Au cours de mes plus de vingt années d’expérience professionnelle dans plusieurs pays africains, j’ai été témoin, parfois de très près, d’une réalité troublante: beaucoup d’États délèguent aux partenaires techniques et financiers ce qui devrait être l’essence même de leur souveraineté, à savoir la définition de leurs politiques publiques et de leurs stratégies nationales.

Constats issus du terrain

1. Des politiques publiques dictées de l’extérieur

J’ai vu des pays solliciter des financements extérieurs pour rédiger leur stratégie nationale d’éducation, leur politique agricole ou leur plan de santé. À première vue, cela peut sembler utile. Mais derrière ce soutien se cache une réalité amère: le bailleur impose toujours ses valeurs, ses approches et ses outils. Résultat: un même pays se retrouve avec une multitude de politiques et de stratégies financées par des acteurs différents, parfois concurrents. Dans certains gouvernements, on recense une trentaine de stratégies nationales, sans coordination ni cohérence.

2. Le développement local pris en otage

Dans mes accompagnements auprès de collectivités territoriales, j’ai constaté la même logique. Les Plans de Développement Local (PDL), pourtant élaborés avec la participation des communautés, sont régulièrement ignorés. Chaque bailleur, et parfois même chaque association ou organisation disposant de ressources financières, s’arroge le droit d’imposer une école, un poste de santé ou un marché. Beaucoup de ces infrastructures, construites hors des besoins exprimés, restent non fonctionnelles: des écoles sans enseignants, des centres de santé sans personnel ni équipement, des marchés modernes mais vides. Ce gaspillage crée des frustrations et prive les populations d’investissements réellement utiles.

Algassimou Porédaka Diallo

3. Le paradoxe du luxe et de la pauvreté déclarée

Ce qui choque davantage, c’est le contraste: pendant que l’État tend la main aux bailleurs pour rédiger une politique publique, ses dirigeants roulent dans des cortèges de véhicules de luxe dont l’entretien et le carburant coûtent des milliers de dollars chaque mois. J’ai vu des budgets alloués à ces privilèges dépasser ce qu’il aurait fallu pour financer plusieurs plans stratégiques sectoriels. Comment parler de manque de ressources quand l’argent existe, mais est orienté vers le prestige en lieu et place des priorités ?

4. Le morcellement territorial des interventions

Dans aucun des pays où j’ai travaillé, je n’ai vu un bailleur financer une couverture nationale intégrale. Les projets et programmes sont toujours limités à quelques régions, souvent en phase pilote. Le passage à l’échelle n’est presque jamais financé. Conséquence: les politiques publiques restent en mode expérimentation. J’ai vu des Directions Régionales relevant du même ministère appliquer des logiciels, des procédures et des outils différents, uniquement parce que leurs partenaires financiers ne sont pas les mêmes. Cela fragilise l’unité et l’efficacité de l’action publique.

Conséquences

Ces pratiques entraînent:

•          une perte de souveraineté des États et des collectivités,

•          une fragmentation des politiques et des services,

•          une dépendance chronique vis-à-vis de l’aide,

•          une injustice territoriale entre régions servies et régions délaissées,

•          et un profond gaspillage de ressources publiques nationales et internationales.

Ce qu’il faut changer

Je reste convaincu qu’il est possible de renverser la tendance. Pour y parvenir, nos États doivent:

1. Réduire le train de vie des élites et orienter les ressources nationales vers la planification et le pilotage des politiques.

2. Imposer aux partenaires la mise en place de paniers communs sectoriels (basket funds) où les contributions sont regroupées et alignées sur les priorités nationales.

3. Renforcer les Plans de Développement Local pour qu’ils deviennent la boussole de toute intervention dans les collectivités.

4. Assurer l’équité territoriale en exigeant des financements couvrant l’ensemble du pays et non seulement quelques zones pilotes.

Une note d’espoir

J’ai appris de mes expériences que rien n’est figé. Oui, la dépendance et la fragmentation existent. Oui, des infrastructures inutilisées jonchent nos territoires. Mais, j’ai aussi vu des pays et des collectivités qui, en reprenant la main sur leur planification, ont réussi à orienter l’aide extérieure là où elle produit un véritable impact.

Changer est possible. Il suffit d’opter pour une volonté politique de rigueur dans la gestion et d’un engagement ferme à mettre les citoyens et leurs besoins réels au centre des priorités. La souveraineté nationale et locale ne se décrète pas: elle se construit, pas à pas, par la cohérence, la coordination et la responsabilité.

Par Algassimou Porédaka Diallo,

Expert en Développement Local

Fondateur et Directeur Général de

 Local Development Consulting, LLC