Le 16 juillet, la Ligue islamique préfectorale de Labé a lourdement sanctionné El Hadj Abdoul Hamid Baldé. Elle lui reproche d’avoir tenu, dans un sermon, des propos « offensants » une région et une ethnie. Mais à Labé, comme dans d’autres buissons du bled, la décision a du mal à passer.
Jusqu’à un passé récent, Oustaz Abdoul Hamid Baldé était méconnu du grand public. Mais sa popularité a explosé soudainement, notamment sur les réseaux sociaux. L’imam doit sa célébrité aux sermons directs et tranchants qu’il faits dans une mosquée à Horrè-Holladè, au quartier Companyah, commune urbaine de Labé. Pas une semaine ne se passait sans qu’une de ses sorties au vitriol ne fasse la Une de la toile. Mais tout bascule pour lui, quand, dans son sermon du 11 juillet, il a affirmé que le Fouta-Djalon et Labé sont champions en « traîtrise. » Ce qui suscite l’ire des biens de personnes originaires ou non de cette région. Les appels à une sanction contre le religieux se multiplient.
Sanction disproportionnée
Le 17 juillet, les représentants de l’Inspection régionale des affres religieuses, des ligues préfectorale et communale, des grandes familles de Labé, des autorités administratives…, se sont retrouvés pour plancher sur la sortie de l’imam. Décision est prise de le sanctionner « à la hauteur de sa forfaiture. » El Hadj Mouctar Baldé, secrétaire préfectoral des affres religieuses de Labé, estime qu’il est inconcevable « de tenir de tels propos dans une mosquée. En collaboration avec l’Inspection régionale des affaires religieuses, les ligues préfectorale et communale, les sages de Labé ont suspendu cette personne (imam Hamid, ndlr), jusqu’à nouvel ordre. Il lui est également interdit de mettre pied à la mosquée Horrè-Holladè. On ne fait pas de la comédie à la mosquée, on y adore Dieu. » Selon Hadj Mouctar, Oustaz Abdoul Hamid se laisse même aller à des révélations, alors qu’il « ne figure pas parmi les 5 imams de Horè-Holladè. On considérait qu’il était cultivé, on l’a laissé officier. Mais il en a abusé. »
El Hadj Abdoul Hamid tempère
Plus que la sanction, l’interdiction faite à l’intéressé de mettre pied à la mosquée a outré plus d’un. Celle-ci est jugée disproportionnée et a déclenché une vague de solidarité à l’égard de l’imam Abdoul Hamid Baldé. Ses soutiens estiment que la décision de la Ligue préfectorale de Labé cache des raisons inavouées. Selon Lamine Badral, les ennuis d’El Hadj Abdoul Hamid ne datent pas d’hier : « Il y avait une mésentente entre le père d’El Hadj Abdoul Hamid et feu El Hadj Abdourahmane Bah, ex-imam de la grande mosquée de Labé. Au début, c’était juste de la jalousie, mais cela est devenu finalement une inimitié, une haine. »
Cette incompréhension se serait perpétuée. Quand El Hadj Abdoul Hamid est rentré au bercail, El Hadj Badrou Bah (actuel secrétaire gênant des affres religieuses de Labé, ndlr), aurait cherché à l’embarquer dans son bateau. L’imam n’a pas mordu à l’hameçon : « Il a estimé que son intégrité et les valeurs qu’il défend ne lui permettent pas de s’associer à ce clan et de verser dans certaines pratiques connues à Labé. » Les soucis s’enchaînent alors pour l’imam « rebelle ». « Il officiait à la mosquée de Kompanyah, mais les vieux prenaient ses sermons pour de l’offense, parce qu’il dénonçait les pratiques malsaines dans les mosquées. Ils ont réussi à le chasser contre le gré des fidèles », explique l’artiste, Abraham Singer, neveu de l’imam. Cet après cet épisode que ce dernier s’est rapproché de la mosquée de Horè-Holladè : « Cette mosquée était en chantier, imam Hamid a participé à sa construction. Il a même coordonné la cérémonie d’inauguration avec l’ex gouverneur de la région de Labé, Sadou Keïta en 2017», ajoute Lamine Badral. Abraham Singer se dit certain que la suspension de son oncle est motivée, non pas par sa récente sortie, mais à cause de sa popularité : « Les vendredis, tout le monde se rue vers Horè-Holladè maintenant. Certaines mosquées de Labé sont vides, cela fait mal aux autres. »
Après la sanction, les soutiens à El Hadj Abdoul Hamid Baldé sont venus de partout. De ses fidèles à Horè-Halladè à ses adeptes sur les réseaux sociaux, en passant par certains islamologues originaires du Fouta-Djalon, les condamnations n’ont pas manqué. Ils reconnaissent certes un écart de langage de la part de l’imam, mais dénoncent le fait de lui interdire l’accès à la mosquée, de le sanctionner sans écouter sa version des faits : « Nous ne l’avons pas approché, parce qu’il n’est pas un imam officiel. Nous avons parlé aux responsables de la mosquée », se défend El Hadj Mouctar Baldé, patron du secrétariat préfectoral des affres religieuses. Cela n’a pas empêché un collectif de soutien de se créer sur la toile. Dans un premier temps, le collectif a appelé les soutiens de l’imam à montrer leur mécontentement vendredi 18 juillet, à la mosquée Horè-Holladè et au domicile de l’imam sanctionné. Mais le concerné les en a dissuadé : « Je demande à tous ceux qui m’aiment de ne créer aucun problème. A l’heure de la prière, chacun est libre d’aller prier, mais personne n’a le droit de fermer la mosquée ou de perturber la prière. Celui qui fait cela ne m’aime pas. Cultivons l’amour entre nous », a temporisé El Hadj Abdoul Hamid Baldé.
Un imam qui casse les codes
Abdoul Hamid Baldé, la soixantaine, est le fils de l’érudit, feu El Mamadou Kompanyah, (très connu dans la cité de Karamoko Alpha mo Labé). Natif de Labé, il aura roulé sa bosse, notamment en Sierra-Léone et en Mauritanie, où il aurait appris la théologie et la philologie. Après ses études, il rentre au bercail pour se consacrer d’abord à l’enseignement. Abdoul Hamid donne des cours d’anglais dans différents établissements de Labé. Il fonde ensuite ses écoles privées, notamment une en franco-arabe, qui fonctionne encore. Parallèlement à ses activités religieuses, l’imam continuerait encore à donner des cours d’anglais et d’arabe. El Hadj Abdoul Hamid Baldé est connu pour son franc-parler. Sa façon de prêcher tranche avec les habitudes à Labé et fait écho chez les jeunes. Ce qui lui vouerait, à bien des égards, des inimitiés. Iskine !
Yacine Diallo