Dimanche 1er décembre 2024, une tragédie a meurtri la ville de Nzérékoré. La finale du tournoi de football doté du trophée Mamadi Doumbouya, disputée entre le chef-lieu de la Guinée-Forestière et Labé, s’est achevée non pas en apothéose, mais par un spectacle cauchemardesque. Un penalty sifflé contre les visiteurs a provoqué l’ire d’une partie des spectateurs qui s’est traduite par des jets de pierres auxquels les forces de maintien d’ordre ont riposté par des jets de gaz lacrymogène. C’est l’habituelle bagarre entre forces de l’ordre et les jeunes particulièrement nombreux dans le stade dont l’accès était exceptionnellement gratuit. C’est alors la débandade, le sauve-qui-peut. La bousculade est inévitable dans un stade qui n’a qu’un portail. Les plus vulnérables, (adolescents, femmes, filles) sont bousculés, jetés à terre et tout bonnement écrabouillés.

En fuyant dans leurs véhicules, les automobilistes désemparés et apeurés ont renversé et écrasé des spectateurs qui s’enfuyaient du stade. Le spectacle est apocalyptique ! Les autorités ont annoncé 56 morts et de nombreux blessés plus ou moins graves. Selon des sources informelles, le bilan serait un peu plus lourd. Hélas !

Ces trente dernières années, la violence a envahi l’espace politique et social de la paisible et verdoyante cité de Goïkwéya Zogbélémou semble ne plus la quitter. De la période coloniale aux premières élections communales pluralistes, inclusives et équitables en passant par la Révolution, la seule violence dont on se souvient là-bas est celle exercée par le Parti-Etat et ses dirigeants suprêmes et subalternes. Le scrutin communal de 1991 mené exclusivement par des listes indépendantes, sans la participation d’aucun parti politique, a connu à Nzérékoré, une campagne électorale haineuse où les partisans d’un candidat ont copieusement, méchamment moqué ceux de son adversaire, entraînant une atmosphère délétère et finalement tragique. Une violence inédite a entraîné des dizaines de morts d’hommes. Les larges entailles opérées ne pouvaient se fermer que lentement et difficilement par des points de sutures solides. Malheureusement, on se rend rapidement compte que cette tragédie était le début d’une spirale avec des phases aussi douloureuses les unes que les autres.

Tous les scrutins sont émaillés d’incidents plus ou moins graves. Les joutes oratoires se transforment en pugilats dévastateurs, mortifères. Les périodes électorales sont craintes, redoutées et angoissantes. Outre les violences de nature politique, des drames de souche socio-économique déchirent régulièrement la commune urbaine, voire certaines communes rurales. On n’a pas encore oublié les tragédies de Zogota et de Womey qui avaient fait des dizaines de morts. A Zogota, les forces de l’ordre étaient intervenues nuitamment pour exercer des représailles contre une partie de la population accusée d’avoir détruit et endommagé les biens privés appartenant à une société minière étrangère. Tandis qu’à Womey, il est reproché aux jeunes villageois d’avoir brutalement et bruyamment interrompu une réunion politico-administrative, assassiné et enterré sommairement des participants à la rencontre.

Si la rémanence des conflits violents dans les rapports sociopolitiques entre les communautés est une constante, en Guinée, il faut dire que Nzérékoré, ville cosmopolite par excellence, est un cas de figure intéressant. C’est une zone de forte immigration intérieure. D’importantes communautés des autres régions y cohabitent, qui en bonne intelligence, qui en conflits larvés avec des poussées incandescentes périodiques.

Le besoin d’une coexistence pacifique est si fort qu’on se résigne, à son corps défendant, de se regarder en chiens de faïence pour préserver ses intérêts individuels et collectifs. Les violences sont la manifestation extérieure de frustrations intériorisées dans le subconscient. Il suffit qu’un manipulateur s’avise d’allumer cette poudrière dormante pour que le brasier s’enflamme, et voilà tragédie.

Comment un banal match local, sans enjeu (majeur ni mineur), peut provoquer une telle hécatombe ? Si une simple enquête permet de savoir ce qui s’est passé dimanche 1er décembre à Nzérékoré, elle ne peut expliquer les raisons de la violence. Au-delà des enquêtes, il est temps de commettre des érudits (sociologues, économistes, politicards, historiens et anthropologues) à la tâche d’entreprendre une étude approfondie de ce qu’il s’est passé à Nzérékoré, afin d’éclairer la lanterne des grosses huiles et du populo. Le plus tôt sera le mieux.

Mohouroulô Honamou