Il y a à peine deux semaines que la Guinée a célébré dans l’allégresse, la « liberté dans la pauvreté ». Comme à l’accoutumée, on a dit, redit et magnifié le rôle joué par Ahmed Sékou Touré dans la reconquête de l’indépendance et la liberté de la Guinée. Quoi de plus normal ! Dans le temps et dans l’espace, les hommes ont toujours eu cette fâcheuse tendance à auréoler plus que de raison les leaders, enfouillant souvent ses compagnons sous les décombres de l’Histoire.
Cette perception des rôles des acteurs aboutit, par moments, au culte de la personnalité. Les Guinéens et Sékou Tyran n’ont pas échappé à ce constat. Si le secrétaire gérant du Parti Démocratique de Guinée, (PDG) section territoriale du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), a joué un rôle considérable pour l’émancipation et l’indépendance de la Guinée, il n’est pas tout seul comptable de tous les résultats spectaculaires atteints dans la lutte ayant abouti à l’indépendance du bled. N’ayant pas de don d’ubiquité, il ne pouvait pas être çà et là à la fois, pour mobiliser massivement les foules. Il a bien fallu qu’il y ait des femmes et des hommes exemplaires à tous point de vus, partout dans le pays, pour accomplir ce vaste travail, parfois ingrat. Il s’agit donc, on le voit bien, d’un travail d’équipe dont il est injuste d’attribuer le succès à un seul acteur, fut-il le plus vaillant et le plus combatif.
Il faut rappeler que le PDG n’était pas une formation politique à l’échelle de la Guinée. Il était la section guinéenne d’un mouvement plus vaste à vocation panafricaniste, le RDA créé par Félix Houphouët Boigny et d’autres parlementaires. Il semble d’ailleurs que le PDG a été dirigé pendant les premières années par le soudanais Madeira Keita. Sékou Touré aurait rejoint le parti plus tard. Mais l’histoire ne fait pas suffisamment cas des centaines, voire des milliers de femmes et d’hommes qui se sont battu parfois au prix de leur vie, pour la liberté.
On ne parle même plus des 60 compagnons de l’indépendance dont les écoliers auraient dû réciter et retenir les noms. Quel manque de gratitude à l’endroit de ces soldats de la liberté ? Les vrais et faux complots sous la Révolution ont contribué à jeter dans les oubliettes bien des grosses légumes de la lutte anticoloniale. Le plus célèbre de ces damnés est incontestablement Saïfoulaye Diallo, président de l’Assemblée territoriale, secrétaire politique du PDG, premier président de l’Assemblée nationale, puis plusieurs fois ministre.
Mais ils sont nombreux, ceux qui comme lui, ont été abandonnés dans les rebuts de l’Histoire. Combien de femmes et d’hommes se souviennent encore du Général Noumadjan Keita, Tounkara Jean Faraguet, Gnan Félix Mathos ? Tout comme très peu de gens se souviennent encore de Bella Doumbouya, Lama Doré, Mme Loffo Camara, Naby Youla, Ibrahima Barry dit Barry 3. Des noms aussi célèbres que ceux de Magassouba Moriba, Mamady Sagno, Fodéba Keita et Barry Diawadou effleurent à peine aujourd’hui quelque esprit.
Le prestige, le talent et l’activisme boulimique du timonier ne doivent pas faire mettre sur le boisseau, l’apport inestimable des compagnons de lutte. « On n’a toujours besoin d’un plus petit que soi ».
Abraham Kayoko Doré