Aussi loin que l’on remonte dans le temps, chaque nation et civilisation en quête de renouveau, a dû passer, hélas, par des tumultes, des soubresauts et toutes sortes de mésaventures avec bruits et fracas. Ces étapes et fresques historiques ont souvent nécessité des purges massives au sein de la société et le recours à la coercition pour un changement des mentalités. Une politique du bâton pour faire face aux dérives morales et à toutes les transgressions. Aucune société ne peut survivre sans interdits, sans tabous, sans limites à ne pas dépasser, quoi qu’il arrive, quelle que soit la situation, et quelles que soient les raisons que l’on puisse avancer. Une ligne rouge à ne pas franchir.
À la Libération de la France, le maréchal Pétain, chef du régime de Vichy ayant collaboré avec l’occupant nazi, et nombre de ses partisans ont été sévèrement châtiés pour leur trahison : exécutions capitales, emprisonnements, dégradation nationale et privation de leurs droits civiques. Les torts immenses infligés à la nation ne furent pas pardonnés, ils en payèrent le prix fort.
Plus tôt dans l’histoire, la Révolution française de 1789 avait, dans un bain de sang et par l’insurrection populaire, aboli la monarchie pour instaurer la République. Ce nouveau régime se fondait sur des principes universels, comme l’égalité des citoyens, la liberté de conscience et le respect inaliénable de la dignité humaine.
En Afrique, l’Algérie a conquis son indépendance grâce à la lutte du Front de Libération Nationale (FLN). Par la suite, d’autres mouvements progressistes ont pris le relais pour défendre cet héritage de courage et de ferveur patriotique, à l’image du Hirak, qui parvint à faire plier le régime en place depuis des décennies sous Bouteflika.
Entre 2019 et 2021, une spirale de manifestations a vu les Algériens battre le pavé chaque semaine pour s’opposer à la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel. Le chef de l’État sortant a d’abord reculé, proposant de se limiter à un quatrième mandat tout en se maintenant au pouvoir lors d’une transition destinée à mener des réformes. Un projet auquel l’armée, cette fois, s’est opposée sous la pression populaire.
Si le Hirak n’a pas obtenu la rupture totale exigée, il a néanmoins été le fer de lance d’une alternance politique, arrachée de haute lutte. Cette dynamique a forcé d’importantes concessions dans la conduite des affaires publiques, notamment concernant la reddition effective des comptes. Des personnalités longtemps réputées intouchables, au cœur de l’appareil d’État et des arcanes du pouvoir, sont tombées en disgrâce, frappées par des poursuites, des mandats d’arrêt ou des incarcérations suite à la chute d’un régime décrié et emporté par la rue.
Le Printemps arabe, qui fut l’expression d’un profond mécontentement social et de soulèvements populaires contre les inégalités, les tyrannies, les injustices et la mauvaise gouvernance, a permis à de nombreux pays d’entamer une mue et à des peuples opprimés de recouvrer leur souveraineté et leur dignité. Ce vent nouveau, qui a soufflé avec une force particulière dans le monde arabe, a posé les bases d’un changement irréversible, toujours en cours, qui conserve intacte sa puissance révolutionnaire.
L’Afrique subsaharienne a, elle aussi, payé un lourd tribut pour obtenir l’ouverture démocratique et l’instauration du multipartisme. Un combat de longue haleine qui a souvent exigé l’ultime sacrifice.
La Guinée qui a connu la révolution sékoutouréenne, goûté au multipartisme, rêvé de démocratie, s’est retrouvée trop souvent dans des transitions, ne semble toujours pas trouver sa voie de salut. Plus portée à épouser la cause du moment qu’apte à réaliser ses aspirations profondes. Le pays tâtonne : un pas en avant, dans les crises, deux pas en arrière, dans l’illusion démocratique. L’on s’offre à la soumission quand on ne veut pas se dédier à la liberté. “Tout change pour que rien ne change”. On prend les mêmes et on recommence. Et même lorsque ce ne sont pas les mêmes, on recommence quand même. On peut changer autant de fois de noms, de visages, de régimes, on bute contre les mêmes travers, se heurte aux mêmes vices, échoue sur les mêmes rivages. La quête de renouveau demeure un vœu pieux, quand la démagogie, le culte de la personnalité et celui de l’homme providentiel restent plus que jamais d’actualité.
Comme l’a dit Edgar Faure : « L’immobilisme est en marche, rien ne l’arrêtera. »
Tant que les racines profondes du mal ne seront pas coupées et arrachées, de nouvelles branches porteuses d’espérance ne pourront pas pousser. Chacun connaît le mal, mais personne n’ose l’affronter. Et pourtant, comme le dit le proverbe, « aux grands maux, les grands remèdes » : il faut parvenir à libérer les Guinéens de leurs tares et de leurs inhibitions morbides qui desservent et pénalisent le pays. Il est indispensable de s’engager enfin à exorciser le pays de ses éternels vieux démons, que ce soit par la pédagogie de l’État de droit ou par la contrainte des révolutions.
Tibou Kamara



