J’ai récemment visionné sur les réseaux sociaux une vidéo particulièrement saisissante, montrant des citoyennes et citoyens guinéens se livrant à un échange de déchets plastiques contre du riz. Ce court extrait audiovisuel, relayé par de nombreux internautes, documente une scène qui peut sembler, à première vue, anodine, mais qui révèle en réalité une initiative publique à visée écologique. Cette opération a été officiellement lancée le 15 mai 2025 à Conakry, capitale de la République de Guinée, par les autorités locales, dans le but explicite de lutter contre la prolifération des déchets plastiques, devenue depuis plusieurs décennies, un fléau environnemental majeur dans les centres urbains guinéens.
Comme le souligne pertinemment le journaliste Thierno Saïdou Diakité dans son article, dont je propose ici une synthèse : « L’opération- bien que saluée dans son intention-souffre de sérieux dysfonctionnements : absence de sensibilisation préalable, manque de coordination institutionnelle, et mise en œuvre précipitée. Il insiste sur la nécessité d’une pédagogie de masse, d’une concertation multisectorielle, et d’un ancrage dans une stratégie nationale cohérente, notamment à travers l’application effective du décret de 2024 interdisant les plastiques à usage unique. À titre de comparaison, il cite le Rwanda comme exemple de réussite, grâce à une législation rigoureuse, une mobilisation citoyenne continue et une éducation environnementale précoce, suggérant qu’un tel modèle pourrait être transposé en Guinée. »
L’éducation environnementale : un enjeu de civilisation
Ce modèle exemplaire, lorsqu’on l’analyse dans le détail, met en lumière un levier fondamental de toute politique environnementale : l’éducation à l’environnement. Celle-ci ne saurait être conçue comme une opération ponctuelle ou périphérique ; elle constitue au contraire un socle structurant dans toute tentative de transformation durable des mentalités et des comportements. Il est essentiel que cette éducation débute dès le plus jeune âge, idéalement dès la petite enfance.
En tant que citoyenne guinéenne ayant longuement vécu entre la Guinée et la France, je suis en mesure de témoigner, à partir de mon expérience personnelle, des profondes disparités structurelles entre ces deux contextes nationaux, notamment en matière de rapport à l’environnement. En France, les enfants sont sensibilisés dès la crèche à des gestes simples mais structurants : jeter leur pot de yaourt vide à la poubelle, distinguer les matériaux recyclables, respecter l’espace public. Le tri sélectif est intégré dans les routines familiales, soutenu par une logistique nationale efficace en matière de collecte, de traitement et de valorisation des déchets. En Guinée, ces gestes élémentaires restent trop souvent absents, aussi bien dans les foyers que dans les lieux publics.
L’imitation comme moteur d’apprentissage : la responsabilité des adultes
Au cours de mes dernières visites en Guinée, j’ai observé de manière récurrente un phénomène préoccupant : le rejet systématique des déchets plastiques dans l’espace public. Cette pratique, largement banalisée, ne concerne pas uniquement les enfants, mais touche également – et surtout – les adultes. Sachets d’eau consommés dans la rue, bouteilles de soda, emballages alimentaires ou plastiques de marché sont fréquemment abandonnés au sol, sans que cela ne suscite de réaction collective ni de réprobation sociale. Ces gestes inciviques, tolérés voire invisibilisés, sont ensuite intégrés et reproduits par les plus jeunes.

Or, l’enfant apprend par imitation. Il observe, reproduit, puis intériorise les normes qu’il voit mises en œuvre autour de lui. Lorsque les adultes eux-mêmes donnent le mauvais exemple, en banalisant l’incivilité environnementale, les générations futures en viennent à intégrer ces comportements comme légitimes, voire comme culturels. On ne peut espérer une transformation durable sans une rupture nette avec cette tolérance sociale des désordres urbains.
Une pédagogie éco-citoyenne comme point de départ
Il devient donc impératif d’introduire une éducation civique et écologique systématique dans les programmes scolaires, dès le niveau maternel, tout en l’accompagnant d’un minimum d’infrastructures adaptées, à même de soutenir les apprentissages. Il n’est nul besoin d’équipements coûteux : un simple seau ménager recouvert d’un sac-poubelle, mis à disposition dans chaque foyer, pourrait déjà initier une dynamique vertueuse. Il s’agit avant tout d’un choix politique, mais aussi d’un enjeu de mobilisation collective, fondée sur la responsabilisation individuelle et communautaire.
Conclusion : pour une transition écologique ancrée et cohérente
L’opération « plastiques contre riz » lancée récemment à Conakry mérite d’être saluée pour son intention. Elle témoigne d’une volonté politique d’agir en faveur de l’environnement. Toutefois, elle reste, à ce stade, un signal faible : une mesure isolée, plus symbolique que structurelle.
Une politique environnementale ambitieuse ne saurait se réduire à des actions ponctuelles, aussi médiatisées soient-elles. La propreté urbaine ne se décrète pas ; elle se construit dans le temps long, à travers l’exemplarité, la pédagogie, et l’instauration progressive d’une culture écologique profondément enracinée dans les pratiques sociales et les représentations collectives. Pour espérer transformer durablement Conakry – et, au-delà, la Guinée – en une société véritablement soucieuse de son environnement, il sera impératif d’investir dans une éducation précoce, un accompagnement citoyen structuré, et une mise en cohérence des politiques publiques.
C’est à ce prix – et à ce prix seulement – qu’une véritable révolution écologique pourra advenir.
Par Docteure Yassine Kervella-Mansaré, anthropologue