Téléviseurs cassés, frigos hors d’usage, ventilateurs abandonnés… À Cona-cris, les appareils électroménagers en fin de vie s’accumulent dans les rues et les ateliers. Certains finissent dans des décharges, d’autres retrouvent une seconde vie entre les mains de bricoleurs ingénieux. Mais que devient vraiment cette montagne d’objets qui accompagne notre quotidien ?
Derrière chaque appareil électroménager qui cesse de fonctionner, se cache un dilemme : que faire de cette carcasse métallique ? Faute de système national de collecte, la plupart des Guinéens jettent ou abandonnent leurs vieux appareils. D’autres les vendent à des réparateurs ou des forgerons, espérant leur donner une seconde vie.
Fatoumata Chérif, consultante en développement durable et promotrice de l’initiative « Selfie Déchets », alerte: « Les déchets électroniques sont très dangereux pour la population. Exposés au soleil ou à la pluie, leurs composants toxiques se diffusent dans l’air, le sol et l’eau. »
Selon l’ONU, plus de 62 millions de tonnes de déchets électroniques ont été générés dans le monde en 2022, et ce chiffre pourrait atteindre 82 millions en 2030. Moins d’un quart sont recyclés correctement. En Afrique, ce taux est inférieur à 1%.
La débrouille locale
Dans un petit atelier de Kountia, Mamadou Bah, réparateur de téléphones, observe le même scénario chaque jour : « Quand le téléphone peut être réparé, je le fais. Mais quand il est définitivement gâté, il finit à la décharge. »
Même constat pour Aissata Tolno, vendeuse d’appareils d’occasion à Madina : « Les gens achètent du matériel déjà usé. Quand ça lâche, personne ne sait où le jeter. Certains le déposent simplement dans la rue. »
Entre ces réalités, une économie informelle s’est installée : des jeunes récupèrent les câbles, les bobines ou les moteurs pour les revendre. À Hamdallaye-Rail, des forgerons fondent les métaux des anciens appareils pour fabriquer des marmites ou des foyers améliorés.
Une pratique ingénieuse, mais risquée : ces opérations libèrent souvent des gaz et métaux lourds nocifs pour la santé. Cuivre, aluminium, fer, plastique… chaque appareil recèle des matériaux précieux. Pourtant, le démontage se fait à mains nues, sans masque ni gants.
« Certains enfants brûlent les fils pour extraire le cuivre. C’est extrêmement dangereux », déplore Fatoumata Chérif.
Ces fumées contiennent du plomb et du mercure, responsables de maladies respiratoires et de troubles neurologiques (maladies qui touchent le système nerveux, c’est-à-dire le cerveau, la moelle épinière ou les nerfs).
Le paradoxe, c’est que ce « bricolage toxique » nourrit pourtant des centaines de familles à Conakry, soutient Fatoumata Chérif.
D’après un rapport de l’UIT (Union internationale des télécommunications), si les pays africains structuraient ces filières, le recyclage pourrait générer plusieurs milliards de dollars par an tout en réduisant la pollution.
Des modèles qui inspirent
Au Rwanda, des centres de collecte officiels récupèrent et réparent les appareils défectueux avant de recycler les composants dangereux. Au Nigeria, plusieurs start-ups comme E-Terra Technologies transforment les déchets électroniques en matières premières revendables.
Selon Fatoumata Chérif, la Guinée pourrait s’inspirer de ces initiatives pour créer une filière formelle de recyclage : collecte dans les quartiers, tri dans les communes, valorisation dans des ateliers agréés.
Aujourd’hui, aucune loi spécifique ne régit le recyclage des appareils électroménagers en Guinée. Les initiatives privées existent, mais manquent de moyens. Pour Fatoumata Chérif, «il faut que chaque citoyen sache où déposer ses appareils usés et que l’État mette en place une structure dédiée.»
Les communes pourraient jouer un rôle clé en créant des points de dépôt, en soutenant les artisans réparateurs, et en menant des campagnes de sensibilisation sur les dangers liés aux déchets électroniques.
Les appareils électroménagers ont changé notre quotidien, mais leur fin de vie reste un casse-tête. En Guinée, le manque de politique claire transforme chaque dépotoir en bombe chimique à retardement. Recycler, réparer, réutiliser : trois gestes simples qui, s’ils étaient adoptés à grande échelle, pourraient sauver des vies, créer des emplois et protéger notre environnement.
« La modernité ne doit pas être une malédiction à condition de lui offrir, enfin, une seconde vie responsable », conclut Fatoutama Chérif.
Aïssatou Bah


