En Guinée, les régimes changent, les hommes passent mais le système se perpétue. Une situation qui s’explique en grande partie par la défaillance de l’État se traduisant notamment par son incapacité non seulement à répondre au besoin de sécurité collectif des populations, mais aussi à mettre en place un cadre de gouvernance adéquat permettant d’assurer la séparation et l’équilibre des pouvoirs publics, gage de tout Etat de droit et de stabilité institutionnelle durable.
Au fil de l’histoire du pays, cette déliquescence de l’État se traduisant notamment par la prééminence du pouvoir Exécutif dans un contexte où la volonté du peuple n’a jamais été véritablement le fondement des pouvoirs publics a généré l’émergence d’un État répressif engendrant plusieurs victimes dont le nombre ne cesse d’accroître au fil des régimes.
A ce niveau, il faut faire remarquer que la perpétuation de cette violence d’État contre le peuple, dans un contexte où l’identité politique est souvent confondue à l’identité ethnique, continue à exacerber les clivages politiques et ethniques affectant dangereusement le tissu social et l’unité nationale.
Les échecs de gouvernance des régimes qui se sont succédé ont ouvert un boulevard aux forces de défense et de sécurité pour s’imposer comme seul rempart contre les dérives des régimes dont ils servent eux-mêmes de bouclier ! Car tous les régimes qui se sont succédé en Guinée, qu’ils soient civils ou militaires, se sont tous appuyé sur les forces de défense et de sécurité soit pour conserver, soit pour confisquer le pouvoir.
D’ailleurs, il est important de souligner que depuis 1984, les forces de défense et de sécurité sont au cœur de l’exercice du pouvoir politique en Guinée et exercent non seulement la plupart des fonctions traditionnellement réservées aux autorités civiles, mais aussi continuent à jouir des privilèges et avantages importants au sein de l’appareil de l’État. En outre, sur les 6 chefs d’Etat que le pays a connu depuis son accession à l’indépendance, 4 sont des militaires.
Dans le contexte actuel, c’est quand même curieux de voir que la quasi-totalité des allégations de détournement de deniers publics pendant devant la Cour de répression des infractions économiques et financières de l’État (CRIEF) ne visent que des civils.
A ce titre, sachant les efforts et sacrifices consentis déjà par notre peuple dans la quête de la liberté et la consolidation de nos acquis démocratiques, il est à la fois préoccupant et regrettable de voir les attitudes d’une certaine élite de notre pays visant toujours à soutenir et encourager la confiscation continue du pouvoir par les forces de défense et de sécurité au détriment de la classe politique. Celle-là même que tous nos textes de lois accordent toutes les prérogatives pour conquérir et exercer le pouvoir politique en Guinée. C’est d’autant préoccupant que bon nombre des acteurs qui sont en train de se livrer à cette pratique aux antipodes des valeurs et principes républicains de l’État aujourd’hui en Guinée étaient hier considérés comme des fervents défenseurs des valeurs et principes démocratiques.
Pour ma part, il est important de faire remarquer que toute stratégie visant à instaurer la SUPRÉMATIE MILITAIRE dans la gestion du pouvoir politique risque de créer un précédent très dangereux qui risque d’anéantir tous les efforts du peuple de Guinée pour la construction d’un Etat de droit, respectueux des droits humains auquel nous aspirons tous. Au-delà, cette posture de privilégier les militaires au détriment des civils dans la gestion du pouvoir politique est une manière de disqualifier toute la classe politique guinéenne à prétendre conquérir et exercer le pouvoir politique qui est sa vocation principale dans toute démocratie, par la sollicitation des suffrages des citoyens au cours d’élections périodiques définies par les textes de lois de chaque pays, conformément à l’esprit de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils politiques auquel la Guinée est partie.
Dans le contexte actuel, il est également important de rappeler qu’il est de notre devoir et de notre responsabilité à tous et toutes de faire en sorte que le débat politique et citoyen en Guinée soit tourné vers les principes et valeurs inscrits dans la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte africaine de la démocratie, les élections et de la gouvernance ainsi que l’essentiel des instruments juridiques internationaux des droits humains inscrits dans nos Constitutions depuis 1958 et reprise dans le préambule de la Charte de la transition élaborée et rendue public par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), après sa prise du pouvoir le 05 septembre 2021. Car ce sont ces principes et valeurs qui constituent le fondement de notre Nation en dépit de notre diversité culturelle et ethnique. Ils constituent également le gage de notre unité nationale et le meilleur atout pour la stabilité durable de notre pays.
Alseny SALL, militant des droits humains