Le ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation a prononcé des décisions de dissolution, de suspension et d’avertissement contre les partis politiques, en invoquant le régime juridique en la matière. Mais que dit réellement la Loi organique L/91/002/CTRN du 23 décembre 1991 portant Charte des partis politiques ?
À en croire le ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation, le général à la retraitre Ibrahima Kalil Condé, c’est pour « l’ancrage démocratique » de la Guinée et « assainir l’échiquier politique » que son département a évalué les partis politiques guinéens. Histoire de « garantir que chaque formation politique se conforme pleinement aux dispositions de la Charte des partis politiques, tout en contribuant à la stabilité de l’Etat, à la cohésion sociale, à la paix et au renforcement de la culture démocratique », a-t-il ajouté.
Dans son rapport publié le 31 octobre, résultant de l’évaluation du 17 juin au 30 septembre de 211 partis répertoriés à travers le pays, le MATD a relevé plusieurs griefs. L’article 5 de la Loi organique L/91/002/CTRN du 23 décembre 1991 portant Charte des partis politiques, dispose: « Aucun parti politique ne peut, dans ses statuts ou dans ses actions pratiques, s’identifier à une région, à une ethnie, à un groupe linguistique, à une corporation ou à une confession religieuse. » L’article 8 précise : « Le parti politique est créé par des membres fondateurs originaires des quatre Régions naturelles du pays. »
De la suspension et de la dissolution d’un parti
C’est le titre VI relatif aux dispositions finales qui traite de la suspension et, éventuellement, de la dissolution d’une formation politique. Le rapport d’évaluation n’a visé aucun autre texte de loi, hormis la Charte des partis politiques et les dispositions constitutionnelles de la Loi fondamentale du 23 décembre 1990 ayant prévalu à son adoption, ainsi que les statuts et règlement intérieur des partis politiques.
L’article 28 de ladite Charte dispose que c’est bel et bien le ministre chargé de l’Intérieur (MATD) qui est compétent pour suspendre les activité et les droits d’un parti politique. Et cela intervient en cas de non respect de l’article 17, lequel dispose qu’à compter de la date d’autorisation d’exercice d’un parti, « toute modification dans les statuts, tout changement de membre dans l’organe de direction doit faire l’objet de déclaration au Ministère chargé de l’Intérieur dans le délai de deux mois à compter de la date du changement ou de la modification.Toute modification non conforme aux Lois et Règlements est refusée. »
Un parti politique pourraît subir la même sanction également en cas de manquement à l’article 21. Disposition qui astreint les partis politiques à: avoir en République de Guinée un compte bancaire au moins ; faire établir une comptabilité annuelle de leur gestion ; procéder à l’inventaire annuel de leurs biens, meubles et immeubles. « Les documents comptables des partis politiques peuvent à tout moment être demandés par le Ministre chargé de l’intérieur, pour contrôle. »
Outre la mesure de suspension, poursuit toujours l’article 21, « Le parti qui ne dispose pas de documents comptables fiables et conformes à la Réglementation perd le droit de bénéficier des aides financières éventuelles octroyées par l’Etat, sans préjudice des sanctions prévues par d’autres textes. »
Toute formation politique suspendue doit, dans un délai de trois mois qui suit la décision de suspension, se mettre en règle. Faute de quoi, elleest dissoute. « La décision de dissolution peut être attaquée devant la Cour Suprême dans les conditions définies à l’article 30 », conclut l’article 28.
Des arguments sans fondement juridique ?
L’article suivant de la Charte des partis politiques énumère une longue liste d’autres raisons pouvant conduire à une dissolution:
1 – Application d’une modification statutaire refusée par le Ministre chargé de l’Intérieur ;
2 – Réception, directement ou indirectement, de subsides de personnes publiques ou privées étrangères en violation des dispositions de l’article 24 ;
3 – Méconnaissance grave, en raison de ses activités ou de ses prises de position publiques, des obligations et interdictions prévues dans la Loi Fondamentale et les Lois et Règlements en vigueur, notamment le respect :
– De caractères laïc, républicain et démocratique de l’Etat ;
– De l’indépendance nationale, de l’intégrité du Territoire de l’Etat ; – De l’ordre public et des libertés publiques ;
– De l’interdiction des pratiques et propos régionalistes, ethnocentristes, religieux, discriminatoires et séditieux.
A la lumière de l’évaluation, sur les 211 partis politiques répertoriés en Guinée, 53 ont été déclarés dissous, 54 suspendus, 67 mis sous observation et 37 non évalués.
A propos de la dissolution, le rapport avance comme raison : « Ces partis politiques, depuis leur création, n’ont pas participé à une élection, ne possèdent pas de responsables, ne détiennent aucune adresse électronique ni physique ».
Il est reproché des partis suspendus pas moins de sept péchés : agrément non valide (cela concerne 47 % des partis évalués); non fourniture de la liste des membres de l’organe de direction ; existence d’un conflit interne en cours entre les membres de l’organe de direction… Sauf que le rapport ne précise pas la base légale de ce dernier grief. Ce qui amène certains observateurs à en conclure à une création sur mesure visant l’UFDG. Ce dernier est en conflit avec le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, qui lorgne la tête du parti dirigé par Cellou Dalein Diallo.
Silence sur les obligations de l’État envers les partis
L’UFDG et la plupart des partis qui comptent sur l’échiquier politique guinéen, à l’instar du RPG ou de l’UFR, sont placés sous observation pendant trois mois. Entre autres manquements, la non tenue du congrès du parti politique dans les délais, conformément aux statuts et règlement intérieur; non fourniture ou fourniture partielle des relevés bancaires sur les 3 dernières années; fourniture partielle des états de comptabilité annuelle sur les 3 dernières années; absence de preuves justificatives de paiement des cotisations des membres sur les années 2021, 2022 et 2023 ; non déclaration des dons et legs reçus du parti politique, avec les montants et les donateurs sur les années 2021, 2022 et 2023.
Mais les partis politiques n’ont pas que des obligations. L’article 20 reconnaît à ceux d’entre eux qui sont « régulièrement autorisés » des droits et prérogatives. Ce sont, entre autres, d’organiser des réunions et manifestations dans le cadre des lois et règlements ; accéder aux antennes de la radiodiffusion et de la télévision étatiques dans le respect de la stricte égalité entre les partis, notamment pour la diffusion de leur communiqués de presse et de leurs interventions dans les débats parlementaires et leur participation à des émissions à caractère politique, sous forme de débats ou de tables rondes…
L’article 22 précise que les ressources des partis politiques résultent (outre des cotisations des membres ; des dons et legs ; des revenus de leurs activités) des subventions et aides éventuelles de l’Etat octroyées dans les conditions fixées par la Loi. Et à ce titre, l’article 24 est formel : « Le montant de l’ensemble des dons et legs en provenance de personnes de nationalité guinéenne, ne peut dépasser 20 % du montant total des ressources propres du parti, constituées des cotisations des membres, des revenus tirés des activités et des aides éventuelles de l’État. Les dons et legs provenant de personnes publiques ou privées étrangères sont interdits et frappés de nullité ».
L’article 25 insiste : « Les partis légalement constitués peuvent recevoir une aide financière de l’Etat. Le montant des crédits destinés à ces aides est inscrit dans la Loi de Finances de l’année.
Ces crédits sont affectés aux partis proportionnellement au nombre de Députés inscrits dans chaque parti. La liste des Députés inscrits par parti est fournie par le Bureau de l’Assemblée Nationale. Chaque attribution d’aide financière, le nombre de Députés inscrits par parti est revu par le Bureau de l’Assemble Nationale. »
S’il est évident que les partis politiques guinéens sont défaillants à maints égards, force est de constater que l’État, également, n’est pas réglo sur toute la ligne. Et l’une des obligations régaliennes qui lui incombent est d’organiser des élections libres et transparentes à bonne date. Ceci est un autre moyen sûr pour jauger de la vitalité des formations politiques et de la démocratie du pays, si chère aux autorités de la transition.
Diawo Labboyah Barry