Le Code électoral guinéen, dans sa version spéciale adoptée en période de transition, a introduit un mécanisme inédit : le parrainage institutionnel des candidatures indépendantes aux élections présidentielles et législatives. Présenté comme une garantie de sérieux et de représentativité politique, ce dispositif, contenu dans les articles 247 et 248, repose sur l’appui d’autorités locales, censées incarner la légitimité territoriale des candidats.

Cependant, la portée de cette innovation se trouve profondément altérée par les dispositions transitoires de l’article 341, qui confient exceptionnellement ce pouvoir de parrainage aux présidents de délégations spéciales, c’est-à-dire à des autorités nommées et non élues.

Cette substitution, en apparence légale, soulève une interrogation majeure : le droit électoral guinéen peut-il être conforme à la Constitution tout en permettant à des désignés non élus de cautionner une candidature présidentielle ? Derrière la légalité de façade, se profile en réalité une fraude constitutionnelle et démocratique, où la loi, instrument de légitimation populaire, risque de devenir un outil d’exclusion politique et de confiscation.

I. De la nature juridique du parrainage institutionnel et la distinction entre maire et président de délégation spéciale

Les articles 247 et 248 du Code électoral guinéen introduisent, pour la première fois dans l’histoire du droit électoral national, la notion de parrainage institutionnel des candidatures indépendantes aux élections présidentielles et législatives.

Cette innovation, en apparence démocratique, vise à garantir la représentativité, la crédibilité et le sérieux des candidats indépendants. Cependant, sa portée juridique et politique ne peut être comprise qu’à la lumière du statut légal et légitime des autorités locales chargées d’accorder ce parrainage.

1.  Le maire, incarnation de la démocratie locale et de l’autonomie communale

Le maire, en vertu du Code des collectivités locales (L/2017/039/AN du 26 juin 2017), est élu au suffrage universel indirect par les conseillers communaux, eux-mêmes issus d’un vote populaire.

Il représente ainsi l’expression légitime de la souveraineté locale, fondement de toute décentralisation démocratique.

Juridiquement, il exerce une double fonction :

  • Organe exécutif de la collectivité locale, chargé de l’application des décisions du

conseil communal ;

  • Représentant de l’État dans la commune, sous l’autorité du ministre chargé de l’Administration du territoire.

Cette double qualité confère au maire une autonomie fonctionnelle et politique dans la gestion des affaires locales, mais aussi une légitimité démocratique qui fait de lui un acteur-clé de l’équilibre entre l’État et les collectivités.

Ainsi, le législateur, en exigeant un parrainage par les maires dans au moins 70 % des communes pour la présidentielle, a voulu ancrer la légitimité nationale des candidats dans le socle de la légitimité locale.

Autrement dit, le parrainage n’est pas une formalité administrative, mais une adhésion politique territoriale, émanant d’autorités élues représentant directement la population.

2.  Le président de délégation spéciale : une autorité de substitution dépourvue de légitimité élective

À l’inverse, le président de délégation spéciale (PDS) n’est pas élu. Il est nommé par l’autorité centrale, conformément au Code des collectivités locales, en cas de suspension, dissolution ou expiration du mandat d’un conseil communal. Son rôle est purement administratif et transitoire : il assure la gestion des affaires courantes en attendant la tenue d’élections régulières.

Il n’incarne ni la souveraineté populaire, ni l’autonomie communale, mais seulement la tutelle de l’État sur une collectivité provisoirement dépourvue de légitimité élective.

Dès lors, juridiquement, le président de délégation spéciale ne peut être assimilé à un maire, car :

  • Il ne dispose d’aucune légitimité électorale ;
  • Il n’exprime pas la volonté populaire, mais celle du pouvoir exécutif central ;
  • Il est redevable à l’État, non au peuple

Accorder à un PDS la faculté de parrainer une candidature présidentielle reviendrait donc à confisquer le pouvoir démocratique local au profit du pouvoir administratif central.

Le parrainage institutionnel, conçu comme une validation démocratique, deviendrait un instrument de contrôle politique entre les mains de l’exécutif.

Or, les articles 247 et 248 du Code électoral fondent la légitimité du parrainage sur la représentativité élective, non sur la délégation administrative. C’est pourquoi l’application de ces articles dans un contexte où les communes sont dirigées par des PDS dénature la loi et viole son esprit démocratique.

II. De la nécessité juridique et politique de l’organisation préalable des élections communales avant la présidentielle

La conséquence directe de ce constat est claire :

Le parrainage présidentiel prévu par les articles 247 et 248 n’est juridiquement valide que si les autorités locales sont issues d’élections régulières.

Organiser la présidentielle avant les communales reviendrait à bâtir l’élection nationale sur une base illégale et illégitime.

1.  Une exigence de légalité et de hiérarchie démocratique

La logique constitutionnelle et démocratique impose que le pouvoir national découle d’un ensemble de pouvoirs locaux légitimes. Sans conseils communaux élus, le parrainage devient juridiquement inopérant, car l’autorité compétente pour l’accorder n’existe pas sous sa forme légale.

Toute substitution des PDS aux maires dans le processus de parrainage violerait :

  • Le principe constitutionnel de décentralisation (article 138 de la Constitution de 2010) ;
  • Le principe de légalité électorale, exigeant que toute élection respecte strictement la loi ;
  • Le principe d’égalité devant la loi, dès lors que les candidats dépendraient d’autorités nommées et non d’élus du

2.  L’article 341 : une disposition transitoire contraire à l’esprit de la loi

L’article 341 du Code électoral, contenu dans les dispositions transitoires, stipule : « Pour l’élection du Président de la République organisée dans le cadre du retour à l’ordre constitutionnel, le parrainage des candidatures indépendantes est assuré par les Présidents des délégations spéciales. »

Cette disposition, bien que revêtue d’une force légale, consacre une fraude constitutionnelle et démocratique.

Elle contourne la logique des articles 247 et 248 en confiant à des autorités nommées un pouvoir de validation politique réservé à des élus légitimes.

Sous couvert de transition, la loi autorise une dérive autoritaire, où le parrainage devient un outil d’exclusion plutôt qu’un mécanisme de légitimation.

En pratique, une telle mesure ouvre la voie à un parrainage unilatéral, car les PDS, dépendants de l’exécutif de transition, ne pourraient soutenir qu’une seule candidature : celle du Président de la transition lui-même, ou de son représentant politique.

Ce biais institutionnel fausse la compétition électorale, viole le principe d’égalité des candidats et compromet la sincérité du scrutin, pierre angulaire de tout État de droit.

3.  Une fraude à la Constitution sous couvert de légalité

Il faut ici distinguer la validité formelle de la disposition et sa légitimité constitutionnelle. Certes, l’article 341 figure dans le Code électoral adopté par les autorités en place, mais il contrevient à plusieurs principes fondamentaux :

  • Le principe de la souveraineté du peuple, source de toute légitimité démocratique dans une République ;
  • Le principe de non-substitution administrative à la volonté populaire ;
  • Le principe de neutralité de l’administration dans le processus électoral.

En réalité, cette disposition déguisée en mesure transitoire est un mécanisme de fraude constitutionnelle, car elle permet au pouvoir de transition de façonner les conditions de sa propre succession politique.

Sous prétexte de continuité administrative, elle érige la tutelle étatique au rang de pouvoir électoral, transformant une disposition temporaire en un instrument de verrouillage politique.

III. De la compromission du droit et du péril pour la démocratie guinéenne

Le parrainage institutionnel, tel qu’il résulte des articles 247 et 248, repose sur une condition essentielle : l’existence d’autorités locales élues.

L’article 341, en substituant les PDS aux maires, viole cette condition et transforme un mécanisme démocratique en outil d’ingérence politique.

Ainsi, trois constats s’imposent :

  1. Juridiquement, le parrainage attribué aux PDS est illégal au regard de l’esprit même du Code électoral et du principe constitutionnel de la décentralisation dans une République.
  2. Politiquement, il fausse la compétition et favorise la concentration du pouvoir entre les mains du régime de transition
  3. Démocratiquement, il constitue une fraude morale à la souveraineté du peuple, qui se voit dépossédé de son pouvoir de désignation indirecte.

En définitive, la loi demeure la loi, mais toute loi qui s’écarte de sa finalité républicaine cesse d’être un instrument de justice pour devenir un outil de manipulation politique.

C’est pourquoi, pour restaurer la cohérence du droit et la légitimité du processus électoral, les élections communales doivent impérativement précéder l’élection présidentielle et il est fondamental que le code soit révisé avant la Présidentielle. Autrement, la République risque de substituer la légalité transitoire à la légitimité démocratique, et à force de compromis politiques, le droit lui-même se compromet.

Abdoulaye Bademba DIALLO
Juriste publiciste, (In visionguinee.info)