Monsieur le Président,

Je vous écris avec un sentiment mêlé de peur que ressent tout citoyen sincèrement soucieux du sort de son pays, et d’espoir, puisque nous croyons au miracle et en la miséricorde du Seigneur. Ceci n’est ni une lettre d’affront ni une critique, encore moins une lettre de défiance. C’est la parole d’un fils de la Guinée. Une voix qui vient du fond du cœur. Celle d’un citoyen qui vous a soutenu dès le premier jour, convaincu que votre arrivée à la tête du pays porterait en elle le soulagement et la promesse d’un nouveau départ pour la Guinée.

Le 5 septembre 2021 doit rester un tournant décisif pour notre pays. Ce jour-là, vous et vos camarades avez eu le courage de faire ce que beaucoup voulaient, mais n’espéraient plus possible. Vous avez mis fin à une dérive autoritaire qui menaçait les fondements mêmes de la République, et vous avez redonné au peuple la fierté d’appartenir à une nation capable de sursaut patriotique. Vous avez restauré l’idée qu’aucun président guinéen ne peut ni ne doit s’approprier le pays comme un bien personnel ni modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir sans conséquence. Pour cela, l’histoire vous réserve une place particulière, et nous vous devrions respect et reconnaissance tout en considérant que la transition se terminera comme promise.

Qu’on vous aime ou non, il faut reconnaître qu’à travers votre leadership, la Guinée a connu des réformes courageuses et des changements visibles. Vous avez achevé la route de Donka, qui était devenue un symbole de l’abandon et de la lenteur administrative du régime précédent. Vous avez désenclavé plusieurs quartiers de Conakry longtemps oubliés. Vous avez lancé la construction de l’autoroute de Kankan, un projet structurant qui transformera durablement cette grande ville du pays. Vous avez engagé le tronçon Labé–Mali, qui n’avait jamais connu le bitume depuis l’indépendance. Vous avez aussi remis sur les rails le projet Simandou, le plus grand projet minier de la Guinée et de toute l’Afrique, redonnant ainsi à notre pays des perspectives économiques longtemps attendues. Vous avez engagé une lutte courageuse contre la corruption et le détournement des deniers publics. Ces actions sont palpables et méritent, à bien des égards, notre appréciation.

Mais il faut aussi le dire, Monsieur le Président : les routes, les ponts et les infrastructures, aussi utiles soient-ils, finiront par se dégrader avec le temps. Elles seront un jour remplacées, refaites ou modernisées. Dans quelques décennies, il ne restera que peu de traces de ces réalisations, et votre nom y sera rarement mentionné. Cependant, un acte de courage politique, un geste d’honneur et une parole tenue traversent les générations. Si vous tenez votre promesse de ne pas vous présenter à l’élection présidentielle, si vous choisissez de placer l’intérêt de la Guinée au-dessus des ambitions personnelles, cet acte-là ne s’effacera jamais. Il fera de vous non seulement un homme d’État, mais une figure placée haut dans le panthéon de la République.

Ce sont ces décisions rares mais nobles qui préservent le vivre-ensemble du peuple et répondent à ses cris de cœur, tout en vous permettant de vous distinguer comme un véritable bâtisseur de Nation. Ce sont de tels actes qui gravent les noms dans la mémoire collective. Ce n’est pas la pierre ni le bitume qui font la grandeur d’un homme d’État, mais le respect de la parole donnée et la fidélité à l’idéal de justice et de vérité.

George Washington en fut un exemple. Au lendemain de la victoire des États-Unis d’Amérique face aux forces britanniques, le colonel Lewis Nicola lui proposa de se proclamer roi, arguant qu’aucune opposition ne s’y prêterait, vu qu’il est un héros de guerre et le Congrès était affaibli. Washington opposa un refus catégorique et alla jusqu’à menacer d’humilier publiquement l’officier qui lui avait soufflé ces idées antirépublicaines. Il renoncera ensuite au pouvoir après son deuxième mandat, malgré sa très grande popularité, instituant ainsi une tradition de limitation des mandats qui inspirera les démocrates du monde entier. Aujourd’hui, George Washington est cité comme modèle universel et célébré aux États-Unis comme le Père de la Nation. Celui qui n’a pas cédé aux tentations du pouvoir ni aux mauvais conseils de son entourage.

Monsieur le Président, aujourd’hui vous aussi avez la chance d’entrer dans l’histoire comme père fondateur d’une Guinée démocratique, qui, comme Mandela en Afrique du Sud, sera célébré pour avoir sauvé la Nation, non seulement le 5 septembre 2021, mais aussi le 28 décembre 2025. Ce qui fait d’un homme une figure historique, c’est le respect de la parole donnée et la fidélité à l’idéal de vérité et de justice.

Le respect de la parole donnée, surtout pour un soldat, est une question de dignité. Comme le rappelle la Charte du Kouroukan Fouga, en son article 19 : « La parole qu’on a prononcée sans contrainte aucune, on lui doit respect et considération. » Au-delà de cette sagesse ancestrale, tout homme finit, tôt ou tard, par faire face au tribunal de sa conscience, de son peuple et de l’Histoire.

Aujourd’hui, le combat qui vous attend n’est plus militaire, ni administratif, ni même politique. C’est le plus grand combat de votre vie. Il est intérieur : celui de résister à la tentation du pouvoir, et de ne pas céder aux voix intéressées qui vous murmurent que vous êtes indispensable alors qu’elles ne cherchent qu’à préserver leurs privilèges. Ces voix ne parlent pas pour la Guinée, elles parlent pour elles-mêmes. Ne vous laissez pas entraîner par ces sirènes de la confiscation du pouvoir, qui voudraient faire de vous non pas un héros, mais un simple soldat vaincu par les tentations du pouvoir et par les ennemis de la Nation. Ils voudraient que vous soyez comme eux, un soldat guidé par l’intérêt personnel, un homme qui aurait balayé un régime pour ensuite s’y substituer, au prix de la confiance du peuple. Ce ne serait juste ni pour vous ni pour vos camarades tombés le matin du 5 septembre 2021, ni pour la Guinée, qui a déjà trop souffert.

Monsieur le Président, votre parole a été votre force. Vous aviez promis, devant Dieu et devant le peuple, de ne pas être candidat à l’élection qui mettra fin à la transition. Il y a quatre ans, devant le peuple, vous aviez prononcé ce serment : « Moi, Mamadi Doumbouya, Président de la Transition, je jure devant le peuple de Guinée, de préserver en toute loyauté la souveraineté nationale, de respecter et de faire respecter les dispositions de la Charte de la Transition. » Tenir cette promesse fera de vous un homme au-dessus des calculs politiques, un homme différent de ceux que la Guinée a connus et qu’elle a rejetés. Vous deviendrez l’exemple que la Guinée attend, et dont l’Afrique tout entière sera fière : un dirigeant qui quitte le pouvoir librement, par respect pour sa parole et pour son pays. Comme l’ont fait avant vous Amadou Toumani Touré du Mali en 1992 et Olusegun Obasanjo du Nigeria en 1979, pour ne citer qu’eux.

Vous êtes encore jeune. L’avenir vous appartient. Vous pouvez choisir aujourd’hui la voie de la grandeur, partir la tête haute et laisser une trace indélébile dans la mémoire nationale. Plus tard, si vous le souhaitez, rien ne vous empêchera de revenir, cette fois en homme civil, fort de votre expérience et du respect du peuple. Vous pourrez alors, dans une Guinée apaisée, vous présenter après le prochain président démocratiquement élu, et les Guinéens seront prêts à vous écouter et à vous croire car vous aurez prouvé que vous êtes un homme honorable.

Entre-temps, vous pourriez continuer à servir autrement. Vous pouvez consacrer vos efforts à renforcer la professionnalisation des forces armées, en Guinée, en Afrique et même à l’échelle mondiale, veiller à leur neutralité et garantir la stabilité de la démocratie naissante. Vous pouvez être ce garant silencieux de la continuité de l’État, cet homme d’équilibre et de sagesse qui veille à ce que le pays ne retombe jamais dans ses travers.

Monsieur le Président, vous le savez autant que moi : le peuple qui vous applaudit aujourd’hui peut vous désavouer demain. Et ceux qui vous encouragent sur le chemin interdit seront les premiers à vous abandonner quand le vent tournera. N’écoutez pas ces voix démagogiques et trompeuses. Le peuple, lui, n’oublie jamais la vérité.

Monsieur le Président, l’histoire de la Guinée est pleine d’hommes qui ont bien commencé, mais qui ont échoué à s’arrêter. Vous avez déjà prouvé votre courage. Il ne vous reste plus qu’à prouver votre sagesse. Le peuple vous respectera davantage pour une promesse tenue que pour un pouvoir prolongé. Et Dieu, Lui, élève toujours ceux qui respectent leur parole.

Avec respect, reconnaissance et espoir.

Abdoulaye J. Barry

Citoyen guinéen patriote et concerné.

Spécialiste en Analyste Financière

Membre Permanent de la Faculté d’Administration

 des Affaires du Collège Universitaire de Portland

Chercheur et Promoteur de Langue et Cultures Africaines.