Le 25 août 1958 balise et immortalise la marche de la Guinée vers la reconquête de sa souveraineté. Ce jour qui disparait peu à peu dans le tréfonds de la mémoire collective, le Général Charles de Gaulle, président du Conseil de gouvernement français, arrive à Conakry. Il est en pleine campagne référendaire pour présenter le projet de constitution de la 5ème République aux colonies françaises d’Afrique centrale et occidentale. Sa virée africaine est d’autant plus intéressante que ledit projet intègre de profondes réformes institutionnelles : création d’une vaste communauté franco-africaine composée de la Métropole et d’États dotés d’une semi-autonomie, avec un possible accès à l’indépendance totale.

Tout le gotha politico-administratif de la Guinée française est sur le tarmac de l’actuel Aéroport international Ahmed Sékou Touré pour accueillir le Général : d’un côté, le Gouverneur de la colonie, Jean Mauberna, entouré des principales autorités de l’administration coloniale. De l’autre, le président du Conseil de gouvernement, Sékou Touré, le président de l’Assemblée territoriale, Saïfoullaye Diallo, les membres du Conseil de gouvernement de la Loi Cadre. L’attente sera de courte durée. L’avion présidentiel point à l’horizon, approche, survole les cocotiers, atterrit et s’immobilise. Les portes s’ouvrent. Charles de Gaulle apparait, sanglé dans une impeccable tenue militaire kaki. Il descend les marches d’un pas majestueux, sert la main des personnalités. Ensemble, ils rejoignent le salon d’honneur, puis s’engouffrent dans des voitures officielles pour rallier le Palais du Gouverneur à Kaloum (site actuel de Sékhoutouréya).

De Gaulle aux anges

Des deux côtés de la route du Niger, le PDG a impeccablement aligné ses militants qui dansent et chantent. Féérique à l’envie, le spectacle émerveille un Général de Gaulle aux anges. Au Palais du Gouverneur, pendant que l’hôte de marque se détend à l’étage, responsables africains et Blancs dissertent dans les salons du rez-de-chaussée. Une interrogation les taraude et perturbe leur sérénité. Le Général a-t-il lu le discours que Sékou Touré doit prononcer et qui lui a été remis depuis Abidjan par un haut responsable du RDA, Gabriel d’Arboussier ? Sékou Touré qui a été le seul à s’entretenir avec de Gaulle à l’étage en rajoute à l’émoi en rapportant que celui-ci ne lui a dit mot de son discours que Mauberna avait lu et légèrement retouché. Jacques Foccart croyait que le Général partagerait son opinion à Sékou Touré. Que nenni ! Foccart nourrissait l’espoir de s’entretenir à ce sujet avec le Général dans la voiture qui les emmènerait du Palais du Gouverneur à l’Assemblée territoriale, où se tenait la réception. Mais, le trajet très court, le Général convie tout ce beau monde à la marche.

C’est l’anxiété dans l’entourage proche de l’homme de Colombey les Deux Églises, qui ne lira pas, en fin de compte, le discours. Les officiels sont accueillis et installés dans la salle de l’Assemblée territoriale par les conseillers territoriaux. Dehors, dans les rues adjacentes, trépigne et chante une foule compacte composée essentiellement des militants du PDG-RDA. Saïfoullaye Diallo souhaite la bienvenue à de Gaulle et à sa délégation. Altier, du haut de son imposante stature, dans un style chatoyant, amène, sans rugosité particulière, il évoque les relations entre la France et la Guinée qui doivent désormais évoluer vers les aspirations du peuple guinéen à la liberté et à la dignité.

Passe d’armes entre Sékou et de Gaulle

Puis Sékou Touré se lève et d’un pas ferme s’approche du micro. Tonitruant, sa voix forte résonne dans l’oreille de la foule massée dehors. Il broche lui aussi les rapports coloniaux entre la Métropole et la colonie dans une rhétorique revêche, le ton révolutionnaire. Plus il parle, plus le ton devient martial, hitlérien. C’est le tribun qui s’exprime. A sa puissante voix font écho le hourra de la foule et les applaudissements des conseillers territoriaux. Et vint le point d’orgue de ce discours mémorable : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage. »

Le verbe, le ton et l’attitude de Sékou Touré ont visiblement agacé le Général qui réplique : « On a parlé d’indépendance. Je dis ici plus haut encore qu’ailleurs que l’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre le 28 septembre en disant NON à la proposition qui lui est faite. Et dans ce cas, votre territoire suivra comme il voudra et dans les conditions qu’il voudra la route qu’il voudra ».

Le divorce est consommé, après 60 ans de mariage. La suite du séjour du Général et de ses compagnons est exécrable. Maurice Couve de Murville, ministre des Colonies et Pierre Messmer, Haut-commissaire de l’AOF, renoncent d’être hébergés par leur ami Sékou Touré, chez qui se trouvaient déjà leurs valises. L’atmosphère est lourde dans l’entourage du Général. L’étape de Conakry entamée dans la bonne humeur s’achève dans la mélancolie, la bouderie.

Abraham K. Doré