Les 4 et 5 octobre, la Guinée a marqué son retour dans le concert des pays francophones du monde, après plus de trois années de suspension. Ce XIXᵉ sommet tenu à Villers-Cotterêts en France, a acté le retour tambour battant de la Guinée. Ce qui résulterait, d’une part, des turbulences géopolitiques de notre sous-région et d’autre part, de la diplomatie souterraine, de lobbying tous azimuts, du soft power du Chef de l’État, le général Mamadi Doumbouya et de son bouillant ministre des Affaires étrangères, Morissanda Kouyaté.
Cette réintégration saluée par une partie de Guinéens est une opportunité pour la Guinée de peser de tout son poids dans la balance des pays francophones et francophiles du monde. La particularité de l’OIF est qu’elle réunit en son sein des pays aux économies disparates : certains développés (Canada, France, Belgique, Luxembourg…) ; d’autres économiquement fragiles (RDC, Centrafrique, Guinée, Sénégal…).
Équilibre entre culture et économie
La Guinée poursuit donc sa politique d’ouverture, astucieusement, subtilement et avec succès, aux organisations qui la bannissaient jadis, après le coup d’Etat du 5 septembre 2021(Parlement de la CEDEAO, Francophonie…).
En inventant le concept « Francophonie », le géographe français, Onésime RECLUS, n’aurait nullement imaginé qu’il allait prendre des bifurcations géopolitiques disparates et assez marquées. Cette communauté de destins, fondée à la base autour ‘’du fait français dans le monde’’, a pris aujourd’hui un virage politique et culturel.
Pour rappel, la francophonie est un ensemble géopolitique actuellement de 54 États membres à part entière, 7 membres associés et 27 membres observateurs. Bien qu’elle soit née sur les cendres de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), elle devrait, pour survivre et résister, prendre en compte d’autres dimensions, à l’instar d’organisations similaires (Commonwealth, Ligue arabe, Lusophonie). Pour rayonner et assurer sa vitalité, le français doit devenir une langue utile d’un point de vue économique, en réactivant et dynamisant le réseau francophone des affaires. Sans pour autant sacrifier la culture au profit de l’économie, mais en les associant au travers d’un équilibre solide entre le culturel, l’économique et le politique.
De ce point de vue, la francophonie doit être repensée et réinventée dans son cœur de métier, en lui assignant clairement une mission économique, basée sur la coopération et la solidarité, tout en soldant le compte de l’héritage lourd et condescendant de l’ancien système colonial.
Poids démographique et économique
Cela passe indubitablement par la constitution d’un espace d’échanges économiques intensifié, l’impulsion politique et économique des États membres. C’est justement à ce titre que Xavier de VILLEPIN affirmait que « la Francophonie sera réellement ce que sera son économie ».
Cet espace économique projeté devrait être une composante de l’économie mondiale tout en affichant ses caractéristiques particulières. Il aura également vocation à traverser les espaces régionaux et continentaux afin d’influer sur les négociations et des accords économiques et financiers à la hauteur de son poids démographique et économique.
Pour beaucoup d’observateurs, la Francophonie reste plus attachée à une culture qu’à une économie. Or, elle représente 17% de la population mondiale, 20 % du commerce international de marchandises, 16 % du PIB mondial et 14 % des réserves de ressources minières et énergétiques de la planète. Par voie de conséquence, l’institution francophone doit pleinement occuper la place qui lui revient de droit dans le concert des nations.
La dimension économique n’a jamais été occultée du projet francophone en dépit des apparences. En effet, la Francophonie a été aux avants postes du combat pour le développement solidaire, l’éducation et la santé et plus récemment la défense des biens publics mondiaux dont les francophones ont contribué à forger le concept.
Espace économique viable
La déclaration de Monaco en avril 1999, qui réunissait les ministres de l’Économie et des finances des Etats francophones à l’échelle mondiale, avait définitivement balisé le chemin pour la constitution d’un espace économique viable, posé les jalons d’un espace de coopération économique francophone.
Pour sa montée en puissance, cet espace doit mettre en œuvre :
- Une coopération économique spécifique, centrée sur le développement d’un espace de coopération économique adapté ;
- S’enrichir de sa diversité, notamment sur le plan des niveaux de développement économique de ses membres qui appartiennent à différents ensembles régionaux de coopération, tout en promouvant son unité dans la complémentarité ;
- La promotion d’un modèle de développement qui ne dissocie pas l’économique du social, tout en considérant le secteur privé comme principal moteur du développement économique ;
- L’instauration d’un cadre de coopération privilégiant l’économie et la solidarité réelle en vue d’aider ceux de ses membres en développement à se doter de moyens et à créer les conditions favorables à leur développement.
La Francophonie, forte de ses traditions et de ses valeurs partagées, forte aussi de sa représentativité à l’échelle mondiale, a un rôle important à jouer dans la promotion de la prospérité parmi ses membres.
La complémentarité plutôt que la concurrence
La mondialisation, nous le savons, représente un défi pour plusieurs membres de la Francophonie, dans la mesure où l’augmentation des échanges commerciaux et des investissements, favorisée par les nouvelles technologies ainsi que par la mise en œuvre de politiques de libéralisation, est un moteur de croissance. Cependant, tous les pays n’ont pas bénéficié équitablement des effets positifs de cette globalisation de l’activité économique. Et face au risque de marginalisation de certains d’entre eux, il est important de veiller à mieux en maîtriser le processus et de chercher à en réduire les effets négatifs par une solidarité agissante et appuyée.
Cela passe par le renforcement de l’aide publique au développement, du transfert de technologies et des propositions visant l’allégement du fardeau de la dette des membres les plus vulnérables. La Francophonie économique doit se donner alors comme priorité l’édification d’une Francophonie humaniste qui assouplie les effets pervers de la mondialisation par le biais d’une coopération et d’échanges préférentiels entre pays francophones.
Avec environ 321 millions de locuteurs du français en 2022 et des projections de plus de 700 millions d’ici 2050, la communauté doit se consolider par le biais du développement des liens entre pays membres, afin d’établir une diplomatie et des marchés communs qui lui permettent de devenir un véritable pôle d’influence. Ce qui passe immanquablement par l’union des forces de chaque pays membre dans les domaines où il disposerait des avantages comparatifs évidents et ce, dans une approche de complémentarité et non de concurrence. Pour justement matérialiser cet espace économique, la Francophonie pourrait s’appuyer sur des organismes tels que le Forum francophone des affaires (FFA), l’Institut de la Francophonie pour l’entreprenariat (IFE) et bien d’autres instruments.
De ce qui précède, la réintégration de la Guinée dans l’espace francophone peut s’avérer utile à maints égards, pourvu que nos décideurs actionnent les bons leviers permettant d’accéder à de nouveaux marchés et à des opportunités d’investissement dans le cadre d’une coopération économique renforcée. Toute chose qui améliorait la qualité de vie de nos concitoyens.
Abdoulaye GUIRASSY, économiste et politologue
Président du Cercle de Réflexion et d’Analyse de la conjoncture Économique (CRACE)
Membre correspondant de l’Académie des Sciences de Guinée
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