Qui pense que les Guinéens ne se détestent qu’à cause de la politique, surtout pendant les campagnes électorales, se leurre. Le 16 avril à Yattayah, sur la transversale n°6, s’est produit un fait aussi anecdotique que triste, mais qui mérite d’être raconté à l’attention des esprits avisés et des Guinéens rêvant encore d’une Guinée unie et prospère.
Il est 16h. Quartier T6 ou Yattayah, c’est selon, une zone multiethnique. La mosquée du quartier est prise d’assaut par des musulmans, venus raccompagner à leurs dernières demeures deux Guinéens, morts dans la matinée. L’un des défunts s’appelait El Hadj Ibrahima Diallo, septuagénaire. Il est originaire de Labé, chargé de l’organisation, ces 30 dernières années, de l’ADPL, célèbre association réunissant les ressortissants de cette préfecture à travers le monde. L’autre s’appelle Kaba Camara, fils de Siguiri, employé d’Alport, respecté pour sa foi en islam. Il est emporté par une « crise hypertensive », selon ses proches.
La cohabitation se passe bien jusqu’au début des témoignages sur les défunts. Il se trouve qu’un des disparus est établi dans le quartier depuis plus de 20 ans, bien connu dans les coins et recoins, reconnu pour sa disponibilité et sa bonté. Il a consacré sa vie à la vie associative et au développement communautaire. Son inhumation mobilise donc du monde. L’autre n’y habitait pas, son corps a été ramené dans le quartier à cause de son oncle, membre du Conseil de la mosquée.
Les témoignages en faveur du premier se succèdent. Imams, amis, patrons d’associations…, tous parlent de ses œuvres pour sa communauté, sa préfecture. Les prises de paroles se prolongent au-delà de 16h 45, heure habituelle de la prière de 17h (Al Asr).
Les parents de l’autre mort n’en pouvaient plus. Les récriminations et autres ressentiments se font de plus en plus persistants. Un homme d’une trentaine d’années surgit et crie : « Salaat ; salaat ; salaat », entendez (Prière, prière, prière). Il ajoute : « Nous ne sommes pas venus écouter des ragots sur quelqu’un qu’on ne connaît pas. »
Les imams laissent passer, tout le monde reste pantois. Les discours continuent. Le brouhaha, itou. « Levez-vous, on va prier ; On va vous laisser ici avec le corps, si vous n’arrêtez pas, on a d’autres choses à faire », crient certains parents de l’autre mort, qui commencent à prier, individuellement. L’imam n’en pouvait plus. A son tour de crier : « Arrêtez, vous êtes dans une mosquée. Est-ce que vous pouvez aller dans un ministère ou à la Présidence pour donner des ordres ? Ici, c’est nous qui gérons, vous avez l’obligation de nous écouter », se lâche-t-il.
Les protestataires ignoraient que les imams avaient prolongé les discours parce que les tombes des deux défunts n’étaient pas encore prêtes à ce moment-là.
Il a fallu que parole soit donnée à l’un des parents des protestataires, qu’il parle de leur défunt, pour que les choses se calment. La prière d’Al Asr, officiée par un parent d’un des défunts, les sages de la mosquée proposent qu’un proche du second défunt officie la prière funèbre. Niet catégorique. « Que celui qui a commencé termine, on va quitter ici », lance quelqu’un dans la mosquée. Ce qui a été fait. Mais, on n’est pas au bout de la surprise.
Sur le chemin du cimetière, certains ruminent encore ce qui s’est passé à la mosquée et cherchent toujours la petite bête. Devant le portail du cimetière, un des corps retarde d’une quinzaine de minutes. Ne maîtrisant pas le quartier, le chauffeur au volant du corbillard a emprunté un chemin plus long. Des membres de la famille du disparu, curieusement, ont préféré l’attendre dehors que de se joindre à l’enterrement de l’autre corps. Une voix résonne, tel un ordre : « C’est leur corps qui est à l’intérieur, on va attendre ici ». Consigne respectée à la lettre, au grand dam des prescriptions islamiques. Deux petits épisodes qui montrent que la Guinée a encore du chemin, pour arriver à unir ses filles et fils.
Yacine Diallo