Né à Boké le 1er avril 1930, fils d’un fonctionnaire colonial parmi les premiers à avoir suivi l’école française, Bâ Mamadou est originaire de la ville de Dinguiraye fondée par le résistant El Hadj Oumar Tall au 19ème siècle. Une ville marquée par le multiculturalisme et la cohabitation de plusieurs ethnies unies sous la bannière de l’Islam, courant Tidjania.
Baroudeur au «sang chaud», ce bel homme fera ses études primaires dans plusieurs régions de la Guinée suivant son père enseignant. En l’absence d’école secondaire, Bâ Mamadou suivra le chemin classique des jeunes Guinéens au temps colonial en allant passer son baccalauréat à Dakar, alors capitale de l’Afrique Occidentale Française, AOF. Armé de son baccalauréat, il poursuivra ses études en France d’où il décrochera une licence en Mathématiques à l’Université de Rennes.
Revenu en Guinée en 1957, Bâ Mamadou devient un des responsables de la Caisse Centrale, un organisme chargé du Fonds d’investissement et de Développement Économique et Sociale (FIDES) pour l’administration coloniale qui avait des projets ambitieux pour la Guinée dont elle rêvait faire le pôle de développement industriel de l’Afrique de l’Ouest.
Défenseur de l’indépendance économique de la Guinée
Comme tous les jeunes de l’époque, Bâ Mamadou jouera un rôle dans la campagne pour le Non à la proposition de la France de maintenir la Guinée dans une communauté Franco-africaine sous la métropole, choisissant plutôt l’indépendance immédiate au référendum du 28 septembre 1958. Ayant évolué dans les banques coloniales, Bâ Mamadou sera nommé après l’indépendance comme le premier gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée. Cette décision de créer une Banque Centrale pour la Guinée indépendante faisait suite à la campagne de représailles économique de la France de bloquer le flux d’échange monétaire envers la Guinée. Propulsé à l’avant plan de la construction économique de la jeune nation, il fut avec d’autres cadres tels que Marcel Cross et le français Jean Suret Canal, de grands défenseurs d’une véritable indépendance économique de la Guinée, poussant vers la création d’entreprises d’État chargées de mettre un jalon d’un véritable développement industriel de la Guinée. Il met en place la structure du Crédit National et des entreprises de Commerce d’État telles que : Sonatex (Textile), Alimag (Alimentation), Nafaya, Sabouya (Détail), ONAH (Hydrocarbures), etc.
Exil ivoirien
Entre 1964 et 1969, il est fonctionnaire à la Banque Mondiale, mais pas au compte de la Guinée. C’est durant cette période qu’il obtient le surnom de « Bâ Mamadou Banque Mondiale », il s’occupe de l’Afrique Centrale et Madagascar.

Hélas, la dérive dictatoriale du premier président guinéen, Sékou Touré, fera que Bâ Mamadou se retrouvera en exil en Côte d’Ivoire en 1970 où, introduit chez Houphouët Boigny, le président ivoirien par Henry Konan Bédié, il sera coopté par le sage de Yamoussoukro dans la construction de la Côte d’Ivoire. Initialement, un programme commercial qui faisait du leasing industriel va lui confier un projet en Côte d’Ivoire. Projet financé par l’OPIP américain sur recommandation de Rockefeller qui appréciait ce jeune fougueux. Bâ Mamadou devient en 1974 président fondateur de la SIDECI, une société mixte de construction de logement dans un pays qui s’enrichissait sur les misères de la Guinée.
Au même moment, dans sa Guinée natale, la répression aveugle de la machine à broyer les patriotes guinéens marchait à grands pas. Comme toute famille guinéenne, Bâ Mamadou verra disparaître dans les camps de la mort du PDG, son frère Bâ Thierno, vétérinaire de son état, son beau-frère, Sow Mamadou ainsi que plusieurs de ses amis et camarades de promotion. Lui-même verra son nom sur la liste noire des cibles du régime « révolutionnaire ». Condamné à mort par contumace sur des aveux extraits à la torture par le clan Sékou Touré en même temps que Siradiou Diallo, Alpha Condé, Ibrahima Baba Kaké, Charles Diané, Diallo Moustapha « Tout Passe » et autres devenus les « Anti-Guinéens », Bâ Mamadou restera en Côte d’Ivoire d’où il participera à la construction de nombreuses cités d’habitation à Abidjan et ailleurs. Sa compagnie immobilière SIDECI (Société Internationale pour le Développement et la Construction Industrialisée) construira des milliers de logements dans les quartiers abidjanais de 2 Plateau, Riviéra, Yopougon.
Parallèlement, Bâ Mamadou se lancera à fond au sein du mouvement d’opposition au régime du PDG, l’Organisation de Libération de la Guinée (OLG) qui était animée par des Guinéens tels que Fofana Babara, Conté Seydou, Sow Durand, Diallo Lélouma, Barry Bassirou etc., et faisait rivalité au RGE (Regroupement des Guinéens de l’Extérieur) formé par Siradiou Diallo, vice-président de Jeune Afrique.

Retour au bercail et opposant
La chute de la dictature du PDG qui a suivi la mort de Sékou Touré à Cleveland, aux États-Unis en 1984 et le «coup d’État contre un cadavre» de l’armée guinéenne, permettra à Bâ Mamadou et aux millions d’exilés guinéens de retourner au bercail. Bâ Mamadou sera brièvement conseiller de Lansana Conté à ses débuts et sera vite écarté à cause de son franc-parler et de son non conformisme.
Il se lance dans l’opposition politique et sera le premier Guinéen à défier ouvertement la junte militaire du CMRN en lançant un pamphlet dénommé «Lettre Ouverte aux Guinéens» qui servira de périodique d’information et de dénonciation des dérives du pouvoir en place. Une action téméraire et jamais vue dans un pays traumatisé par la folie meurtrière de Sékou Touré et de sa famille durant la période de la «Révolution» qui kidnappait, torturait et exécutait publiquement toute critique contre son régime. Le Journal de son Parti, La Nouvelle République était considéré comme l’un des tout premiers titres dans la presse privée guinéenne.
Le régime de Lansana Conté cédera à la pression et autorisera le multipartisme après avoir organisé une période de transition. Bâ Mamadou créera son parti politique, l’Union pour la Nouvelle République (UNR) qui regroupera la couche populaire, notamment les jeunes commerçants originaires du Foutah qui admirent sa fougue et son dynamisme. Son franc-parler sera d’ailleurs utilisé contre lui dans une déclaration mal interprétée à Faranah où il demandait aux habitants de cette ville de «donner la chance à un peuhl cette fois-ci.»
En 1993, les premières élections présidentielles sont organisées. Comme l’on s’y attendait, elles sont émaillées de fraudes. L’Opposition perd et quelques temps après, l’imprévisible Bâ cherche à nouer alliance avec le PUP, le parti présidentiel déclaré vainqueur. Le reste de l’Opposition est étonné, mais pas surpris. Cette alliance avec le Parti au pouvoir restera de très courte durée.
Prisonnier
Partisan de la ligne dure contre ce qu’il considère être un régime «qui ne comprend que la force», Mamadou Bâ sera arrêté avec ses compagnons de l’UNR, Mamadou Barry et Thierno Ousmane Diallo en 1998 par le régime de Conté suite aux évènements de Kaporo-Rails où des centaines de maisons appartenant en majorité à ses sympathisants seront détruits sous prétexte d’avoir été construites illégalement. A sa sortie de prison, Bâ Mamadou se ramollira dans sa fougue. Selon des personnes proches du «doyen», le manque de réaction musclée de la part de ses partisans et des autres partis politiques lui feront dire que les «Guinéens méritent la dictature s’ils ne veulent pas se battre pour leur liberté.»
Face aux démagogues de la ligue islamique qui demandaient aux fidèles musulmans d’appeler Kadiatou Seth, ancienne miss de Guinée et nouvelle épouse de Conté «la mère de l’Islam», Bâ Mamadou rentrera dans une colère bleue en répliquant qu’elle n’était la «mère de personne à part ses propres enfants !»
Fusion UNR-UPR
A la campagne des présidentielles de 1998, Bâ Mamadou fusionnera son parti avec celui de Siradiou Diallo pour créer un nouveau parti, l’Union pour le Progrès et le Renouveau (UPR). Jusque-là, il s’était refusé de s’allier à son rival politique, Siradiou Diallo, avec qui il puisait le même électorat du Foutah. Devenu candidat présidentiel de la nouvelle coalition, Bâ Mamadou n’arrivera pas à déclasser le régime de Conté, entranché par un contrôle total des rouages administratifs, financiers et militaires. Les élections seront comme à l’habitude marquées d’irrégularités et surtout ternies par l’arrestation du leader du parti RPG, Alpha Condé, arrêté à la frontière de la Côte d’Ivoire et embastillé par le régime de Lansana Conté. Là aussi, Bâ Mamadou se lancera corps et âme dans la défense d’Alpha Condé au grand dam de ceux qui le traitaient d’ethnocentriste. L’Opposition lui confiera la présidence de la coalition FRAD.

Ralliement à l’UFDG
Après la libération d’Alpha Condé en mai 2001, Bâ Mamadou, devenu maintenant président d’honneur du nouveau parti UNR et frappé par la limite d’âge, entrera en dissidence avec l’approche «légaliste» de Siradiou Diallo qui acceptera de participer aux législatives de juin 2002. Le «Vieux», considérant que rien n’était possible tant que Conté était au pouvoir, va claquer la porte (ou sera chassé selon ses adversaires) de l’UPR et rejoindra le parti UFDG de Bah Amadou Oury qui lui offrira la présidence.
En avril 2006, le Premier ministre, Cellou Dalein Diallo, qu’il avait ouvertement soutenu, est destitué. Bâ Mamadou lui offrira le soutien de son parti. Cellou Dalein Diallo devient en novembre 2007 le Président de ce Parti.
Vie de famille
Pour ce qui est de de sa vie de famille, notons que Bâ Mamadou était marié et était père de deux filles. Sa première femme Kadiatou, une native de Dinguiraye, la mère de ses filles Kadé et Aïssatou, a divorcé avec Bâ à la fin des années soixante. A Abidjan, Bâ Mamadou épousera Bambi, une compagne de Houphouët Boigny. Dans les années 1990 de retour en Guinée, il s’était remarié avec Mariama.
Le 5 mai 2009 alors qu’il était en France pour ce traitement médical qui allait l’emporter, le doyen Bâ Mamadou apprend qu’il avait été élevé au rang d’officier de l’ordre national de la République de Guinée par le capitaine Moussa Dadis Camara. Le même décret élevait Siradiou Diallo au rang d’officier de l’ordre national.
Il a tiré sa révérence le 26 mai 2009. Repose en paix, vieux lion de la politique guinéenne.
Bah Boubacar Caba, avec une
contribution de Mouctar Baldé