Le 28 septembre à Conakry, victimes et ONG nationales et internationales des droits humains ont commémoré l’an 16 du massacre du 28 septembre 2009. Au menu, le retard des procédures, l’indemnisation des victimes, la grâce controversée à Moussa Dadis Camara.
À la faveur d’une conférence de presse conjointe à la Maison commune des journalistes à la Minière (commune Dixinn), la FIDH, l’OGDH et l’AVIPA ont éclairé l’opinion sur les différentes procédures dans le dossier du massacre du 28 septembre 2009. Me Alpha Amadou DS Bah, avocat de la partie civile dans le procès et président de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH), déclare que plusieurs victimes ont déjà bénéficié de la réparation, mais nombreuses autres n’ont pas été prises en compte. « Avant même que cette indemnisation ne commence, le général Mamadi Doumbouya a gracié le capitaine Moussa Dadis Camara. Nous avons dénoncé la décision. Le Président peut gracier qui il veut, mais il y a une procédure à respecter, définie dans le Code de procédure pénale. » Selon lui, une grâce n’est accordée que quand une procédure devient définitive, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de recours possible. Or, le capitaine Moussa Dadis Camara a été gracié alors que la procédure en appel est pendante devant la Cour d’appel de Conakry où la plupart des parties au procès (première instance) ont interjeté appel. « Ce décret, nous le considérons illégal. La grâce envoie un signal préoccupant : l’impunité. Si elle n’est pas annulée, non seulement elle viole le Code de procédure pénale, mais également tous les standards en matière de crimes contre l’humanité, car il y a des règles générales encadrant toute procédure locale et internationale. »
L’avocat relève que la grâce accordée à l’ancien chef de la junte, en mars 2024 pour des « raisons de santé », vide le sens du procès en appel, car le capitaine Dadis pourrait ne pas comparaître. « Dès lors qu’il y a appel, la suite logique est que les juges d’appel examinent les recours exercés par les parties au procès. Mais, cela fait un an que nous attendons. Aucune information claire quant à la programmation du dossier. Pour nous, il s’agit d’un blocage manifeste », charge le président de l’OGDG. Ajoutant qu’il « est impératif que le procès soit programmé, afin que la procédure connaisse enfin son épilogue. »
« L’impunité ne réconcilie pas »
En ce qui concerne le dossier de Bienvenue Lamah, accusé dans l’affaire du massacre du 28 septembre, Me DS Bah estime qu’il n’y a pas d’obstacle juridique pour programmer son procès devant le tribunal criminel de Dixinn. Toutefois, la procédure traîne.
Mme Asmaou Diallo, la présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA) indique que sur 730 victimes constituées parties civiles et plus de 450 auditionnées, seules 334 ont été mentionnées dans la décision de justice en première instance. Ce sont ces victimes qui sont indemnisées ou en cours de l’être. Les autres ne figurant pas sur la liste, ils sont des laissés pour compte. Du moins, pour le moment. « Cela est douloureux, incompréhensible et injuste. Cela montre à quel point le chemin vers une justice complète est encore long », déclare Mme Asmaou Diallo. Elle regrette l’exclusion de nombreuses victimes, dans la réparation, créant « divisions et frustrations. Un travail inachevé en matière de justice ne guérit pas les blessures, il les aggrave. L’impunité ne réconcilie pas un peuple, elle entretient la colère, le désespoir et l’instabilité », indique-t-elle.
Payer le prix fort
La présidente de l’AVIPA appelle à l’ouverture du procès en appel, à revoir le processus de réparation, à protéger les victimes, les témoins et les défenseurs des droits humains. Elle exhorte les Nations unies, l’Union africaine, l’Union européenne, la Cour pénale internationale et les partenaires à exercer une « pression constante », pour que la Guinée respecte ses engagements en matière de justice et de droits humains. « Ne laissez pas ce procès historique devenir un symbole d’échec, mais un exemple de persévérance et de solidarité internationale contre l’impunité », convainc-t-elle. Hassatou Ba-Minté, la représentante du Bureau Afrique de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) : « Il est important, lorsqu’on parle de ce procès, de rappeler que les enjeux ne se limitent pas à la lutte contre l’impunité. Il s’agit aussi de garantir la non-répétition des crimes graves qui ont été commis, de restaurer l’État de droit et de défendre les libertés pour lesquelles tant de personnes ont payé le prix fort. » Elle rappelle que la Guinée est dans un contexte électoral, alors il « est fondamental » de respecter le droit des peuples à choisir librement leurs dirigeants.
Yaya Doumbouya