Politicard à ses heures perdues, défenseur des droits humains, auteur, ancien bidasse… Aliou Barry nous a rendu visite le 8 janvier, pour un brin de causette. Le dirlo du Centre d’analyse et d’études stratégiques (CAES) a livré le poing de sa vue sur la manif organisée, deux jours auparavant, par le collectif des Forces ivres de Guinée, ainsi que la polémique née de la maladresse d’Emmanuel qui voulait tirer ses Macron du feu à propos de la dénonciation des accords de défense franco-africains. Le silence assourdissant de la Cedeao et du discours du Doum-bouillant du 31 décembre ont été aussi passés aux peignes fins. Bon appétit !
Le Lynx : Comment réagissez-vous à la manifestation des Forces vives de Guinée du 6 janvier ?
Aliou Barry : J’ai la nette impression que l’histoire se répète en Guinée. Ceux qui dirigent ne tirent pas les leçons du passé. On était dans la même situation, il y a quelques années, sous Alpha Condé. Les autorités actuelles semblent ignorer que plus un régime se durcit, plus les manifestations s’imposent comme seul recours. On aura tendance à dire que la manifestation n’a pas réussi, parce qu’il n’y a pas eu autant du monde que les précédentes. Mais Conakry était paralysée, pour ceux qui ont observé la ville ce jour. Les boutiques étaient fermées, par prudence.
Curieusement, on retrouve les mêmes ingrédients d’avant, en termes de répression. Il y a eu beaucoup de descentes policières ou de gendarmes dans les quartiers. Je crains que les Forces vives se radicalisent, à mesure que le pouvoir se durcit. Une radicalisation des deux parties, dans les mois à venir, est à craindre.
Quelle marge de manœuvre pour l’opposition, vu l’armada sécuritaire déployé ?
Nous sommes en présence d’une manifestation asymétrique. Les chars, les blindés ne résoudront pas le problème de la colère populaire. On peut faire le parallèle avec ce qui se passe dans les pays sahéliens de la région, où des armées équipées font face à une guerre asymétrique. En face, vous n’avez pas un adversaire identifié, mais des jeunes qui sortent des quartiers et qui sont mobiles…C’est difficile de venir à bout d’une révolte populaire. Je suis étonné que les dirigeants guinéens ne l’aient pas compris. La seule parade, à mon avis, c’est d’ouvrir un vrai dialogue, inviter toutes les forces autour de la table pour discuter de l’avenir du pays.
Sauf que les manifestations se cantonnent toujours sur l’Axe Leprince, elles peinent à se généraliser…
Il faut s’interroger pourquoi c’est toujours dans les mêmes endroits qu’on récent la colère. Sur l’Axe, les gens n’ont pas manifesté mais c’est au vu des pick-up et des blindés que des jeunes sont sortis jeter des cailloux. C’est humain. Même dans des pays développés comme en France, quand il y a une manifestation, la vue de la police excite. Il faut absolument que le pays sorte de cette radicalisation.
Quelle est l’origine du problème ? C’est qu’il y a eu des engagements le 5 septembre 2021, dont pratiquement aucun n’a été respecté. Deux exemples pour l’illustrer : la dépersonnalisation du pouvoir. A voir le nombre de portraits quand vous circulez dans Conakry, je ne pense pas qu’il y en avait autant sous Alpha. On avait promis la justice : elle ne se porte pas mieux que sous le régime Condé.
Le président de la transition a dit que 2025 sera l’année électorale de la Guinée, que les activités politiques vont reprendre… Dans quel contexte cela se fera-t-il, d’autant plus qu’il n’y a aucun cadre permettant aux différentes forces sociales (partis politiques, syndicat, médias) de dialoguer. C’est comme si le pouvoir s’est radicalisé pour prévenir d’éventuelles manifestations.
Au vu du rapport de force, pensez-vous que l’opposition pourra faire plier le CNRD ?
Il est vrai que le rapport de force est inégal. Mais dans un tel contexte, comment le pays sera géré ? Quel investisseur sérieux viendra investir en Guinée ? C’est ce qui me fait dire que la manifestation a plus ou moins réussi, parce qu’elle a paralysé les activités économiques à Conakry et surtout donné l’image d’une Guinée instable. J’ai reçu plusieurs appels me demandant ce qui se passe à Conakry. Bien qu’on ait fermé les médias, beaucoup ont suivi la situation via les réseaux sociaux. Cette transition risque de prendre des tournures déjà vécues. M. Dadis Camara avait pris le même engagement de ne pas être candidat, avant de revenir dessus. Nous savons comment cela s’est terminé. La violation des engagements, c’est ce qui révolte les Guinéens.
Je ne dis pas que je suis favorable aux manifestations. Je me mets juste à la place des politiques, ou des responsables des médias fermés. On est dans un pays sans espace d’expression : manifestations interdites, médias fermés…Qu’est-ce qui reste à l’opposition ? Même les formations politiques qui soutenaient le CNRD commencent à s’interroger sur l’absence de dialogue. C’est une grande erreur du pouvoir.
L’indifférence de la Cedeao m’inquiète. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun recours aussi bien pour ceux qui gouvernent que ceux qui s’opposent. L’organisation régionale doit obligatoirement se réformer. Elle a signé un accord avec la Guinée, sur le chronogramme de la transition. Il y a eu des manifestations, tout le monde attend la réaction de la Cedeao. Non seulement, elle ne demande aucun compte mais ne propose rien. De même, qui entend l’Union africaine sur les crises des pays en transition ? La junte se radicalise, parce qu’il n’y a plus l’épée de Damoclès de l’organisation régionale, elle-même en difficultés.
J’aimerais bien savoir comment va se dérouler la campagne électorale dans un tel contexte, où toute critique politique est interdite. Est-ce qu’un opposant qui dénoncerait la mal gouvernance sera poursuivi pour offense au chef de l’État, à l’instar d’Aliou Bah ?
Le président de la transition a annoncé la reprise des activités politiques cette année. Quel crédit accordez-vous à cette déclaration, et d’une manière générale, comment analysez-vous son adresse à la nation du 31 décembre ?
Je suis resté sur ma fin, après avoir écouté le discours du début à la fin. Je n’ai pas trouvé réponses à mes interrogations : est-ce qu’il sera candidat ou pas ? C’était une occasion de taire les rumeurs. Il a annoncé une année électorale en 2025, sans en donner le calendrier. J’ai l’impression que le flou a été volontairement entretenu.
Le discours vous a-t-il, tout au moins, permis de savoir si la transition prendra fin cette année ?
Non ! Il a été jusque-là question d’organiser les communales, les législatives et terminer par la présidentielle. Évidemment, en commençant par le référendum constitutionnel. J’en conclus, à l’analyse du discours, que 2025 ne marquera pas la fin de la transition. Surtout qu’on veut organiser les élections séparément. En tenant compte de la saison des pluies et d’autres facteurs, au mieux on pourrait coupler le référendum aux communales. Sinon, je crois plus à l’organisation de la présidentielle avant les autres. C’est la seule élection qui peut légitimer un pouvoir. En commençant par les communales ou les législatives, si vous les perdez – Alpha en avait fait l’expérience-c’est très difficile d’aller à la présidentielle. Je ne serais donc pas surpris, qu’après le référendum, on nous annonce la présidentielle.
Il n’y a pas que le discours de Doumbouya qui fait réagir. Macron a déclenché une levée de boucliers en parlant des bases militaires françaises en Afrique. De l’œil du spécialiste des questions de défense, comment y réagissez-vous ?
J’ai été estomaqué par l’attitude condescendante de ce jeune président de la Ve République vis-à-vis de ses homologues africains. Ceux qui observent savent que l’Afrique a changé, mais Macron ne l’a pas compris. Il s’est comporté exactement comme les dirigeants de l’Empire colonial. Or, il incarnait l’espoir depuis qu’il avait affirmé à Ouaga qu’il est jeune, il n’a pas connu la colonisation et qu’il n’y aura pas une politique africaine telle que par le passé. On a aujourd’hui un jeune président qui a complètement porté l’habit de la Françafrique. Il est allé jusqu’à dire que c’est par courtoisie et générosité qu’il a laissé le soin aux chefs d’État africains de dénoncer les accords de défense. Il a été le premier président occidental à arriver à Ndjamena à la mort de Deby père, tout en condamnant les putschs au Mali et ailleurs !
Le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont signé des accords de défense avec la France dès leur indépendance. Macron n’a pas vu qu’une nouvelle génération de dirigeants a été portée au pouvoir par une jeunesse africaine qui ne veut plus entendre parler de bases militaires étrangères. Ce sont ces jeunes chefs d’État qui ont dénoncé ces accords de défense et non lui. Mis devant le fait accompli, il a voulu sauver la face. Un président français ne devrait pas se comporter comme il l’a fait. C’est comme si ses homologues africains ne valaient rien.
A quoi aura ainsi servi le sommet Afrique – France de Montpellier de 2021 censé repenser la coopération entre les deux parties ?
J’étais le rare critique de ce sommet. Je n’ai jamais compris pourquoi Macron l’a organisé. Il a eu l’idée de convoquer des jeunes pour débattre de la politique africaine. Si vous vous souvenez, c’était juste après le rendez-vous de Pau avec les chefs d’État. Il disait à ces derniers, si vous ne faites rien, on vous lâche. Deux mois après, à Montpellier, il a curieusement été bien servi. Ses invités lui ont balancé à la figure toutes les récriminations de la jeunesse africaine. Ça a été une vraie humiliation. Il avait promis de créer un fonds pour la démocratie. Juste après, c’est les coups d’État. Le pays africain qui abritait la plus importante base militaire française est le Tchad. L’accord a été dénoncé au moment de raccompagner à l’aéroport le ministre des Affaires étrangères de la France. Il n’y a pas pire humiliation.
A voir cette situation, faudrait-il se réjouir que la Guinée n’ait jamais abrité de base militaire étrangère (du moins jusque-là) ?
Je n’ai jamais cru à la rumeur sur la présence d’une base militaire étrangère en Guinée. Ce n’est pas dans notre culture. Cet orgueil est resté. Par contre, il y a une coopération militaire renforcée : des instructeurs français viennent encadrer l’armée, la gendarmerie…
Les pères fondateurs ont tous cru que l’indépendance octroyée allait leur permettre d’être souverains. On ne peut pas l’être, si on n’a pas une défense et une monnaie indépendantes. De Gaulle a fait partir toutes les bases américaines en France. Il a voulu avoir sa monnaie. A contrario, la France contrôlait ses anciennes colonies par la monnaie et les accords de défense.
La Guinée avait sa propre monnaie…
Certes, mais tout le monde sait comment elle fonctionnait. Elle n’a jamais permis à la Guinée de se développer véritablement. Les pays de la zone CFA ont connu peut-être une stabilité sous protectorat français et les autres, comme le nôtre, ont eu une gestion chaotique par des régimes autoritaires. Le Ghana a eu la chance d’avoir quelqu’un comme Rawlings qui est venu rectifier. Sinon, le Ghana de Kwame Nkrumah fonctionnait exactement comme la Guinée de Sékou Touré. C’était des régimes marxistes, l’économie ne fonctionnait pas. Il a fallu lutter contre la corruption et créer des institutions fortes. Depuis une vingtaine d’années, le Ghana a une stabilité politique. Quand on voit le présidant sortant féliciter l’entrant, que des juntes guinéenne ou burkinabé assistent à l’investiture sans songer à en faire de même dans leurs pays respectifs, c’est décevant.
Entretien réalisé par
Diawo Labboyah