En 2000, germe dans les méninges du richissime homme d’affaires soudanais, Mo Ibrahim, la généreuse et géniale idée : créer un prix éponyme pour récompenser celui ou celle de nos Kountiguis qui se sera illustré, au cours de l’année, dans la qualité de sa gouvernance. Le Prix Mo Ibrahim lourd d’une petite et coquette manne, ne sera soulevé par personne en cette année 2024. Ni tête couronnée ni tête assermentée pour le caresser et se l’approprier. La décennie 2014-2024 n’est pas du tout d’une gouvernance vertueuse. Loin s’en faut. Recroquevillés dans des fauteuils roulants, Bouteflika et Ali Bongo, au lieu d’aspirer à un repos réparateur, grenouillent pour demeurer au pouvoir ad vitam aeternam, en organisant des élections frauduleuses. Les scrutins, sous les tropiques sont de vastes mascarades, ceux qui les organisent en sortent presque gagnants.
Au cours de la décennie, le rapport note une dégradation et un net recul de l’Etat de droit, un des deux piliers de la bonne gouvernance. La situation sécuritaire n’est pas non plus reluisante. La quasi-totalité des Etats du Sahel, le géant Nigéria, malade de Boko Haram, la RDC, ne démentent pas les auteurs du Rapport. La guerre sévit un peu partout aux dépens de la quiétude et du bien-être des peuples de ces coins. Ces faits gravissimes préjudiciables à la bonne gouvernance ont dissuadé le jury du Prix Mo Ibrahim de l’attribuer à un chef d’Etat africain, monarque ou président.
L’étiolement de la gouvernance vertueuse n’est sans doute pas étranger à la réapparition des coups d’Etat comme alternative à l’alternance démocratique, ces dernières années dans un certain nombre d’Etats du Sahel. C’est pour cela que celui du Niger paraît illogique et paraît répondre simplement par l’appétence de ses instigateurs.
Lorsqu’on parle de coup d’Etat, ne lorgnez pas que du côté de la grande muette. Il y a bien des instigateurs de coup d’Etat à col blanc. Les Guinéens en connaissent un qui n’a eu ni le temps ni la quiétude de jouir de son « 1er mandat de la 4ème République », avant d’aller hiberner du côté du Bosphore. Maquis Sall s’y est essayé, mais s’est heurté à la ténacité et à l’ambition de deux jeunots, véritablement têtes de Turc.
Selon le rapport Mo Ibrahim, les perspectives de la gouvernance sont sombres et chargées de menaces dans le monde en perpétuelle mutation et donc instable. Au nord, le Royaume chérifien veut, vaille que vaille, caporaliser les Sahraouis qui, têtus comme l’âne, résistent avec le soutien des Algériens toujours imbibés de l’encens mythique de leur guerre contre les colons gaulois. Dans la Corne de l’Afrique, deux généraux copains et coquins, se chamaillent à présent à coups de bombes et de missiles pour spolier les Soudans de leurs ressources naturelles.
Un peu plus au sud, dans la région des Grands Lacs, le petit Rwanda joue les maraudeurs en RDC à l’ombre du M23. En Afrique de l’ouest, le gigantesque Nigeria, Boko-Haram et Tiani, lui font un magistral pied de nez. Le Burkina Faso ne voit que des voisins comploteurs. Quand la théorie complotiste et la paranoïa nous tiennent !
Les Etats africains, en grande majorité, sont encore à la croisée des chemins, en matière de gouvernance vertueuse. Il y a un net décalage entre les nations actées dans les Constitutions et la perception du pouvoir par les élites politico-intellectuelles et les populations. Le concept de chef (Almamy, Kountigui, etc.) ne couvre pas celle de Président de la République. A espérer que le généreux Mo Ibrahim ne se décourage de la persistance du handicap, de développement socioéconomique en Afrique. Cette réflexion afin qu’il la fasse sienne : «Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour espérer.»
Abraham Kayoko Doré