ferrées miniers qui traversent la ville pendant des jours, tout cela, pour protester contre les pénuries de courant électrique.

A observer de près la vie des populations de la Basse–Guinée nord (Fria, Boffa, Boké, Télimélé) et Gaoual où évoluent près de 30 compagnies minières de bauxite, on se demanderait franchement où est l’impact de cette exploitation sur les habitants du « Poumon économique de la Guinée ». En 2023, la Guinée est passée, selon la Banque Mondiale, au stade de pays pauvre à celui de pays à revenu intermédiaire, grâce à sa performance dans la production de la bauxite en 2022. Un spécialiste des questions minières interrogé par Radio France internationale sur les avantages de cette performance a dit qu’elle n’a et ne profite qu’aux compagnies minières qui exploitent la bauxite du pays. Examinons quelques aspects de la vie des populations de cette zone :

Les infrastructures routières

.Pendant les 26 premières années de l’indépendance de la Guinée, les circonscriptions administratives de la Basse-Guinée nord (Dubréka, Boffa, Fria et Boké), ainsi que les localités de Gaoual et de Télimélé sont restées profondément enclavées avec des routes carrossables très difficiles à fréquenter surtout en saison pluvieuse. A cela, s’ajoutait le grand calvaire du bac sur le fleuve Fatala à Boffa. La présence dans la zone des deux premières compagnies bauxitiques de la Guinée à savoir RUSAL et CBG n’avait rien arrangé. Cette situation a été corrigée par le régime de feu Général Lansana Conté qui avait bitumé l’axe Conakry-Boké et qui avait fait construire le pont sur la Fatala.

A partir des années 2010, la multiplication vertigineuse des compagnies minières dans la zone avec de très gros porteurs et autres grosses machines sur la route, le bitume, initialement conçu pour des véhicules légers, a volé en éclat exposant les usagers à un grand calvaire suite aux trous béants causant d’énormes embouteillages.Ce calvaire commence juste après l’échangeur de Kagbélen. L’usager affronte à parti de là une route à chaussée très étroite profondément dégradée avec des trous béants.

 En plus de son étroitesse remarquable par rapport au flux de véhicules et autres engins lourds qui l’empruntent, le défoncement de la chaussée est très poussé à plusieurs endroits, certains ponts sont sur le point de céder. Parmi les cas les plus inquiétants, il y a le pont sur la rivière Tersè entre Dubréka et Khorira. Même si la construction d’un nouveau pont sur financement de la Coopération Japonaise sur le fleuve Soumba à Khorira et d’un pont unique sur le Konkouré dans Dubréka va un peu réduire le calvaire des usagers, cette route va continuer à fatiguer énormément les usagers. Sous le poids des gros porteurs qui y passent et repassent (camions chargés d’agrégats, gros porteurs et engins des dizaines de compagnies minières qui opèrent à Boffa, Boké, Télimélé et Gaoual),  la chaussée et les ponts sont en train de se dégrader de façon inquiétante, ils peuvent céder à tout moment à plusieurs endroits. La chaussée est étroite à tel point que la moindre panne d’un véhicule provoque souvent des bouchons interminables, pendant des heures, voire des jours. Une mission du Ministère des Infrastructures et des Travaux Publics qui partait récemment pour le lancement de la construction de la route Boké–Guinée-Bissau financés par la Banque islamique de Développement (BID) en sait quelque chose. D’ailleurs, la construction de cette route peut –elle servir à grand-chose quand les 300 km Conakry –Boké et les 180 km Gaoual-Boké sont impraticables ?

Pour parcourir les 180 km de Gaoual à Boké, une 4X4 performante peut banalement passer 9 ou 10 heures, à cause de l’état de cette route construite en terre dans les années 70. Quant à la préfecture de Télimélé, son enclavement est légendaire. Elle date depuis l’indépendance de la Guinée, il y a 66 ans.

Dans la ville de Boké, les rues non bitumées sont les plus nombreuses et sont très rocailleuses, boueuses ou poussiéreuses selon les saisons. La situation est pire dans les villes des autres préfectures de cette région minière la plus importante du pays. Les sous-préfectures et districts de la région, en dehors de Kamsar, Kolaboui et Sangarédi, sont chroniquement enclavés. Les mouvements des personnes et de leurs biens sont extrêmement difficiles, voire impossible dans la plupart des cas. L’accident du 18 février 2020 sur le très vétuste pont Kandiafara sur la route de Dabis avec un bilan de six morts, des blessés et des dégâts matériels considérables, illustre l’abandon  des routes de Boké, « Poumon économique » de la Guinée.

La situation d’enclavement que vivent les populations de la région  de Boké  est la même, sinon pire, dans les autres préfectures de cette région.

L’habitat

Dans les campagnes de la région de Boké, on trouve souvent des paillotes et des maisons en terre couvertes de vieilles tôles rouillées dans une zone en passe de devenir la première productrice de bauxite du monde.

Dans les villes comme Kolaboui, Boké, Sangarédi et Kamsar émergent de nouvelles constructions en dur avec des quartiers enclavés sans eau. L’exode rural créé et entretenu par l’exploitation des mines rend le logement extrêmement cher et difficile à trouver à Boké ville. Deux chambres et un salon peuvent facilement coûter 1 500 000 GNF par mois, dans cette ville où les hôtels aussi deviennent de plus en plus chers.

Dans la commune de Sangarédi, les habitants du village deHamdallaye ont été déguerpis du site qu’ils occupaient depuis plus de 400 ans, pour permettre à la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG) d’exploiter les mines découvertes sur les lieux. Ces habitants ont été contraints de tout abandonner : maisons d’habitation, infrastructures sociales, mosquées, terres agricoles fertiles et fertilisées, plantations fruitières, périmètres maraîchers, pâturages, sources d’eau potable, climat frais, etc. pour se faire recaser à plus de 3 km de là, sur un site latéritique à sol très pauvre, sec et chaud, impropre à l’agriculture qui constitue pourtant, la seule source de revenu pour ces pauvres paysans et paysannes. La CBG qui avait promis de les accompagner sur le nouveau site par la création d’activités génératrices de revenus et un appui financier pour les dépenses familiales pendant cinq ans n’a pas, selon eux, honoré ses engagements. L’appui financier qui était promis pour 5 ans n’a été apporté que pendant 6 mois. L’appui à la création d’activités génératrices de revenu entamé par la compagnie pour les populations a été très vite abandonné. Les pauvres femmes déguerpies sont aujourd’hui obligées de repartir tous les jours sur l’ancien site de leur village pour cueillir et vendre les fruits de ce qui reste encore de leurs arbres fruitiers pour vivre et faire vivre leurs familles. Elles y reviennent aussi malgré la distance, pour puiser de l’eau, se laver et laver le linge, etc. Les animaux domestiques (vaches, moutons, chèvres, etc.) du village refusent quant à eux, de quitter le lieu et y reviennent rapidement, chaque fois que leurs propriétaires les libèrent des enclos du nouveau village. Les villageois de Hamdallaye ressemblent aujourd’hui à des personnes qui ont été sorties du paradis pour être trainées par la force dans l’enfer.

Les services sociaux de base : Le courant électrique

Jusqu’en début 2023, les quartiers de la ville de Boké recevaient le courant électrique chaque jour de 19 heures à 7 heures du matin, avec de fréquentes coupures qui vous obligeaient à tenir une torche en main durant toute la nuit. Les citoyens qui travaillaient avec le courant électrique dans la ville, à défaut de disposer d’un groupe électrogène privé, étaient en chômage de 7 heures à 19 heures tous les jours. Cette situation vient de changer tout récemment, grâce à  l’interconnexion de Kaléta avec le barrage de Sambagalou au Sénégal.

La ville de Kolaboui continue à broyer du noir avec à la clef, d’éternelles manifestations contre le manque de courant électrique bloquant quelques fois le passage des trains qui transportent les minerais.

L’eau : les habitants de Boké qui ont les moyens se sont taillés des forages et la basse population se débrouille tant bien que mal avec la SEG qui donne l’eau à compte goûte, à de rares occasions, les marigots ou encore les forages des voisins nantis quand ceux-là sont généreux.

L’emploi : Sur 10 jeunes de Boké interrogés au moins 7 à 8 vous disent qu’ils sont des étudiants diplômés sans emploi. Certains sont sortis de l’Institut de Géo-mine de Boké et disent être victimes de discrimination dans le recrutement que font les compagnies minières qui privilégient souvent des personnes venues d’ailleurs au détriment des locaux. Bien des citoyens de la région se plaignent du manque d’emploi au moment où les compagnies minières sortent chaque année des milliards de dollars du sous- sol de la région. Pour créer de l’emploi dans la zone l’Etat devrait :

⦿Faire transformer sur place la bauxite en alumine et en aluminium, 

⦿Construire une autoroute de Conakry à Boké, pour faciliter le mouvement des personnes et de leurs biens ;

⦿Désenclaver la zone du côté de Télimélé, Gaoual, vers la Guinée Bissau, etc. pour faciliter le mouvement des personnes et de leurs biens,

⦿Construire et entretenir les pistes rurales menant dans les sous-préfectures pour permettre au tourisme, à l’agriculture, à la pêche et au commerce de se développer afin de générer des emplois capables de contribuer à l’’amélioration durable de la vie des populations.

L’environnement

Sous la pression des carrières des mines, de l’ouverture des routes sans bitume, des chemins de fer, des aires de parking et autres opérées par les compagnies minières, la nature verdoyante qui faisait jadis la beauté et la fierté de la région, est en train de disparaitre à une vitesse vertigineuse. Les lits des marigots, rivières et fleuves où les populations se ravitaillaient en eau sont continuellement comblés et pollués par les terres d’érosion et des produits chimiques venant des multiples carrières et des pistes jamais bitumées servant à transporter la bauxite venant des carrières avec de très gros camions. Dans certains endroits, même la nappe phréatique est affectée et fournit une eau toute rouge. Les terres agricoles massivement occupées par les multiples carrières se rétrécissent comme une peau de chagrin pour les paysans. La poussière venant des pistes non revêtues et non arrosées envahit régulièrement les quelques plantations restantes, les champs agricoles et la nature et empêchent toute pollinisation conduisant à la production de fruits ou de graines.

Le Secrétaire général de l’Union des Producteurs d’Anacardes de Boké a expliqué que le reste des plantations fruitières (anacardiers, manguiers, etc.) et autres champs agricoles non détruits par les carrières des mines et la construction des chemins de fer et des pistes, sont envahies dans toute la région, par d’épais nuages de poussière qui empêchent la pollinisation et la production des fruits et des graines.

La pollution et la dégradation de l’environnement avec à la clef les pénuries d’eau qui favorisent les maladies hydriques constituent de véritables menaces de santé pour les populations. Le changement climatique est très palpable, les températures qui variaient autrefois entre 30 et 35 degrés montent maintenant quelquefois jusqu’à 42°C, selon le service régional de la météo. L’exploitation minière y est pour beaucoup.

Pour consoler les populations victimes de tout ce qui précède, les compagnies minières dégagent des miettes qui servent à construire quelques piteux petits bâtiments servant de postes de santé, de marchés et d’écoles, inaugurées à grande pompe (avec un grand battage médiatique et politique), pour faire croire que les citoyens de la zone bénéficient de la retombée de l’exploitation des mines, alors que cette activité ne fait que faire disparaître leurs terres agricoles et polluer leur environnement sans leur apporter de revenus.

Les citoyens et les autorités de Boké disaient sous le régime d’Alpha Condé étaient forcés au silence forcé par le gouvernement face à la situation minière de la région. Toute revendication autour des mines était formellement interdite. Les compagnies minières qui traitaient directement avec les hauts lieux à Conakry étaient des intouchables dans la zone.

Quand on sait que les spécialistes de la paix s’accordent souvent à dire que celle-ci n’est pas le silence forcé, l’on est en droit de se demander de quoi demain sera fait dans ce « Poumon économique de notre pays » ? Quand on sait aussi que tous les spécialistes du développement conviennent que celui-ci passe absolument par la route, on se demande comment la Basse-Guinée nord va-t-elle se développer quand cette route nationale n°3 est si dégradée ?

Par El Hadj Ibrahima Diallo,

 Agent de développement