Wallahi, notre Guinée est un pays où même la saleté a le hoquet, une sorte de spasme existentiel qui la secoue de fond en comble, tandis que l’argent, lui, a la jaunisse, une maladie chronique qui le rend pâle, anémique, presque invisible dans les poches des honnêtes gens.
Mes amis, les cités opulentes sont celles qui exhalent le soufre âcre des usines, celles où les métiers sont aussi sales que les fortunes brassées à coups de pelles industrielles. Mais chez nous, hé Kéla, les ruelles ne sentent que le charbon de bois et la misère tenace, une odeur douce-amère qui colle à la peau, et le portefeuille, lui, reste désespérément vide, comme une promesse électorale. Le courant, ici, a beau s’améliorer et devenir plus constant, une petite victoire célébrée à grand renfort de fanfares, l’eau du robinet, elle, est devenue un véritable bouillon de culture, plus polluée qu’un discours politique ! On ne compte plus sur la SEG, Wallahi, mais sur les forages individuels qui poussent partout, comme des champignons, ou plutôt comme des verrues sur une peau déjà bien amochée. Bientôt, Conakry risque de s’affaisser avec un grand cri, non pas à cause des pluies diluviennes qui lavent nos péchés, mais à cause de la prolifération anarchique de ces trous, comme une éponge rongée. Hé Kéla ! Un jour, on nous promet que tout le monde sera heureux, que le paradis sera ici, juste là, à portée de main. Amen ! En attendant, on continue de manger du riz et des haricots, et à marcher à pied.
Ah, Simandou ! Ce n’est pas juste un minerai enfoui dans les entrailles de la terre, Wallahi, c’est toute une partition nationale, le grand opéra du développement dont la symphonie grandiose dépend du projet colossal d’extraction du fer. On nous le présente comme un horizon d’or pur, de prospérité scintillante, le grand rendez-vous avec notre destin, le rêve où la Guinée roulera enfin sur des rails d’or massif. On va prier pour éviter que ce programme ne se transforme en Simandou deux-mille carences qui serait la preuve gravée dans le roc d’un rendez-vous manqué avec l’histoire, comme d’habitude. À Fakoudou !
Ah, la Guinée ! Un pays où le seul planning qu’on respecte scrupuleusement, c’est celui des remaniements ministériels. Les décrets, chat tombe plus souvent que la pluie, et ça, chat donne du boulot aux marabouts, féticheurs, charlatans et sorciers de tout genre, qui voient leurs carnets de rendez-vous se remplir à la vitesse d’un décret présidentiel ! Ils ont le vent en poupe en ce moment, leurs gris-gris se vendent comme des petits pains chauds. Chaque Guinéen s’imagine déjà ministre, le décret à la main et le fauteuil moelleux en ligne de mire. C’est la maladie nationale : l’attente du décret, l’obsession du fauteuil, une fièvre qui consume les esprits et vide les poches. Du coup, nos karamos ont les poches pleines, Wallahi, à force de consultations pour les incantations, les bains purificateurs à base de feuilles mystérieuses, les gris-gris porte-bonheur cousus main, histoire de s’assurer une place au soleil, ou du moins, à l’ombre d’un ministère où la clim fonctionne.
Ah, la Guinée ! Un pays où même le pain a pris des ailes, et pas pour voler directement jusqu’à nos bouches affamées ! Hé Kéla ! Les marchés ressemblent à des galeries d’art contemporain où chaque denrée est une œuvre inestimable, hors de portée. La pauvreté, elle, ne se cache plus ; elle défile en grande pompe, vêtue d’oripeaux mais le ventre criant plus fort que les klaxons de nos motards endiablés. On se demande si nos ventres ne sont pas en train de développer une nouvelle forme de spiritualité, celle qui consiste à prier pour le miracle d’un Attiéké à prix décent, une hostie laïque pour les âmes affamées. À Fakoudou !
Mes amis, j’ai vu l’autre jour, au détour d’un embouteillage monstre, un conducteur de taxi-moto tentant désespérément de démarrer son engin à la poussette, en plein déluge, sous des trombes d’eau qui transformaient les rues en rivières boueuses. Il suait à grosses gouttes, des ruisseaux de boue lui coulaient sur les pieds, et sa moto, elle, répondait par des râles métalliques qui ressemblaient étrangement aux plaintes d’un djinn enrhumé, ou d’une vieille machine à coudre en fin de vie. Finalement, il a abandonné, s’est assis sur sa selle trempée, le regard perdu dans le vide, puis a sorti un petit miroir de sa poche. Le Simbon ! Il s’est regardé longuement, a soupiré comme un acteur de pessé, puis a commencé à se parler à lui-même, comme s’il discutait avec un ministre imaginaire, assis à côté de lui sur la selle : « Monsieur le Ministre, Wallahi, mon moteur refuse la misère ! Il n’est pas conçu pour ces routes qui ressemblent à des estomacs malades, pleins de bosses et de creux ! »
Le plus drôle, hé Kéla, c’est que les passants, au lieu de s’étonner de cette scène surréaliste, lui donnaient des conseils avisés : « Dis-lui de faire un sacrifice, mon frère, un coq blanc, chat marche à tous les coups ! » Wallahi, même nos pannes mécaniques ont leur propre spiritualité dans ce pays, où le garage se transforme en temple et le mécanicien en grand prêtre !
La Guinée ! C’est hihihi ! Un pays où même la Constitution a sa propre saveur, et celle-ci a le goût du pain béni pour certains, un goût de victoire sucrée, mais une amertume persistante, comme un café sans sucre, pour d’autres ! On nous a servi une Nouvelle Constitution, Wallahi, avec un plat de promesses démocratiques, un menu alléchant sur le papier, mais à y regarder de plus près, c’est une recette savamment concoctée pour garantir une seule chose : la continuité, une sorte de formule magique pour l’éternité. Ce texte, hé Kéla, a été moulé avec une telle dextérité qu’il ressemble à un moule sempiternel, un moule incassable, indéformable. Ses promoteurs, ces boulangers de l’ombre qui manient la pâte constitutionnelle avec une habileté déconcertante, se frottent les mains : ils y ont glissé des articles tellement souples qu’ils peuvent s’étirer à l’infini, des clauses tellement élastiques qu’elles épousent toutes les ambitions, même les plus démesurées, comme une seconde peau. Avec cette « nouvelle » recette, ils ont le champ libre pour pétrir le pays à leur guise, sans se soucier du levain démocratique qui pourrait faire gonfler les espoirs de changement. C’est un festin pour eux, Wallahi, un banquet sans fin. Et nous, les convives forcés, on ne peut que saliver devant une alternance qui reste un mythe, plus rare qu’une pluie d’or à Siguiri. À Fakoudou !
Alors, face à tant d’incertitudes, de pirouettes politiques et de réalités quotidiennes, on ne peut que continuer de lever les bras vers le ciel, non pas en signe de capitulation, Wallahi, mais pour implorer le Seigneur des mondes de nous couvrir de Sa miséricorde et, qui sait, de nous envoyer un plan de sortie de ce labyrinthe kafkaïen. À Fakoudou !
Sambégou Diallo
Billet
Prêt pour l’éternité, mais …
Il y avait quelqu’un qui regardait son vieux drapeau guinéen, un peu usé par le temps. Et il a soupiré, un soupir qui venait du fond de l’âme. Puis il a murmuré :
« Le jour du jugement dernier, je n’irai pas les mains vides. Non, je brandirai fièrement le drapeau de mon pays ! Parce que, Wallahi, on ne peut pas faire l’enfer deux fois. Une fois, ça suffit amplement, surtout quand on y a déjà vécu toute une vie. Prêt pour l’éternité, mais pas pour la rediffusion ! » À Fakoudou !
SD