Elle est décédée le 12 mai à Paris, loin de sa Guinée natale qu’elle a servie avec conviction, abnégation et une conscience professionnelle rarement égalée. Professeure Fatoumata Binta Bambadion dirigeait l’Hôpital National Ignace Deen quand elle a été nommée membre du Conseil National de la Transition de 2010. En prenant ses fonctions, elle ignorait certainement que le doucereux paysage politique guinéen était capable de produire des scenarii dignes de Machiavel. Cette présidentielle le lui a cyniquement montré. A son corps défendant. Les Guinéens et leur histoire auront enregistré le scrutin le plus atypique des tropiques en général, de l’Afrique de l’Ouest en particulier. En 2025, la démocratie guinéenne en est encore à breveter les méthodes.
Tout paraissait ordinaire, banal, ce matin du vendredi 22 octobre 2010 sans cette débauche de décibels des haut-parleurs, disséminés à l’Esplanade du palais du peuple, le siège du CNT. Le RPG-Arc-en-ciel d’Alpha Grimpeur y tenait un meeting électoral pour pimenter l’interminable second tour de quatre mois au lieu des deux semaines réglementaires. De temps en temps, la musique cédait la place à des avertissements, des slogans plutôt bizarres du genre : « Ne buvez pas l’eau, elle est empoisonnée. » A la plénière du CNT, ce vendredi, dans la salle du 2 Octobre, la mise en garde à l’eau empoisonnée a dû faire flop, à en juger par l’indifférence des CNTêtrds. Deux raisons au moins pourraient expliquer l’indifférence : la source émettrice était relativement éloignée; les conseillers nationaux qui jouaient la neutralité, active ou passive vis-à-vis des partis politiques, se montraient généralement peu loquaces.
Patatras ! A l’issue du meeting du RPG, les Grimpereaux, jeunes et moins jeunes, se tordent de douleur, tombent par dizaines, victimes de l’eau en sachets qu’ils ont bue. Ils n’ont pas dû écouter les sages conseils des haut-parleurs. Aussi, se retrouvent-ils à l’Hôpital National Ignace Deen, empoisonnés par les militants de l’UFDG de Cellou Dalein Diallo. « Le diagnostic » est sur toutes les lèvres. L’étonnement dans l’air. Et la rumeur circule au maximum de sa vitesse. Elle parvient en Haute-Guinée, profondément altérée : « A Conakry, les Peuls ont empoisonné les Malinkés. » Représailles et chasse à l’homme conjuguent le même verbe. La Haute-Guinée se vide de ses Peuls. Il semble que « la Moyenne-Guinée aurait largement sensibilisé» pour faire échec à la riposte. Heureusement ! A Labé, particulièrement à Doghora, la communauté malinké n’encourt nulle opération de chasse à l’homme. C’est Doghora qu’elle connait. C’est Doghora sa part de Guinée, son moi, sa terre natale, son être. On n’y peut rien.
A Ignace Deen, les autorités de la Transition version Sékouba, et les charlatans d’Alpha, munis de cauris et de queues, ont fait des mains et des pieds, chacun de leur côté, pour soigner les militants empoisonnés. Elles demandent à Pre. Binta Bambadion de s’aligner derrière la thèse de l’empoisonnement. Celle-ci leur oppose le résultat, négatif, de l’enquête qu’elle a commanditée pour en avoir le cœur net. « C’est à prendre ou à laisser », lui dit-on avec fermeté. En préférant laisser, elle se voit évincer de la direction de l’Hôpital national Ignace Deen.
Au CNT de 2010, personne n’a vu en elle le moindre signe de regret. Le 12 mai 2025 à Paris, elle a dû rejoindre Hippocrate le cœur tranquille.
Diallo Souleymane