Figure emblématique de la musique guinéenne, Sékou Diabaté Bembeya est membre fondateur du légendaire orchestre national, le « Bembeya Jazz ». Guitariste de renom qui lui vaut le sobriquet « Diamond fingers », auteur-compositeur, arrangeur et chef d’orchestre, durant des années, Sékou Diabaté a marqué des générations d’artistes du pays. Dans cette interview accordée à notre rédaction lundi 11 août, il est revenu sur la naissance du groupe, ses succès en Guinée et à l’international, ainsi que sur les défis actuels de la musique guinéenne.
La Lance : Comment le Bembeya Jazz est-il arrivé sur la scène musicale guinéenne ?
Sékou Bembeya Diabaté : Nous ne sommes pas arrivés à Conakry tout de suite. Avant nous, il y avait déjà deux grandes formations soutenues par l’État : Kélétigui et ses Tambourinis et Balla et ses Baladins. Ce sont eux qui ont été les premiers à bénéficier du soutien national, à travers des tournées et des missions pour faire vivre la musique guinéenne. Le Bembeya Jazz a été créé en 1961, mais c’est après plusieurs compétitions régionales qu’il a été repéré. Sous le régime du président Sékou Touré, il y avait des festivals annuels qui permettaient de détecter les meilleurs orchestres du pays. C’est grâce à ces sélections que nous avons été appelés à rejoindre la capitale, comme troisième orchestre national, après Kélétigui et Balla.
Quels souvenirs gardez-vous de vos tournées à l’étranger, où vous avez défendu les couleurs de la Guinée ?
Nous avons enregistré plusieurs disques et participé à de nombreuses tournées internationales. On est allés en Europe, aux États-Unis, au Japon etc. On a aussi remporté des prix dans plusieurs grands événements comme le Festival panafricain d’Alger, le Festival du Nigeria, ou encore celui du Sénégal. Sur le plan national, le Bembeya a aussi été récompensé. Même si je n’étais pas encore à la tête de l’orchestre à cette époque, je me souviens très bien que nous avons reçu plusieurs récompenses en Guinée. Ces prix ont été importants pour notre reconnaissance et notre montée vers Conakry.

Grâce à ces différents résultats, nous avons formé plusieurs autres artistes. Youssouf Bah par exemple, qui a commencé dans le groupe 7-7 Camayenne, et qui venait lui aussi du Bembeya. Malheureusement, il est décédé. Mais il y en a eu beaucoup comme lui.
Alors quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’évolution de la musique guinéenne ?
Honnêtement, la vraie musique guinéenne est en difficulté. C’est une situation regrettable. Il reste encore quatre grandes formations historiques, mais certaines ne sont plus complètes. Kélétigui et ses Tambourinis, Balla et ses Baladins manquent de musiciens. Aujourd’hui, on ne peut pas comparer les époques, ni les hommes. À notre temps, nous vivions de notre art, grâce à un système mis en place pour le peuple, pour le bien de tous. Ce système a été abandonné. Et tout le monde sait que seul l’État peut organiser durablement les groupes culturels. Malheureusement, ceux qui ont pris la relève n’ont pas su préserver cela. C’est la cause principale des difficultés actuelles.
Qui en est responsable, selon vous ?
Je ne désigne personne en particulier. C’est une responsabilité collective. Mais chacun voit bien où en est aujourd’hui la culture guinéenne, notamment les orchestres nationaux (…) Nos jeunes réussissent à l’international, ce qui est très bien, mais n’oublions pas les fondations de notre culture : les Ballets Africains, les Tambourinis, les Baladins, le Bembeya Jazz etc. Ces ensembles ne fonctionnent plus comme avant, principalement à cause du manque de moyens et certains ne sont plus au complet.
Le Bembeya pourra-t-il continuer, sans ses anciens piliers ?
Par la grâce de Dieu et grâce au travail des membres, le Bembeya Jazz est encore complet. Mais nous avons besoin de moyens financiers pour continuer. Ces quatre orchestres sont de véritables écoles de formation. Tous les grands guitaristes d’aujourd’hui, comme Jessi Mori, Djékoria Mori ou Lakaras Sissoko, sont passés par là. Donc, le Bembeya Jazz peut bien continuer en l’absence de certains piliers comme moi.
Le Bembeya Jazz a-t-il aussi contribué à faire émerger de grandes voix guinéennes ?
Oui, Sékouba Bambino en est un bel exemple. C’est nous qui l’avons découvert à Siguiri en 1982 et l’avons fait venir à Conakry. Son vrai nom est Sékou Diabaté, mais comme il y avait déjà deux Sékou dans le groupe, on l’a surnommé « Bambino », c’est-à-dire le Petit.
Nous avons formé des jeunes musiciens capables de prendre la relève. Mais, il nous manque des choses essentielles, comme des instruments. À date, on peut dire qu’il y a espoir, parce que l’État, à travers le ministre Moussa Moïse Sylla, a commencé à faire un effort, il se bat pour redonner vie à ces orchestres. C’est un effort que nous saluons. Il a doté certains orchestres, même en région, d’équipements. C’est un bon début. Nous espérons que cela va continuer, et nous lui demandons de poursuivre dans ce sens.
Mais au-delà, il nous faut des instruments et des lieux pour se produire. C’est notre travail, notre source de revenus. Si cela est assuré, nous pouvons continuer à faire vivre la culture.
Hormis ces efforts, pensez-vous qu’un Palais de la Culture soit aujourd’hui nécessaire pour la Guinée ?
C’est une priorité. Il pourrait accueillir des milliers de personnes et servir de cœur à la vie culturelle du pays. La Guinée en a besoin, et elle en a les moyens. Avec les ressources dont elle dispose, il suffit d’une gestion honnête et responsable pour le réussir.
Interview réalisée par
Mariama Dalanda Bah