La musique guinéenne à l’épreuve de la modernité (2/4) Mamady Keita Djembéföla (le joueur de tam-tam en malinké) est décédé en juin 2021 à Bruxelles. Ce talentueux génie de percussion a laissé un héritage à la Guinée et au monde un héritage culturel incommensurable, à préserver et à valoriser.

« Mon destin a été révélé à ma mère bien avant ma naissance », confiait en février 2008 au journal Le Démocrate Mamady Keïta. Un destin de joueur et d’enseignant de tamtam prédit par les devins (chasseurs) du Mandingue. L’ambassadeur du djembé, l’autodidacte, naquit en août 1950 à Mandiana (Haute-Guinée), embrassa sa passion à l’âge de 5 ans.

Mamady Keita Djembéföla

Le Ballet fédéral de Siguiri le recruta alors qu’il n’avait que 12 ans tout au plus. Deux après, le voilà qui participe à la première quinzaine artistique, ce Festival sous la Révolution qui réunissait toutes les troupes du pays à Conakry, pour compétir. A l’occasion, Djembéföla est repéré par Sékou Touré et le célèbre Henri Belafonte. Cet Américain, défenseur de la culture afro, a été de beaucoup dans l’ascension de l’autre icône sud-africaine, Myriam Makeba. Parmi les centaines d’artistes venus de partout, Mamady Keita « Nankama » (le Sorcier) fait partie des 45 autres artistes retenus pour former le Ballet national Djoliba à sa création en 1964, en tant qu’artiste soliste.

Djembéföla à la conquête du monde

Dès l’année suivante, le Ballet national Djoliba entame des tournées en Afrique et dans le monde. En 1967, il participe au Festival international de folklore Agrigento en Sicile (Italie). Mamady Keita s’adjuge la médaille d’or du meilleur ballet et celle du meilleur joueur de tamtam.

En 1968, Djembéföla est promu Directeur technique du Ballet national Djoliba et ce jusqu’en 1986. En 1969, il participe à la première édition du festival panafricain d’Alger. Ses voyages culturels le conduiront aux quatre coins du monde : Chine, Russie, Yougoslavie, l’ex-République Démocratique d’Allemagne, Roumanie, Pologne et ailleurs en Europe de l’Est et de l’Ouest.

En 1986, il rencontre Souleymane Koly, alors directeur de la célèbre troupe Kotéba d’Abidjan et peu après signe son premier contrat. En mai 1988, il s’installe à Bruxelles et y fonde la célèbre École Tamtam Manding. Il duplique l’initiative, laquelle totalisait, en 2008, au moins 13 écoles dans le monde : 2 en France ; autant au Japon ; une au Portugal, en Israël et en Allemagne ; six aux USA et la 14ème à Matoto, en Guinée.

La diplomatie du djembé

De son génie, Mamady Kéîta codifie le langage du tamtam en 60 rythmes consignés dans un livre que les Occidentaux appellent La Bible du Djembé. L’idée de créer des écoles d’apprentissage de cet instrument de musique guinéen est venue du constat de Mamdy Keita qu’il est l’un des instruments les plus populaires au monde, joué par des millions de personnes. Extrait de son entretien avec Le Démocrate : « Chacun joue le tamtam à sa façon, développe sa philosophie, fait son imagination… Il y a le djembé commerce, loisir, traditionnel. Je me suis demandé et si je créais carrément une école où on apprendra le djembé de A à Z, exactement comme il se passe dans une école de conservatoire, une école académique de musique ? J’ai pris la décision de créer une école pour expliquer ce que c’est qu’un djembé, ce qu’il représente, son rôle dans la société, pourquoi il a été créé, qui l’a créé, qui était Djembéfôla avant et qui est Djembéfola aujourd’hui […] On ne joue pas pour jouer. On joue selon les circonstances, les événements. »

Dans les écoles de Mamady Keita, l’enseignement du djembé et de sa raison d’être commence avant tout par la connaissance de la Guinée et des Guinéens Ainsi, dès leur première année, les élèves apprennent la géographie du pays, son peuplement « où vivent les Forestiers, les Peulhs, les Soussous, les Malinkés, les Téminés, les Mandenyis, les Balentés, les Toucouleurs, les Bassaris, les Koniaguis, les Nalous, les Bagas… On voyage dans le pays à travers les rythmes et l’histoire. » La diplomatie du djembé.

Un héritage menacé

Mamady Keita laisse à la postérité une riche discographie, au rythme du tamtam mais également Une vie pour le Djembé : rythmes traditionnels des Malinkés. Autrement dénommé La Bible du Djembé, l’ouvrage recense environ 60 rythmes.

Mais en Guinée, le constat est alarmant. La seule école, « Tam-tam academy », qu’il a laissée se trouve dans l’un de ses deux domiciles, à Matoto-Fassa, secteur 4. Mohamed Toumany Keita se présente comme son fils et « fidèle héritier » parmi une fratrie de cinq. Né en 1985, c’est le seul qui vit en Guinée.

En véritable fils de son père, Mohamed est surnommé Gninè (Sorcier en soussou). A Matoto, nombre d’artistes (griots surtout) font appel à ses services lors des cérémonies de réjouissance. Toumany Keita, que nous avons rencontré le 3 décembre, est loin d’avoir l’aura de son père. Il rend hommage aux « grands maîtres du djembé », regrette la disparition de son père et de n’avoir pas été invité à la première édition du FID-Guinée : « Le ministère de la Culture ne devait pas nous laisser de côté, nous les enfants de Mamady Keita. Mais depuis qu’il est mort en 2021, on ne voit plus personne… Pourtant, Mamady Keita a beaucoup fait pour la Guinée. Je demande au gouvernement de rendre hommage à notre papa. Une simple invitation aurait suffi à m’emmener jouer comme lui lors de ce Festival, mais personne n’est venu nous voir. »

Mohamed Toumany Keita

Pour un FID plus inclusif

Aboubacar Fatou Abou Camara, Officier de l’Ordre national de la culture guinéenne, Directeur artistique de l’Ensemble national des percussions de Guinée, du Ballet Bassikolo de Kaloum, a été membre des Ballets Africains, du Ballet Djoliba, de l’Ensemble instrumental, du Bembéya Jazz national… surtout un ami de Djembéföla. « Mamady Keita a été célèbre au sein du Ballet Djoliba, il était notre premier soliste. J’étais polyvalent : je dansais, je jouais le djembé. Mamady était calme, gentil, ouvert. Tout ce qu’il faisait c’était pour renforcer le Ballet national Djoliba. En 1969, il a eu un satisfécit et une médaille, parce qu’il était le meilleur parmi les meilleurs dont Famoudou Konaté, feus Fadouba Oularé, Bakary Mara…qui étaient nos aînés. Mais Mamady était hors classe dans sa génération. »

Aboubacar FatouAbou Camara

Aboubacar Fatou Abou doute du talent de l’héritier de son ami. « Dire qu’il peut remplacer son père Mamady, c’est très facile. J’ignore le talent de ses enfants vivant en Occident, mais ceux qui sont en Guinée ne peuvent même pas atteindre sa cheville ».

L’héritage de Djembéföla est plus en Occident qu’en Guinée, où « il n’avait pas de groupes personnels, excepté ceux qui partaient chez lui lors de ses séjours à Conakry », déplore le Directeur artistique de l’Ensemble national des percussions de Guinée. Plusieurs fois distingué, Mamady Keita a aussi rapporté « jusqu’à 55 % » des distinctions du Ballet Djoliba. « Quand la partie solo arrivait, il mettait le paquet, se donnait à fond », se souvient Camara.

Ce dernier est également amer contre les organisateurs de la première édition du Festival international du djembé : « On ne peut pas jouer la musique sans la danse. Mais aujourd’hui, aucun Ensemble national n’est invité au FID. Aucun n’a une participation ni pour la danse ni pour la chanson, ni pour les rythmes. Or, le festival a besoin d’un contenu riche et varié. » Reconnaître et promouvoir les acteurs culturels, n’est-ce pas l’idée qui sous-tend l’organisation du FID ?

Mamadou Siré Diallo