Bon, c’était le mois du référendum. Septembre. On a voté « Oui », parce que de toute façon le Guinéen lui, dit toujours « Oui ». Oui patron ! Oui Général ! Oui Excellence ! Un réflexe de survie. Ça se voit même dans les isoloirs. Quand un de nos citoyens croise un militaire, il dit déjà « Oui chef » avant même qu’on lui pose la question. Wallahi !
Mon ami ne voulait pas m’écouter. Il croyait aux 89%. 89 porcs sains ! Comme si on comptait encore en Guinée. Comme si les chiffres n’avaient pas honte de sortir par ces temps de transition qui ne transite jamais. Il voulait célébrer. Soit ! Par obligation patriotique. Soit ! Par obligation de survie. Soit encore ! Nous étions au lendemain du scrutin. Et il n’était que 10h 30. Et je l’ai vu passer, la carte d’électeur en main, le sourire forcé. On aurait dit un acteur qui a oublié son texte. Et effectivement, il oublia un peu plus loin, devant un groupe de jeunes désœuvrés, qui lui demandèrent: « Grand frère, tu as mangé quoi avec ton ‘Oui’ ? » Bien fait pour lui ! Ça lui apprendra à compter jusqu’à 89.
Quelqu’un racontait : « Je ne comprends rien. Mais alors plus rien ! Quand tu vas voter, c’est déjà décidé. Parce qu’on te dit, si c’est un ‘Non’, c’est parce que tu es anti-patriote, et si tu dis ‘Oui’, c’est parce que tu es intelligent. Alors, on t’embrouille. ‘Oui’, ‘Oui’ ! Toujours ‘Oui’ ! Ensuite, il faut attendre décembre pour la présidentielle. En buvant à la santé de la démocratie, ils vont élire qui ils veulent. À Fakoudou ! Et ce n’est pas fini mon frère. Il faut après accepter les résultats, sinon on te traite d’apatride. Mais le plus grave, c’est quand un militaire veut gouverner en civil. Automatiquement, il a raison. Ça nous est arrivé le mois passé. On nous a demandé notre avis avec un référendum. Le ‘Oui’ a gagné avec 89%, le tarif syndical quoi ! Le lendemain, on nous annonce la présidentielle pour décembre. J’ai refusé d’y croire. Alors je suis allé voir un devin. Il m’a donné raison. Il paraît que c’était le mois de la confusion… Hé Kéla ! Je ne comprends rien avec nos dirigeants ». À Fakoudou !
Bien fait pour notre Général ! Celui qui sous le coup de l’inspiration disait il y a quatre ans : « Je viens sauver la Guinée. » Quelques années après, ce sont des bulletins de vote qui tombent pour nous réveiller. Et nous avons eu un référendum à 89% ! Quatre-vingt-neuf ! Les 11% restants, ce sont ceux qui étaient aux toilettes ce jour-là. Tu ignores peut-être, cher ami, que tout ce qui vacille ailleurs, tombe ici. Les coups d’État, les transitions interminables, les scores soviétiques, les promesses non tenues…
Bien fait pour le navire Guinée ! On nous dit qu’il tangue, qu’il prend l’eau, qu’il va couler. Mais c’est normal ! Quand tu mets des pirates au gouvernail, ne t’étonne pas si le bateau part en zigzag ! Depuis 1958, nous avons eu des capitaines qui pillaient la cale pendant que l’équipage ramait. Sékou, il a coulé la première cargaison. Lansana, il a vendu les voiles. Alpha, il a hypothéqué les ancres. Et maintenant Mamadi, que cherche-t-il encore ? Nos gouvernants, une vie de piranha : tout pour moi, rien pour les autres !
Les caisses de l’État sont pleines, mais le peuple souffre. La prospérité partagée ? Des promesses électorales ! On a de la bauxite partout, mais on vit comme des pauvres hères. On a de l’or, mais nos poches sont en plastique troué. On a du fer, mais nos cerveaux sont en coton. Les minus-tres, eux, ont compris le système. Ils arrivent en mobylette et repartent en Mercedes ! C’est la magie de la fonction publique. Tu entres pauvre, tu sors milliardaire. Sans même passer par la case « travail ». Directement du bureau au coffre-fort ! Et après, ils viennent nous parler de « gestion rigoureuse ». La seule chose qu’ils gèrent rigoureusement, c’est le transfert de l’argent public vers leurs comptes privés ! Le navire ne tangue pas, mes frères. Il est englouti ! Parce que ceux qui devaient le diriger l’ont dévalisé en route. Ils ont même volé le drapeau pour en faire des mouchoirs de poche. À Fakoudou !
Bien fait pour les électeurs ! Avant septembre 2021, c’était un pé bon, c’était un pé beau. On votait, on manifestait, on débattait. Et puis… Mamadi est venu. Les Généraux n’aiment pas les débats. Il paraît. Alors on se tait. Aujourd’hui, un vrai opposant n’ose pas s’aventurer à Conakry. Chat ne fait rien ! Nous aurons d’autres opposants et d’autres élections. En décembre peut-être. Ou janvier. Ou… quand le CNRD décidera.
Bien fait pour nous tous ! On regrette 2024. L’année dernière, on regrettait 2023. Et en 2023, on pleurait 2022. C’est notre sport national désormais. La nostalgie ! Chaque année, on se dit : « Avant, c’était mieux ». Avant quoi ? On ne sait plus !
Le franc guinéen lui, fait de la gym. Il maigrit chaque jour. Il fait tellement d’exercice qu’il a disparu du marché. On ne le voit plus ! Même le Karamo de la BCRG est fatigué de le poursuivre. La pauvreté est devenue notre Premier Minus-tre. Elle gouverne mieux que tous les autres. Elle, au moins, elle est présente partout ! Dans chaque maison, dans chaque assiette, dans chaque poche trouée. Elle ne prend pas de congé. Elle ne va pas en mission à l’étranger. Elle reste fidèle à nous. Quelle dévotion ! Hé Kéla !
Bien fait pour moi ! Je pensais à tout chat, ma tête entre mes mains, devant ma véranda. Comment payer mon loyer ce mois-ci ? L’année dernière, c’était 800 balles. Cette année, le proprio veut une brique et demie ! Pourquoi ? Parce que tout le monde le fait. Parce qu’il peut. Et l’État ? Il fait mine de ne rien voir. Il a les yeux fermés sur les loyers, mais grands ouverts sur nos poches vides. Mon voisin de palier a été expulsé la semaine dernière. Trente ans dans la même maison ! Ses enfants y sont nés. Mais le nouveau propriétaire voulait tripler le loyer. Triple ou triple ! Soit tu payes trois fois plus, soit tu dégages trois fois plus vite. Les pauvres n’ont plus droit de cité à Conakry. Les locataires, on les traite comme des squatteurs. Tu payes en avance un an complet, sinon tu dors sous le pont. Et encore, attention ! Bientôt les ponts aussi auront des propriétaires qui demanderont un loyer. Mon salaire de journaleux ? Il part entièrement dans la location. Pour manger, je compte sur la photosynthèse. Pour me vêtir, sur les dons de la caritas. Et le Ministère de l’habitat, lui, où est-il ? En mission à l’étranger, sûrement ! À étudier comment on construit des buildings là-bas, pendant que nous, on se demande où dormir ce soir. À Fakoudou !
Sambégou Diallo
Billet
Un chat m’a conté
Je suis compteur de bulletins. Mais je ne sais compter que jusqu’à 89. Je suis compteur, tout le reste s’évapore. Je suis un matheux, mais 2+2 font 5, si les Généraux le disent. Alors j’ai appris à compter en kaki, à calculer en camouflage, à additionner les promesses qui se soustraient, à multiplier les « Oui » qui divisent le pays, à faire des pourcentages à la tête du client. Mon diplôme est devenu une calculette cassée. Mes chiffres dansent le ballet des urnes. 89 par-ci, 89 par-là.
Même ma grand-mère qui ne sait pas écrire a voté « Oui » trois fois ! Une fois pour elle, une fois pour son défunt mari et une fois pour sa chèvre qui bêle « Ouiiiii » chaque matin. En Guinée, même les chèvres votent. Et elles votent bien !
SD