Adama Keita, 75 ans, père du journaliste Mamoudou Babila a été  »enlevé » le 29 septembre à Nzérékoré, à son domicile par des inconnus. Sa famille n’a toujours pas de ses nouvelles et interpelle l’Etat guinéen ainsi que la communauté internationale. Cellou Dalein Diallo, lui, condamne avec la plus « grande fermeté » et exige sa libération.

Ce n’est plus inédit en Guinée. Les enlèvements deviennent récurrents. A l’aube du 29 septembre à Nzérékoré, Adama Keita a été kidnappé à son domicile. Selon sa famille, le septuagénaire s’apprêtait à aller à la mosquée, non loin de chez-lui, quand trois hommes encagoulés ont fait irruption devant sa maison et l’ont kidnappé. L’un de ses enfants que nous avons joint au téléphone, ayant requis l’anonymat, dit avoir tenté de sauver son père de ses ravisseurs sans reconnaître ce dernier. «Ce sont ses cris qui m’ont réveillé. Quand je suis sorti de ma chambre, j’ai vu trois individus le tenir avec force en courant vers un carrefour. J’ai tenté de le sauver, sans succès. Ses ravisseurs portaient des cagoules.»

Notre interlocuteur ajoute que deux véhicules de couleur noire et grise de marque Toyota Pradro étaient en attente à 30 mètres de leur domicile. «Ils l’ont embarqué dans l’un des véhicules et l’autre a suivi. Ses ravisseurs n’étaient pas en treillis,» précise-t-il, avant d’avouer qu’il n’a pu identifier l’immatriculation des véhicules. Il explique comment il a su qu’il s’agit bien de son père qui a été enlevé. «Aucun membre de la famille ne savait que papa a été enlevé. Le matin, avant de me rendre au marché où mon père et moi vendons, je me suis rendu dans sa chambre. Bizarrement, j’ai trouvé que ses téléphones et son sac étaient sur place, les clés de son magasin également. C’est là que je me suis rendu compte qu’il n’est pas allé au marché. J’ai appelé ses amis du marché, ceux avec qui il chemine souvent pour la mosquée, ils m’ont dit qu’ils n’ont pas ses nouvelles. J’ai compris que c’est lui qui a été enlevé à 5 heures du matin.» Notre informateur révèle qu’à la veille du kidnapping de son père, deux jeunes étaient venus à moto dans son quartier. «Ils ont demandé à un frère où est logé la famille Babila, prétextant qu’ils ont un coli à récupérer. Il leur a indexé les deux concessions, ils ont fait quelques minutes devant une des maisons, avant de repartir.»

« Il ne milite dans aucun parti politique »

Le père de Mamoudou Babila est marchand. «Il ne milite dans aucun parti politique. Jusque-là, nous n’avons aucune de ses nouvelles. Nous sommes inquiets. La police et la gendarmerie ont été informées de son enlèvement.» Notre interlocuteur affirme que l’enlèvement de son père est lié à la prise de position de son frère journaliste, Mamoudou Babila Keita, en exil depuis le 23 juillet 2024. «Mon père n’a aucune responsabilité de ses dénonciations. Il n’est au courant de rien de la politique.» Il lance un appel pressant. «Nous demandons à l’Etat de nous aider à retrouver notre père, il n’a rien fait.»

Mamoudou Babila Keita

Communauté internationale interpellée

Suite à l’enlèvement de son père, Mamoudou Babila a interpellé la communauté internationale. Pour lui, ce kidnapping «constitue une grave atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés individuelles. Mon père n’a aucune responsabilité dans mon travail journalistique et ne devrait en aucun cas en subir les conséquences.» Il ajoute aussi que son oncle, cultivateur, frère aîné de sa mère et «sous menace d’enlèvement, ce qui l’a contraint à fuir son village Babila» dans la préfecture Kouroussa. Le journaliste lance un appel à toutes les institutions nationales et internationales, aux organisations de défense des droits humains et aux représentations diplomatiques, «afin qu’elles se mobilisent pour obtenir sa libération immédiate et sans condition. J’interpelle solennellement la conscience nationale et internationale afin que cessent ces pratiques d’intimidation et de représailles visant ma famille».

La junte pointée du doigt

Après le kidnapping, les dénonciations fusent de partout. Le 29 septembre, Cellou Dalein Diallo, leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), depuis l’étranger dénonce «cette nouvelle dérive qui inaugure un modus operandi d’une extrême gravité : s’attaquer aux parents à défaut de mettre la main sur le fils en exil. La junte persiste dans sa folie liberticide, son cynisme et sa cruauté», soutient l’opposant. Il se dit indigné de voir qu’un vieil homme «à la santé précaire soit kidnappé en raison des prises de position politiques de son fils. Je condamne avec la plus grande fermeté l’enlèvement.» Il exige sa libération «immédiate et rend la junte seule responsable de tout ce qui arrivera au vieil homme».

L’enlèvement d’Adama Keita, 75 ans, allonge la liste des kidnappings en Guinée. Après les disparitions entre juillet et décembre 2024 de Oumar Sylla alias Foniké Menguè, Mamadou Billo Bah du FNDC (Front national pour la défense de la Constitution), Habib Marouane Camara (journaliste), Saadou Nimaga (ancien secrétaire général du ministère des Mines), Mamadou Bory Barry dit Mabory, militant de l’UFDG, a été nuitamment enlevé le 4 septembre dernier. La veille, Younoussa Youla, le fédéral du FNDC à Dixinn a été enlevé. Ils n’ont toujours pas donné de leurs nouvelles.

Souleymane Bah