Fondatrice du restaurant gastronomique Le Jacquier et de l’Ecole de gastronomie guinéenne (Kamy EGG), madame Barry Yaya Barry a accordé une longue interview à La Lance. Celle qui revendique le titre de première cheffe guinéenne y aborde la cuisine et ses contours, la carence en formation pratique et équipements des écoles guinéennes, son apport pour améliorer la situation…Dans cette première partie, il est question de formation.
La Lance : Parlez-nous de votre école, pourquoi avez-vous ouvert Kamy EGG ?
Cheffe Yaya Barry : D’abord, j’ai fait un CAP de cuisine-pâtisserie à Paris, dans le 98; des stages en entreprise, dans des restaurants gastronomique, de collectivité, fastfoods… J’ai fait mon stage en restauration gastronomique en Guinée, au Damier. C’était l’un des plus grands restaurants gastronomiques en Guinée. De retour en France, j’ai terminé ma formation, travaillé dans différents restaurants à Paris avant de rentrer en Guinée en 2015.
J’ai monté mon entreprise. Je n’avais pas trop les moyens pour ouvrir un grand restaurant gastronomique. J’ai acheté un plan de travail, une gazinière, une plonge et ouvert un salon de thé, pour proposer des sandwichs, de la petite pâtisserie, des salades…
Pour embaucher, j’ai fait une demande dans les écoles hôtelières. J’ai reçu un, deux, trois CV; puis les candidats. Je les ai entretenus. A chaque fois, je retiens un. Au moment de commencer, c’est là qu’une personne a avoué: madame, on n’a jamais vu une cuisine, ni un formateur en pratique. On a toujours fait la théorie, soit la gestion hôtelière, bref la théorie…
Abasourdie et incrédule, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour visiter quelques écoles avec des options hôteleries. J’ai demandé à rencontrer les directeurs des études, visiter les cuisine, m’entretenir avec les formateurs. On m’a confirmé qu’il n’y a pas de cuisine, ou qu’on cuisine au charbon. Ce qui n’était ni adapté ni professionnel. Ils m’ont dit qu’une fois qu’ils ont fait les trois ans, on proposait aux cinq ou dix premiers des stages dans les restaurants ou hôtels.
Jai halluciné ! Celui qui n’a jamais vu, par exemple, une courgette, le chef n’a pas le temps de dire comment on la découpe. Ils sont censés avoire la base à l’école, faire la pratique: comment couper en julienne, en jardinière, en paysanne… Ou bien c’est quoi une courgette, un navet, il y a les termes culinaires, ou bien les ustensiles de cuisine, donne-moi le moule à manqué.
Je n’avais jamais pensé à ouvrir une école. Mais, je me suis dit: waouh, les jeunes guinéens ont besoin de moi ! Il faut absolument partager mes connaissances. Je me suis dit de proposer des cours de cuisine de trois mois: 90 % pratiques et 10 % de théorie. J’ai ouvert l’école.
Malheureusement, ce n’est pas ces jeunes-là qui sont venus s’inscrire, la plupart mais des jeunes femmes surtout déscholarisées, mariées très tôt, ou bien des diplômées qui n’avaient pas trouvé du travail, venues faire une reconversion. Après, l’école a pris de l’ampleur. Mais la plupart, c’est toujours des femmes: 99 % ou 98 % souvent, contre peut-être un homme ou deux.
J’avais même demandé un financement pour les jeunes sortant des écoles hôtelières, au nombre de 24. Ils ont été formés. Et la plupart d’entre eux, après, ont travaillé dans différents restaurants ou hôtels. C’est parti comme ça, de 2015 à 2024. On est à la 27e promotion. Tous les trois mois, on fait des inscriptions, on délivre une attestation. J’ai formé plus de 1000 jeunes.
Au départ, tout le monde voulait faire que de la pâtisserie et gâteau d’anniversaire. Je dis non ! Je savais que la cuisine était plus importante. J’ai fait un forcing et ça a marché, mais ça a été très difficile. Pour eux, c’est les gâteaux d’anniversaire qui marchaient. C’était méconnu, la gastronomie.
Est-il vrai que c’est ce qui marche en Guinée ?
Un attiéké-poisson marche plus qu’un gâteau d’anniversaire. C’est vrai qu’on a tout le temps des anniversaires. Mais ce n’est pas ça qui rapporte pour quelqu’un qui veut monter une entreprise. D’ailleurs, une vraie pâtisserie, on n’en a pas eu beaucoup en Guinée. Je voulais donner une autre vision. Je dis, venez, on va faire la pâtisserie. Toute la pâtisserie. Je leur fais la liste. La pâtisserie, c’est vaste. C’est comme quand ils disent vouloir faire la boulangerie. On ne peut l’apprendre à quelqu’un en un mois, pour qu’il ouvre une boulangerie ou devienne chef pâtissier. Le circuit est long. Ce fameux gâteau d’anniversaire m’a même traumatisée.
Alors, vous avez mis le hola…
Je dis, vous faites les deux ! Quand on dit cuisine, tout le monde voyait celle qu’on faisait à la maison. Les femmes me disaient: nous, on est fatiguées de cette cuisine. Je leur rétorquais, ne la minimisez pas parce qu’avant même de venir le matin, vous avez mangé. Cette cuisine, elle est importante. Je leur ai montré les photos de la cuisine du monde, surtout la gastronomie que j’ai apprise, celle française. Après, ils disent: ah oui, c’est ça ! J’ai compris que c’était par méconnaissance. C’était un grand combat, mais j’ai pris sur moi…Les gens me disaient: toi, tu ne veux pas de l’argent. Fais des formations en pâtisserie, gâteau d’anniversaire… Et moi d’objecter: ils ont assez menti aux jeunes, je ne le ferais pas.
Il y a eu de l’engouement, ensuite. J’avais deux groupes, parfois même trois. Mais au début, les gens me lançaient: toi, tu vas en France, tu restes autant d’années, tu reviens avec cuisine-pâtisserie ? On n’a pas besoin de faire une école pour ça ! Personne ne me croyait au début quand je disais que j’ai eu un salon de thé, je fais de la pâtisserie. C’était une question de culture. Donc, je peux dire que j’ai révolutionné la gastronomie, parce qu’on me demandait même c’est que c’est. Je l’expliquais. J’ai énormément impacté. C’était nouveau.
Maintenant, il y a plusieurs écoles, j’ai beaucoup de concurrents. D’autres ont été ouvertes par mes élèves même. Il y a une, par exemple, qui est à Labé. Je vois comment elle évolue, c’est magnifique. Une autre aussi a ouvert une école de pâtisserie, ici à Conakry. Elle a eu énormément d’élèves. D’autres qui ne font pas partie de mes élèves se sont également inspirés de moi pour se lancer.
Vous voulez arrêter parce que la relève est là, ou pour cause de concurrence déloyale ?
Plus ou moins, j’ai atteint mon objectif qui était de former des formateurs. Parmi eux, quatre femmes qui le font super bien. C’est une grande fierté pour moi. J’ai réussi aussi à former des chefs. Maintenant, je ne veux pas fermer l’Ecole guinéenne de la gastronomie, Kamy EGG. Mais je veux réorienter parce que je me suis rendue compte qu’il y a effectivement la concurrence déloyale et on ne la maîtrise pas. Je donne les cours aux enfants pendant les vacances. Cette année, j’ai eu trois groupes; l’année dernière, quatre. Des enfants de 5 à 18 ans, parfois 20 ans. Ils sont plus réceptifs, comprennent mieux.
Vous voulez créer des vocations très tôt ?
Pas que, mais leur inculquer le savoir dès le bas âge. En fait, on a du mal à bien manger et, partout, manger dehors revient énormément cher. Même les grands élèves que j’avais n’ont pas de base. Notre génération était tout le temps à côté de nos mamans. On allait à l’école, mais elles nous apprenaient les bases de la cuisine. On n’a pas su le transmettre à nos enfants. Il y a une bonne ou une cuisinière qui fait tout. C’est ainsi que je me suis dit je vais vraiment aller vers les écoles, partager ma passion avec les enfants.
Ce n’est pas exclut que cela suscite des vocations, mais c’est aussi une manière de perpétuer les traditions, les legs ?
Cela leur permettra à la longue de cuisiner chez eux. Je le dis souvent, la cuisine, c’est la mode. Dans les autres pays, tout le monde cuisine, les hommes comme les femmes.
J’irai vers les élèves, les étudiants; vers des gens comme vous, qui travaillent, faire des ateliers. Telle est, maintenant, ma vision, mon ambition. On n’avait pas de vrais chefs sortant d’une école normale. J’ai réussi à relever ce défi de sortir des chefs. Les chefs au Jaquier sont 100 % guinéens. Ce sont des jeunes sortants de mon école, qui font de la bonne cuisine, au même pied d’égalités que les grands chefs de 5 ou de 3 étoiles.
S’il n’y avait pas de chef, qui travaillait dans les restaurants avant, les hôtels ?
Une fois, avec RFI, on avait fait ce débat. Comme je vous le dis, il y a des écoles, mais qui ne font pas tout ce qu’il faut. Les plus grands hôtels, restaurants, si tu veux que ça marche, tu fais appel à des chefs étrangers. Ça, tout le monde le sait. Les chefs guinéens qui sont là n’ont pas suivi un cursus, une formation diplômante, régulièrement. Ils ont appris sur le tas. Je les admire parce qu’ils vont travailler chez les expatriés comme cuisiniers. Ayant des notions de cuisine, ces derniers leur apprennent à faire des pommes sautées, des brochettes, une petite salade…Au bout de 5, 6 ans, l’expérience est là, tu te fais appeler chef. D’ailleurs, ici, dès que tu es cuisinier, on t’appelle chef. Chose que moi j’ai refusée. J’ai eu du mal à changer cela. Toutefois, je peux citer quelques uns: M. Soumah, c’est un grand chef qui était au Damier.
Pour l’histoire du Damier, c’était un chef pâtissier qui est venu avec un chef français, cuisinier. Ils ont recruté, formé des jeunes, d’autres sortant des écoles d’ici. Après, il y a eu des chefs sortis de ce restaurant. Sinon, quand je dis qu’on n’a pas encore de vrais chefs, c’est vrai. On n’en a pas comme les Ivoiriens, Sénégalais, Burkinabés ou Marocains. On n’en a toujours pas. Il faut former des formateurs en pratique.
Dans mon école en France, le formateur nous donnait les cours théoriques et pratiques. Il faut que tout soit professionnel: allumer le gaz, toucher les boutons, une cuisine adaptée. Et c’est ça qu’on n’a pas.
L’État a subventionné le gaz, peut-être que ça va être un déclic, non ?
Effectivement… Au départ, je voulais aussi donner les cours aux femmes actives, aux femmes au foyer. Je leur demandais de reprendre les recettes à la maison. Elles m’ont fait comprendre qu’elles n’ont pas de gazinière.
Quoique le gaz soit désormais subventionné, il y a toujours des idées reçues selon lesquelles c’est risqué de s’en servir. On a tendance à continuer avec le charbon, même si le prix du sac vaut pratiquement celui d’une bouteille de 6 kilos.
C’est vrai, mais par rapport à 2015, ça a énormément évolué parce que je vois beaucoup de foyers maintenant qui cuisinent avec le gaz. Sinon avant, c’est vrai que les gens ne s’intéressaient absolument pas à la cuisine: faire un petit gâteau dans un four, un gratin ou un rôti.
Avant de revenir à votre restaurant, une dernière question sur le déficit de formateurs. Est-ce que vous songez à aller donner des cours pratiques dans nos écoles ?
C’est en discussions avec une école de Kipé. Il était question que les formateurs viennent en immersion dans mon école. Aux élèves, on va leur apporter nos connaissances en cuisine, pâtisserie et en bar-restaurant, la salle et puis les prendre en stage. Je vais donner des cours, ça c’est sûr. Je vais prendre les jeunes en stage dans mon restaurant, les suivre ou bien les rediriger vers d’autres restaurants ou pâtisseries. Pour les formateurs, ils viendront en immersion. (Suite au prochain numéro).
Interview réalisée par
Diawo Labboyah Barry