Communiqué de presse conjoint
- Le vendredi 28 mars, le général Amara Camara, porte parole de la présidence de la République de Guinée, a lu un décret à la télévision nationale, annonçant que le général Mamadi Doumbouya avait accordé une grâce présidentielle à Moussa Dadis Camara pour raison de santé. Le 29 mars, l’avocat de Moussa Dadis Camara, a confirmé que ce dernier a bien quitté la maison centrale de Conakry le 28 mars au soir.
- La FIDH, l’OGDH et l’AVIPA expriment leur profonde indignation et très vive incompréhension face à une décision qui met en péril le processus de justice en cours au mépris des victimes du massacre du 28 septembre 2009.
- La décision d’accorder une grâce présidentielle pour des crimes contre l’humanité est en contradiction avec tous les engagements nationaux, régionaux et internationaux de la Guinée.
Paris, Conakry, 1er avril 2025. Alors qu’il avait été condamné à 20 ans d’emprisonnement pour crimes contre l’humanité du fait de sa responsabilité dans le massacre du 28 septembre 2009, Moussa Dadis Camara a fait l’objet d’une grâce le vendredi 28 mars dernier. Le verdict, rendu le 31 juillet 2024, avait reconnu sa responsabilité directe, en sa qualité de Commandant en Chef des Forces Armées, dans le massacre du stade de Conakry. L’ancien leader du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), junte ayant pris le pouvoir en décembre 2008, et président de la République autoproclamé le 24 décembre 2008, avait fait appel de sa condamnation en première instance, à l’instar de nombre d’autres parties au procès. Il restait donc, ainsi que les parties civiles, dans l’attente de l’ouverture de son procès en appel.
« Cette grâce suscite une très grande incompréhension des parties civiles car elle interrompt de facto le processus de justice et apparaît en totale contradiction avec les principes encadrant la séparation des pouvoirs et la bonne administration de la justice. », a déclaré Me Alpha Amadou DS Bah, président de l’OGDH et avocat coordinateur du collectif d’avocat.es représentant les parties civiles. « Les parties civiles sont choquées face aux raisons de santé invoquées pour justifier cette grâce présidentielle. Il existe d’autres dispositions légales permettant d’accorder une prise en charge médicale dans le cadre de la détention, qu’il s’agisse de Monsieur Moussa Dadis Camara ou de tout autre détenu. », a-t-il ajouté.
« Pendant 22 mois, et malgré les difficultés tout au long de ce procès hors normes, les victimes sont restées mobilisées et ont gardé l’espoir de voir cette œuvre de justice aller jusqu’à son terme pour rétablir la vérité, leur rendre justice et réparation », a déclaré Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA. « Aujourd’hui, les victimes apprennent, quasiment dans le même temps, la prise en charge de leur indemnisation par le budget national et la grâce présidentielle accordée à Moussa Dadis Camara. Ceci est indigne de la quête de justice qu’elles mènent avec abnégation pour qu’enfin on puisse dire ‘plus jamais ça’ en Guinée », a-t-elle ajouté.
« Cette grâce envoie un signal désastreux, démontrant un mépris pour les principes fondamentaux de justice, de responsabilité et de lutte contre l’impunité », a déclaré Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH et avocat membre du collectif représentant les parties civiles. « La mémoire des victimes, le respect des droits humains et l’exigence de vérité ne peuvent être sacrifiés sur l’autel des considérations politiques ».
Le 28 septembre 2009, des manifestant·es pacifiques s’étaient réuni·es au grand stade de Conakry pour demander une transition démocratique et la tenue d’élections libres. Des agents des forces de défense et de sécurité guinéennes, dont des membres de la garde présidentielle, ont alors orchestré et commis un massacre, le jour même et les suivants. Au moins 156 personnes ont été tuées, des dizaines portées disparues. Plus d’une centaine de femmes ont été victimes de viols ou d’autres formes de violences sexuelles y compris de mutilations sexuelles et d’esclavage sexuel.
Après 13 ans de combat pour la justice par les victimes et les organisations constituées parties civiles, le procès du massacre du 28 septembre 2009 sétait enfin ouvert le 28 septembre 2022. La présence, ce jour-là, de 11 accusés dont plusieurs hauts responsables politiques et militaires, de la FIDH, de l’OGDH et de l’AVIPA représentant plus de 450 victimes, ainsi que de Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale (CPI) et de Pramila Patten, représentante spéciale des Nations unies chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, a témoigné du caractère emblématique de ce procès, non seulement en matière de lutte contre l’impunité en Guinée, mais aussi pour la justice internationale.
Alors que l’État guinéen a été félicité pour avoir tenu le procès jusqu’à son verdict, cette grâce est un sinistre revers. La grâce présidentielle pour des crimes contre l’humanité est en contradiction avec tous les engagements nationaux, régionaux et internationaux de la Guinée. En effet, le droit international et les traités auxquels la Guinée est partie – y compris le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale – exigent des États qu’ils poursuivent les auteurs de crimes graves tels que les crimes contre l’humanité, afin que les droits des victimes à la vérité, la justice et aux réparations soient respectés. Une telle grâce va également à l’encontre des principes constitutifs de l’Union Africaine et des droits consacrés par la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples.
Dans sa déclaration du 29 septembre 2022 à l’occasion de l’ouverture du procès relatif aux événements survenus en Guinée le 28 septembre 2009, et de la clôture de l’examen préliminaire, Karim Khan, Procureur de la CPI, a rappelé qu’il incombait « désormais aux autorités et aux institutions guinéennes de veiller à ce qu’un processus équitable, crédible, indépendant et impartial soit mené pour que toute la vérité soit faite conformément à la législation. » L’article 4 de l’Accord sur la complémentarité, signé le 28 septembre 2022 entre la République de Guinée et le bureau du Procureur de la CPI, prévoit que « le Bureau du Procureur pourra être amené à revoir son évaluation de la complémentarité à la lumière de tout changement significatif de la situation, notamment l’imposition de toute mesure susceptible de nuire fortement à l’avancement des procédures judiciaires relatives aux événements du 28 septembre 2009 ou de remettre en cause leur authenticité. »
La FIDH, l’OGDH et l’AVIPA réaffirment leur engagement à œuvrer pour que la justice triomphe et se réservent le droit d’explorer toutes les voies de recours existantes, tant aux niveaux national, régional et international.
FIDH