À Kaporo-Marché, l’un des lieux de négoce les plus dynamiques de la commune de Ratoma, les nounous mènent la danse du commerce sous un soleil inopiné. Vendeuses de poissons, de condiments ou de mets fumants, elles triment chaque jour, avec courage et résilience, pour faire vivre leurs familles nombreuses. Immersion dans leur quotidien rude mais digne.
Kaporo-Marché, il est 10h ce 30 juillet. Nous sommes en pleine saison des pluies, pourtant, ce matin-là, le ciel de Cona-cris s’est montré clément. Aucun nuage menaçant ! Les tôles ondulées, les bâches trouées scintillent ; l’atmosphère du marché est torride. Commerçants et clients s’empressent de saisir l’occasion, qui pour écouler leurs produits, qui pour faire leurs courses.
Il est 10h passées: la foule afflue; le vacarme est permanent : « Pip ! pip! laissez passer, s’il vous plaît ! », crie un jeune homme poussant un chariot chargé de cartons. « Les tomates sont fraîches, madame, venez voir ! » lance une vendeuse.

Les voix, les articles, les odeurs, tous s’emmêlent. Les vendeuses, ces reines du marché sont partout. Debout, marchant, accroupies, hélant, négociant… Certaines ont la quarantaine, d’autres plus de la cinquantaine. Sur leur tête : des bassines fumantes. Riz sauce feuille, lafidi, haricots… Chaque plat est soigneusement gardé au chaud pour ne pas laisser indifférent le ventre des passants. Sur les étals : gombo, oignon, piment, tomate, poisson. Et autour, les mouches, les regards.
Mère et père de famille
Non loin des vendeuses de condiments, les poissonnières. Parmi elles, Fatoumata Bah, la quarantaine, un peu maigre, sourire doux mais visage fatigué. Elle chasse d’un revers de main les mouches qui s’invitent sur son poisson frais. « Je me lève très tôt le matin pour aller au port chercher du poisson », confie-t-elle. « Actuellement, c’est difficile d’en avoir, renchérit la nounou. Avec la saison pluvieuse, les pêcheurs sortent rarement. Je laisse mes enfants à la maison, seuls. Leur père est décédé il y a deux ans. Je n’ai pas le choix, je dois trouver de quoi les nourrir. Comme c’est les vacances, mes deux filles viennent parfois m’aider. Pour payer leur scolarité à la rentrée, je dois faire beaucoup de sacrifice. C’est très difficile pour moi, je vous assure. »

Le sourire de Fatoumata cache mal l’épuisement, le poids qu’elle supporte. « Parfois, on est obligé de vendre plus cher à cause de la rareté de poissons. Les clients se plaignent, mais nous aussi on subit », conclut-elle.
À côté d’elle, une vendeuse de tomates et autres condiments qui préfère garder l’anonymat. Elle pousse un coup de gueule: « L’État doit nous venir en aide ! On n’a pas d’abri digne. Quand il pleut, tout est inondé. Parfois, nos marchandises pourrissent. Il faut qu’on nous construise des hangars solides, qu’on réduise nos taxes aussi. Même les toilettes sont rares ici, c’est une honte. »
Pilliers de l’économie informelle
Ces nounous, qu’on croise sans les regarder vraiment, font partie des piliers de l’économie informelle guinéenne. Elles nourrissent la ville, éduquent des générations et pourtant, elles n’ont ni sécurité sociale ni garantie d’avenir.

Leur quotidien est comme la météo, rythmé par les fluctuations des prix, les contrôles de taxes, les mouvements des clients pressés… Mais aussi par l’espoir : celui de construire une maison, de scolariser une marmaille, ou simplement de manger à sa faim demain.
Quand nous quittons Kaporo-Marché, le soleil est au zénith. Le vacarme continue. Les nounous s’affairent, souriantes ou silencieuses, fortes malgré tout.
Fatoumata, en nous regardant partir, nous lance ces maux en poular : « Nous aussi, nous n’avons pas choisi cette vie difficile, nous n’avons juste pas d’autre alternative. »
Aïssatou Bah (Stagiaire)