En Guinée, on sait que les mois de juillet et d’août sont très pluvieux. Ce sont des cordes qui tombent. On a, par moments, l’impression que Poséidon, fâché avec les hommes, sévit contre eux. La pluie tombe si intensément et si longuement que l’eau de ruissellement forme rapidement des torrents impétueux qui dévalent les crêtes sur lesquelles sont bâtis de nombreux quartiers de Conakry, emportant tout, y compris véhicules et leurs passagers. On a vécu les spectacles désolants durant des semaines. Quelles affres ! Comme nombre de Guinéens ont horreur de l’assurance, assimilant ce mécanisme de protection a de l’arnaque, beaucoup de sinistrés n’auront plus que leurs yeux pour pleurer ! Ils n’auraient pas eu besoin d’invoquer ni le Général ni Amadou Oury Bah, ni leurs ministres, pour d’éventuels subsides de réparation. La vie est cruelle !

A Conakry, on se tromperait lourdement en considérant que le dérèglement climatique (ou le réchauffement de la planète terre) tout seul explique notre peine. La catastrophe a une cause à la fois naturelle et anthropique. Si les précipitations sont dues au changement climatique, les inondations résultent de l’urbanisation sauvage ou du non aménagement de l’espace urbain. Dans le processus d’occupation de l’espace urbain, l’Etat est généralement en retard sur les citoyens. Que se passe-t-il concrètement ? Lorsque l’urbanisation atteint les zones rurales agricoles, l’Etat reconnaît aux propriétaires coutumiers le droit de procéder, avec l’aide d’un aménagiste (un géomètre), à l’aménagement de leurs domaines pour en revendre les lots et les parcelles. Les propriétaires coutumiers se substituent donc à l’Etat dans l’exercice de son rôle régalien de gestion du sol. Les multiples et graves conséquences de cette tare ne tardent pas à se manifester, au détriment de la société. Une masse critique de ces spéculateurs fonciers, indélicats, vendent à plusieurs acquéreurs les mêmes lots et parcelles. Et bonjour les conflits domaniaux, partout dans le Grand-Conakry.

L’appétence des vendeurs (pour l’argent) et des acheteurs (pour les parcelles) est telle que les transactions concernent même des zones classées non constructibles par les services du Ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat. Maintes constructions ont donc été réalisées en endroits inondables, en toute connaissance de cause et au nez et à la barbe de ceux que l’Etat paie pour éviter la commission de ce genre d’actes. Outre cette pratique incommode d’érection de sols agricoles en sols urbains, on note l’absence totale de toute opération massive et appropriée, publique ou privée, des zones concernées avant leur cession. On y réalise ni réseau viaire (voirie urbaine) ni réseaux divers (électrique, adduction d’eau, téléphone, assainissement par le tout à l’égout ou réseaux séparés d’eau, etc.).

A partir de 1984, on avait entrepris et vite abandonné la politique des parcelles assainies pratiquée avec succès dans les quartiers de Dakar, au Sénégal. Aussi note-t-on l’absence de politiques urbaines pendant longtemps, ce qui s’est reflété par le développement anarchique de la ville, avec l’expression que tout se fait sans règles d’urbanisme. Cette construction de Conakry dans un désordre apparent, évident, a développé en ses habitants la certitude que leur capacité de nuisance est sans limites et peut toucher tous et tout, voire l’Etat, ses démembrements et ses mandataires. Et nous voilà à peu près dans la jungle amazonienne. Sans loi, ni foi. Les pluies diluviennes ont trouvé là monts, vallons, talwegs et caniveaux propices aux inondations. Et il y a eu inondations.

Abraham Kayoko Doré