Des opposants à la junte continuent de disparaître en Guinée. Restent introuvables Ibrahima Bah, ado, et Mamadou Bhoye Barry alias Mabory, interpellés par des inconnus respectivement le 20 août à Hamdallaye-Kabalayah par des agents de la Brigade anti criminalité numéro 9 (BAC9) et le 4 septembre derniers à Nongo. Deux mois après, l’inquiétude grandit chez leurs proches. 

S’opposer au régime des bidasses relève-t-il désormais d’un crime de lèse-majesté en Guinée ? Tout porte à le croire. Ibrahima Bah, 17 ans, a été arrêté à Hamdallaye-Kabalayah. Son crime, selon les informations, n’avoir pas adhéré aux idéaux du CNRD. Sa mère, Fatoumata Binta Bah explique que son fils a été interpellé non loin du domicile familial par la BAC9. Il a été arrêté avec un de ses amis sur indication d’un certain Mamadou Saliou Barry alias Si Allah-djabhi [S’il plaît à Dieu]. Ce dernier serait un ancien « chef de gang » convertit en politique et qui fait aujourd’hui les beaux jours du CNRD. Ibrahima Bah et son ami sont d’abord déposés au commissariat de Bellevue, puis à celui de Kaporo-rails. « Comme nous étions nombreux devant le commissariat de Kaporo-rails pour chercher à savoir ce qu’on leur reprochait, ils les ont bandés les yeux, les ont déposés au Services spéciaux chargés de la lutte contre la drogue et les crimes organisés », indique la maman d’Ibrahima Bah. L’ado est par la suite transféré dans un coin à Coronthie, commune de Kaloum. Il y recevait des visites de sa famille, notamment sa tante : « Mais une semaine après son arrestation, il a été extrait de cette brigade pour une destination inconnue. Depuis ce jour, nous n’avons pas de ses nouvelles. Son ami, lui, a été libéré pour cause de maladie. »

Un règlement de compte ?

Fatoumata Binta Bah est aujourd’hui à bout, elle commence même à perdre l’espoir. « Alors qu’on revenait de Kaloum, un jeune nommé Djouma qui nous aidait, m’a demandé si Ibrahima est mon unique fils. Depuis ce jour, j’ai la peur au ventre, complètement découragée. Djouma a ajouté : Que Dieu vous le restitue ! » Selon la mère, Si Allah-djabhi est à l’origine de la disparition de son fils. « C’est un règlement de compte, mon fils n’a rien fait. Si Allah-djabhi nous a dit que c’est le père d’Ibrahima qui l’a mis en prison pour la première fois, au moment des clans à Hamdallaye ici. Si c’était à cause des manifestations que mon fils a été arrêté, il aurait été jugé s’il le faut, ou on aurait su le lieu de sa détention. Mais ce n’est pas le cas. » Elle lance un appel aux autorités : « Je demande aux autorités de m’aider à le retrouver. Et s’il est tué qu’on me le dise. Je suis vraiment inquiète. »

Si Allah-djabhi avoue

Accusé d’être à l’origine de l’arrestation d’Ibrahima Bah, le mis en cause ne nie pas. Le 1er novembre, au plateau de West Africa TV, Mamadou Saliou Barry alias Si Allah-djabhi, affirme l’avoir fait pour que cessent les manifs à Hamdallaye. Mais lui-même se demande que faire aujourd’hui. « J’ai dénoncé ces enfants auprès des forces de l’ordre, pour qu’ils soient interpellés et punis, parce que ce sont des délinquants. Mais les agents n’ont pas respecté notre pacte : la punition. Je ne sais plus où il [Ibrahima Bah] est incarcéré… Sinon, son papa a été aussi la cause de mon arrestation dans les temps. » En mars dernier, ce quadragénaire avait été filmé, machette en main, en train de poursuivre un jeune qui tentait d’arracher les affiches du prési de la transition Mamadi Doum-bouillant sur l’axe Bambéto-Hamdallaye. Il assimilait Ibrahim Bah à un déchireur d’affiches du Doum-bouillant : « Je sais qu’il décrochait les affiches… » se contente-t-il de dire.

Mabory « au camp Makambo ?»

Ibrahima Bah n’est pas le seul à avoir disparu sur l’Axe Hamdallaye-Kagbélen. Mamadou Bhoye Barry, irréductible militant de l’Union des forces démocratiques de Guinée, a été enlevé à Nongo, commune de Ratoma, à la veille d’une manif des Forces vives de Guinée (FVG) le 4 septembre. Depuis, il est introuvable. Le 7 novembre, un de ses proches a révélé au Lynx que Mabory se trouverait au camp Makambo, non loin du Palais Mohammed V : « J’ai été informé qu’il se trouve au camp Makombo, j’y suis allé, mais je n’ai pas eu accès à lui. Un agent m’a cogné avec son arme à l’œil. » Selon lui, l’état de santé de Mabory se serait dégradé. « Il aurait été torturé, parce qu’il a refusé de reconnaître ce qu’ils veulent lui faire porter comme accusation : détention d’armes. » Notre source dit être menacée «par des amis de Mabory, qui sont actuellement avec le pouvoir. Et ce sont ceux-là qui l’ont filé et ont aidé à l’arrêter », explique notre source.

Le 7 novembre, maître Mamoudou Sané, un des avocats de Mabory, déclare n’avoir pas de nouvelles de son client. « Nous ne savons pas où il se trouve. »

Pour rappel, le 3 septembre dernier, Yamoussa Youla, responsable du FNDC à Dixinn, a été enlevé à Taouayh, commune de Ratoma pour une destination inconnue. Le 29 septembre, El Hadj Adama Keita, 75 ans, père du journaliste Mamoudou Babila en exil, a été enlevé alors qu’il se rendait à la mosquée. Ils n’ont pas encore donné de leurs nouvelles. Idem pour les responsables du FNDC Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, Saadou Nimaga, ancien secrétaire général du ministère des mines, Habib Marouane Camara, journaliste, respectivement enlevés le 9 juillet, le 13 octobre et le 3 décembre 2024.

Souleymane Bah