Mon Général, rendez-moi au moins le chevreau boiteux porté disparu. Même s’il n’a jamais brouté une seule herbe fraîche de sa vie. Enfin, je ne l’ai jamais vu le faire, ce qui ne prouve rien d’ailleurs, vu qu’en Guinée, on peut être ministre de l’Agriculture sans jamais avoir planté une arachide. À cause de ce chevreau, j’ai bien peur de perdre ma crédibilité. Vous direz: « Encore un citoyen en moins, c’est quoi tout chat ? » En plus, je suis un petit chroniqueur qui se moque de tout et qui mange son attiéké froid. Mais Mon Général, ce n’est pas facile de tenir une chronique qui ne tient qu’à un bêlement.
Nous sommes coincés entre les histoires de Simandou, les visites de terrain, les rencontres animées par le DJ Diack. À Fakoudou ! Bientôt, il faudra louer un remorqueur pour tirer la Guinée jusqu’aux Émirats, juste pour voir si la pluie de milliards promise par le Karamo de la Banque centrale vanous rattraper enfin. C’est possible ! Autant que de trouver un billet de 20 000 flambant neuf qui ne sente pas la sueur de quelqu’un. Bon, si on tombe en rade au milieu de l’océan, on deviendrait une île touristique. Avec, comme guide officiel, mon chevreau boiteux.
Hé Kéla ! Avant, les ingénieurs se cachaient quelque part, sans doute pour chercher sur Google « comment faire briller un projet sans rien produire ».
Et puis, mon Général, aujourd’hui, on y voit plus d’influenceurs, de filtres Instagram et de hashtags que de spécialistes s’exprimer. Et ça craint, à Fakoudou ! Parce que le minerai ne sortira pas de terre par politesse ou suivant la quantité de vidéos TikTok, Wallahi ! Mais on Chen fout !
Et puis ce n’est pas tout, Mon Général. En ce moment, mon perroquet refuse de parler. Il soupçonne qu’il y a trop de micro-espions dans le quartier. Moi, j’ai remarqué que les moustiques n’ont plus peur des moustiquaires. Un peu comme nos gros voleurs et nos lois : ils se regardent, ils se sourient, et tout le monde rentre dormir. C’est peut-être pourquoi, dans les manifs, on préfère arrêter ceux qui payent l’électricité à temps. Les vrais coupables, eux, sont trop dangereux… et puis, ils n’ont pas de compte bancaire.
Mon Général, mon chevreau est parti sans sa cloche au cou. Peut-être qu’il est coincé quelque part dans un bureau climatisé. Demandez à votre ministress de l’Agriculture, elle saura. J’espère juste qu’elle versera son prix dans le fameux « Fonds pour la maintenance des espoirs déçus ». Il n’y a pas de petites économies. D’ailleurs, j’ai trois poules : quelqu’un a peint la plus grosse en doré. Depuis, les deux autres n’osent plus pondre, de peur de se faire repeindre. Elles se contentent de caqueter quand il n’y a personne.
Alors, quand le silence est trop grand, je me réveille en sursaut : le chevreau n’est plus là. Mon Général, je me répète : rendez-moi mon chevreau boiteux. Lui seul m’aide à supporter ce pays boiteux. Et qu’on le veuille ou non, ici, même les chèvres finissent par comprendre la politique.
Mon Général, vous avez créé une unité de drones. Wallahi ! Mais permettez-moi de me gratter la tête : fallait-il d’abord installer l’usine, ou bien, comme d’habitude, on va tout importer — les drones, les formateurs, peut-être même les piles et les notices en persan ? Hé Kéla ! C’est ça le paradoxe en Guinée : on a tout dedans —les ingénieurs, les matières premières, même le savoir-faire qui sommeille dans les ateliers— et pourtant, il faut que tout vienne de l’extérieur. Wallahi, si ça continue, on finira par importer l’air qu’on respire et le sourire des enfants. On Chen fout ! Et moi, pauvre chroniqueur, je me demande si un jour mon chevreau boiteux ne sera pas recruté comme pilote de drone officiel, juste pour montrer qu’ici, même les animaux savent mieux s’adapter que nous.
Wallahi, nous, pauvres populations, on voudrait une unité qui ferait tomber directement du riz et du poisson dans nos marmites. À fakoudou ! Parce que, de toutes les guerres, conventionnelles ou pas, la Guinée les a menées… à l’extérieur. Zéro guerre importée chez nous. Hé Kéla ! Alors pourquoi nos drones ne largueraient-ils pas quelques tonnes de riz, un poisson frais par-ci, un sac d’arachides par-là ? Wallahi, ça aurait plus de sens que de faire voler des engins sophistiqués au-dessus de nous pendant que nos marmites crient famine. On Chen fout ! Même mon chevreau boiteux, lui, s’en est rendu compte avant de disparaître.
Ah Mon Général, si au moins ces drones pouvaient larguer des billets de banque dans nos marchés et nos écoles ! À fakoudou ! Et nous, pauvres citoyens, courant partout comme des poulets sans tête pour en attraper un avant qu’il ne s’envole. Hé Kéla ! Wallahi, ça aurait plus de sens que de nous montrer des manœuvres aériennes pendant que nos poches crient famine. On Chen fout ! Même mon chevreau boiteux applaudirait, levant ses pattes comme pour dire : « Voilà enfin un vol qui nourrit ! »
C’est le moment d’organiser une conférence nationale, Mon Général ! À fakoudou ! Mais pas n’importe quelle conférence : cette fois-ci, chaque Guinéen doit convier ses maîtresses, passées, présentes, et même celles qu’il espère rencontrer un jour, pour tenir devant les caméras du monde entier sa propre conférence nationale. Hé Kéla ! Oui, chaque citoyen, avec son discours, son PowerPoint bricolé, et ses excuses flamboyantes, parce qu’il s’agit d’être plus honnête que possible pour espérer le pardon universel.
Wallahi, imaginez la scène : le salon de la télévision transformé en arène, des Guinéens qui gesticulent comme des marionnettes, les maîtresses qui prennent des notes comme des minustres, et les voisins qui regardent par les fenêtres avec des jumelles volées. On Chen fout ! Même mon chevreau boiteux, perché sur le rebord du studio, essaie de parler à son tour, mais on l’arrête parce qu’il n’a pas de micro. À fakoudou ! Les techniciens courent partout, confondent les câbles, tombent dans les plantes vertes, et tout le pays regarde, bouche bée, en se demandant si on est en Guinée ou dans un cirque interplanétaire.
Et le plus beau, Mon Général ? Pendant que chacun raconte ses exploits, ses mensonges et ses excuses, un drone survole la salle pour larguer… des billets et des sardines en conserve. Hé Kéla ! Wallahi, on saurait bien qui tient à l’argent et qui mise sur l’amour !
Mon Général, depuis l’exil des principaux leaders de l’opposition et la démolition de leurs résidences, cette histoire de récupération des domaines de l’État a pris un imposant coup de frein. À fakoudou ! Wallahi, c’est comme si quelqu’un avait essayé de freiner un éléphant avec un trombone. Hé Kéla ! Alors, pourquoi ? L’objectif est-il atteint ?
Et pendant que tout cela se joue, Mon Général, moi je reste là, à gratter la terre de mon jardin en espérant que, quelque part, le chevreau boiteux trouve un domaine à récupérer avant moi. Hé Kéla ! Wallahi, si ça continue, même les pierres vont réclamer un permis de construire, et moi, je me retrouverai propriétaire… d’un rêve. À Fakoudou !
Sambégou Diallo
Billet
Un chat m’a conté
Mon Général, mes poches sont vides, mes marmites crient famine, et mes chèvres prennent des notes, Wallahi ! Même les billets volent plus vite que nos rêves. À Fakoudou !
SD