L’image du Colonel Claude Pivi, exténué, amaigri, débarquant péniblement d’un blindé des services de sécurité, est de nature à exhumer brutalement du subconscient du Guinéen lambda la série noire des fins de règne de nos hauts dignitaires. Des épreuves douloureuses ont jalonné l’histoire de la Guinée indépendante. Acquise dans l’euphorie, notre liberté a constamment inoculé aux élites dirigeantes le virus de la mort lente. Les divers systèmes qui se sont emparé du pouvoir n’ont guère hésité de broyer leurs serviteurs, tels Saturne et ses enfants. Avec un appétit particulier au sommet de la pyramide.
On brandira peut-être les obsèques de Sékou Touré pour objecter. Nul besoin d’être historien ou reporter dans la Guinée des années 1970 pour constater le lien entre l’extermination des cadres du Parti-État, le PDG, et « les brillantes funérailles » du Responsable Suprême le 30 mars 1984 au cimetière de Donka. En 2024, les Guinéens n’osent toujours pas revisiter les images des ardoises qui ont accompagné les éléments de la 5è colonne à leurs dernières demeures. Ceux-là mêmes qui « n’avaient ni père ni mère ni oncle ni tante. » Combien sont-ils à avoir disparu dans les geôles du système, au camp Boiro, à Kindia, à Kankan…afin que nul n’ignore la grandeur, l’invincibilité, la justesse du grand Syli ? A deux catégories de suppliciés, la chance de s’identifier sur une ardoise n’a pas souri. Les uns sont allés directement au bout de la corde; les autres, exécutés avant l’arrivée du photographe.
Après le PDG, l’Histoire a eu horreur de bousculer les habitudes. Elle s’est contentée de désinfecter la maison, ouvrir les pistes vers l’argent à tout prix et le monopole du pouvoir. Arrivent deux chefs, deux colonels, Diarra Traoré et Lansana Conté. A chacun son équipe, ses fidèles, ses ficelles, ses soupçons, ses certitudes, sa conviction d’être le meilleur. L’humiliation « suivait d’un pas grave, » pour parler comme le Pr. Tamsir Djibril Niane. Quand le premier Ministre Diarra et ses amis putschistes ont été présentés en petite tenue à l’écran, on a compris qui avait dégainé le premier. L’ancienne ardoise du bagnard est troquée contre le slip du PM. Qu’aurait choisi la victime pour sa toute dernière image de chef, si elle en avait la latitude ? Rien, certainement. Comme André Gide, dans des circonstances moins pathétiques.
Pourquoi changer de mœurs quand elles marchent ? Quasi dramatique, la réponse viendra du Capitaine Dadis Camara, le 3 décembre 2009 au camp…Makambo. Alpha Condé aurait dû rompre la chaine de violence et d’humiliation du chef. Que nenni !
Quoi que le 21 décembre 2010 le Grimpeur ait pris ses fonctions de « président démocratiquement élu » dans des conditions quasi respectables, il s’est ingénié à humilier ses deux prédécesseurs par les affres de l’exil. A son départ forcé du 5 septembre 2021, il subira la foutaise habituelle que nous réservons à nos dirigeants en fin de règne. Inoubliables l’image de sa chemise débraillée dans un coin du Palais Sékhoutouréya, « le bain de foule de Bambéto », la promenade de santé à la RTG, l’exil, même doré, de Dubaï et d’Istanbul. Pendant que Maquis Sale pique un poste de tous les prestiges à l’ONU, Alpha Condé perpétue notre héritage « de complot permanent.» Qui pour redresser la barre ?
Diallo Souleymane