Contraint à la défense plutôt qu’à l’attaque, Donald Trump a affronté une Kamala Harris bien préparée, mardi à Philadelphie, lors du premier débat entre les deux candidats à la présidentielle. Poussé dans ses retranchements, le républicain est retombé dans ses travers, pour le plus grand bonheur des démocrates.
S’il y a bien un signe que les démocrates pensent avoir gagné le débat de ce mardi 10 septembre face à Donald Trump, c’est celui-ci : la campagne de Kamala Harris en redemande déjà un autre. La candidate a réussi, au fur et à mesure des 90 minutes qui l’ont opposée à son rival républicain sur la chaîne ABC News, à le pousser dans ses retranchements. Or un Donald Trump sur la défensive, agressif et prompt aux théories du complot, mensonges, approximations, c’est exactement ce que son camp tentait d’éviter.
Le début du duel a pourtant été cordial : Kamala Harris s’est avancée vers Donald Trump pour lui serrer la main, et les deux candidats, qui se rencontraient en personne pour la première fois, ont débattu sur leurs propositions économiques.
Après avoir annoncé son plan de crédits d’impôt pour les classes moyennes et les petites entreprises, la démocrate a prédit que la hausse des barrières tarifaires voulue par Donald Trump allait créer de l’inflation, tandis que ce dernier a accusé l’administration Biden-Harris d’avoir « détruit » l’économie américaine. Jusqu’ici, rien de bien nouveau.
Assez vite, cependant, la vice-présidente, qui a remplacé Joe Biden sur le ticket démocrate il y a seulement quelques semaines, a trouvé des angles d’attaque susceptibles d’agacer voire de faire dérailler Donald Trump. Sur l’immigration, elle a rappelé que l’ancien président avait fait échouer un texte de loi bipartisan – qu’elle soutenait – permettant de renforcer la sécurité à la frontière mexicaine. « Il préfère faire campagne sur un problème plutôt que de le régler », a-t-elle raillé.
Kamala Harris bien préparée
Et d’enchaîner en s’en prenant directement au caractère de son concurrent : « Je vous invite à participer à un meeting de Donald Trump. Il parle de personnages de fiction comme Hannibal Lecter (le cannibale du « Silence des Agneaux » a en effet été mentionné par le candidat lorsqu’il dénonçait une invasion de migrants à la frontière, NDLR). Il raconte que les éoliennes provoquent des cancers. Vous remarquerez également que les gens commencent à partir avant la fin car ils sont épuisés et ils s’ennuient. La seule chose dont vous ne l’entendrez pas parler, c’est de vous. »
Cette tirade, preuve parmi d’autres que la candidate avait bien préparé l’exercice, a bien eu l’effet escompté : c’est à partir de ce moment que Donald Trump, qui se maîtrisait jusqu’ici, a commencé à hausser le ton et à moins calibrer son message.
Kamala Harris n’a même pas eu besoin de rappeler, pour la moquer, la dernière théorie du complot trumpiste sur des immigrés haïtiens qui tueraient, pour les dévorer, les animaux de compagnie de la petite ville de Springfield, dans l’Ohio : Donald Trump l’a reprise à son compte tout seul. « À Springfield, ils mangent les chiens et les chats », a-t-il lancé très sérieusement, pendant que la démocrate pouffait de rire. Le journaliste d’ABC News David Muir a eu beau préciser que les autorités de la ville n’ont trouvé aucune preuve de ces accusations anti-migrants, Donald Trump a insisté : « Demandez aux gens qui ont témoigné à la télévision ! », sous le regard désolé de Kamala Harris.
« C’est pour ça que j’ai le soutien de 200 républicains qui ont travaillé avec George W. Bush, Mitt Romney et John McCain« , a continué la démocrate avant d’égrener les noms d’anciens collaborateurs haut placés de Donald Trump qui ont ensuite quitté le navire et ouvertement critiqué leur ancien patron. Là encore, l’attaque a fait mouche. « J’ai viré ces gens-là. Eux (Biden-Harris, NDLR), ils n’ont viré personne ! », a lancé Donald Trump.
La pire attaque, c’est la défense
Contraint à la défense plutôt qu’à l’attaque, le républicain s’est répété à plusieurs reprises, notamment sur l’immigration qu’il lie à une supposée hausse de la criminalité. « La criminalité est en baisse partout dans le monde sauf ici où elle a explosé », a-t-il accusé, se targuant d’avoir inventé la nouvelle expression « criminalité migratoire ». Là encore, le journaliste d’ABC News lui a rappelé les faits : selon le FBI, les crimes violents sont en baisse aux États-Unis. Pour Kamala Harris, l’occasion était trop belle : « C’est gonflé venant de quelqu’un qui a été mis en examen ! »
L’une des attaques les plus cinglantes est intervenue alors que les candidats étaient interrogés sur la présidentielle 2020 et le refus de Donald Trump de concéder sa défaite face à Joe Biden. « On ne peut pas se permettre d’avoir un président des États-Unis qui tente de contrecarrer la volonté des électeurs », a assuré Kamala Harris. « J’ai beaucoup voyagé et les leaders mondiaux se moquent de Donald Trump. J’ai parlé à des chefs militaires, certains ont travaillé pour vous, ils disent que vous êtes une honte. » La réponse du principal intéressé ? Citer Viktor Orban, le Premier ministre hongrois d’extrême droite, comme gage de soutien international de premier plan. Puis changer abruptement de sujet, affirmant que Joe Biden « déteste » Kamala Harris pour l’avoir remplacé sur le ticket démocrate.
Sur la politique internationale, Kamala Harris s’en est prise à la « faiblesse » de Donald Trump face aux régimes autoritaires. « Ces dictateurs vous soutiennent car ils savent qu’ils peuvent vous manipuler avec des flatteries et des cadeaux. » « C’est elle qui est faible », a rétorqué Donald Trump, faute d’argument plus solide. « Poutine lui a apporté son soutien la semaine dernière et je crois qu’il était sincère », a-t-il ajouté, faisant mine de ne pas être ironique.
Une occasion manquée
Vers la fin du débat, Donald Trump, visage fermé, a de plus en plus de mal à rester concentré. Alors qu’on lui parle d’Ukraine, lui s’égare et hausse le ton : « Où est notre président ? Ils l’ont jeté de la campagne comme un chien », a-t-il lâché, presque nostalgique. « Vous ne vous présentez pas contre Joe Biden mais contre moi », lui a répondu calmement Kamala Harris. Un peu plus tard, la même rengaine : « Elle est Joe Biden. Elle tente de s’en détacher mais elle est Joe Biden », insiste Donald Trump. Kamala Harris rétorque en riant : « Je ne suis pas Joe Biden et je ne suis certainement pas Donald Trump. Ce que je propose, c’est une nouvelle génération de leadership pour notre pays. (…) Tournons la page et avançons. »
C’est finalement lors de sa déclaration finale que Donald Trump a dégainé l’argument qui aurait pu lui permettre de prendre le dessus plus tôt. Alors que Kamala Harris venait de résumer son programme, le républicain a rétorqué : « Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait avant ? Ils (elle et Joe Biden, NDLR) ont eu trois ans et demi pour réparer les problèmes à la frontière, créer des emplois. » Le milliardaire a terminé sa démonstration en estimant une nouvelle fois que les États-Unis étaient la risée du monde, avec « le pire président et la pire vice-présidente de l’histoire ». Lui qui avait obtenu par tirage au sort le droit de conclure ce débat n’en a donc pas profité pour présenter sa propre vision. Ni pour serrer la main à Kamala Harris avant de quitter la scène.
Par France24