Ces six derniers mois, le Port autonome de Cona-cris est confronté à un véritable problème de congestion. Les bateaux acheminant des marchandises vers la Guinée depuis les quatre coins du monde, s’entassent aux larges de la capitale, sans savoir à quel port se vouer. Si les autorités invoquent une situation liée à la hausse de la fréquentation, le hic serait plus profond. Entre magouilles, non-respect des engagements d’Alport, accusations de dessous de tables, les ennuis au sein de cette infrastructure sont aussi nombreux que les marchandises qui attendent d’être débarquées.

Pour un opérateur comique, acheminer de la marchandise en Guinée relève du parcours du combattant. Les commerçants usent de toutes les acrobaties possibles pour pouvoir sortir leurs marchandises du Port autonorme de Cona-cris, empêtré dans un problème de congestion qui ne dit pas son nom. Résultat, des navires remplis de marchandises de tout genre s’entassent en rade, alors que les besoins et la crise se font de plus en plus ressentir dans le marché. Les importateurs auraient commencé à remarquer le phénomène depuis février dernier. Mais les responsables du PAC réussissaient tant bien que mal à le camoufler. Ils sont désormais accusés de n’avoir d’yeux que pour le matériel de Simandou et les navires de certains opérateurs ayant des accointances avec le pouvoir, au détriment de toute autre marchandise, y compris les denrées alimentaires.

Quand les navires Simandou débarquent, les autres n’ont d’autres choix que de rester à quai ou de…reprendre le chemin vers d’autres pays. S’ils ne sont pas classés dans la catégorie « priorités présidentielles ». Actuellement, une trentaine de navires serait encore en rade: «Tout navire qui vient en Guinée accuse du retard. Cela fait que certaines compagnies n’acceptent plus d’embarquer à destination de Conakry», déclare un banabana. Selon une autre source, un navire quittant la Chine à destination de Cona-cris, fait au maximum deux mois de trajet. Mais aujourd’hui, des bateaux passent plus de temps aux larges de Cona-cris que durant leur trajet: «J’ai commandé des ampoules de Chine en juillet dernier. Le trajet initial était de 61 jours, jusqu’à présent[le 23 octobre], je n’ai pas ma marchandise. Je n’ai même plus de rendez-vous. Les transitaires nous disent que le programme Simandou est désormais prioritaire devant les denrées alimentaires», explique un autre importateur. Le navire ayant à son bord la marchandise de cet opérateur comique aurait même quitté la Guinée avec sa marchandise : «S’ils arrivent et ne réussissent pas à accoster, ils retournent. Quand ta marchandise est embarquée, on te donne un code pour suivre son trajet. Le Code peut t’indiquer que le navire est arrivé à Conakry, le lendemain, il te montre que le bateau est à Lomé, Cotonou ou Monrovia… La compagnie te dit que le bateau n’a pas trouvé de la place, qu’il est reparti… Il y aura une grande crise les jours et mois à venir. Certains navires qui prenaient 1000 conteneurs à destination de la Guinée, n’en prennent maintenant que moins de 500.» Un vendeur de carreaux attend ses conteneurs depuis maintenant deux mois. Sans succès. Il crie au scandale: «Le bateau transportant les conteneurs devait être à Conakry fin août dernier. Jusque-là, j’attends. Les commerçants qui avaient commandé chez moi me harcèlent. Je me cache actuellement, parce que certains pensent que j’ai détourné leur argent.» L’importateur soupçonne même un trafic d’influence au Port: «Nous, nos marchandises sont bloquées, mais curieusement, d’autres ayant fait leur commande en Chine bien après nous, réussissent quand-même à sortir leurs marchandises du même port.»

Boycott du PAC ?

Face aux soucis multiples, un importateur de bouillons (cube Maggi), explique que les commerçants n’excluent plus de faire venir leurs marchandises à travers des ports ouest africains. Histoire de parer aux pertes de temps et d’argent: «A l’allure où vont les choses, les commerçants seront obligés de se tourner vers d’autres ports de la région». Lui aussi voit ses deux conteneurs faire le pied de grue au Port depuis belle lurette: «Quand on embarque nos produits en Chine, on nous donne un délai de 8 semaines. Actuellement, même si le bateau arrive à date, on nous signale un problème de place pour accoster. Les autorités priorisent les bateaux qui viennent avec les matériels de Simandou.» Pendant qu’il attend toujours sa marchandise, ce commerçant se voit obligé de payer des employés au chômage technique: «Cela fait trois mois que nos agents commerciaux ne travaillent pas, mais nous sommes obligés de les payer à la fin du mois. Pourtant,  nos produits se font rares sur le marché, les clients nous appellent de partout.»

Le problème n’affecte pas que le personnel du Port ou les opérateurs comiques. Les transitaires sont eux aussi frappés de plein fouet par la crise. Leurs activités sont presque à l’arrêt: «Les compagnies peuvent nous appeler plusieurs fois pour changer la date d’arrivée d’un navire. On leur dit qu’il y a un problème de place au port de Conakry. Habituellement, quand le navire arrive, nous récupérons les conteneurs au bout de 10 jours, au plus tard. Cela n’est plus possible, c’est la galère totale,» souligne l’interlocuteur.

Alport le coupable ?

Les autorités guinée-haines, de la direction du PAC au mystère des Transports, jusque-là avaient réussi à passer la situation sous silence. Mais le problème a éclaté au grand jour, quand des importateurs d’articles pour la fête de l’indépendance le 2 octobre dernier, de fournitures scolaires ou de denrées de première nécessité comme le beurre, la mayonnaise, le lait, le sucre n’ont pu récupérer leurs marchandises à temps. Les deux premiers groupes n’auraient pour la plupart reçu leurs conteneurs que bien après le 2 octobre et l’ouverture des classes le 6 du même mois. Depuis, les autorités se défendent, en rang dispersé. Le ministre des Transports lie le problème à un regain d’activités au PAC: «Ça dénote une activité économique soutenue…» Ousmane Gawa Diallo annonce une augmentation allant jusqu’à « 45% des activités du Port de Conakry.» Il estime que la fin du calvaire n’est pas pour demain, parce qu’avec «l’extension qu’on est en train de faire aujourd’hui, on ne pourra pas résorber ça rapidement.» Mamadou Biro Diallo, boss du Port autonome, parle d’une augmentation du trafic «d’environ 30%. C’est une évolution positive, mais elle a aussi mis à rude épreuve nos capacités logistiques.» Il accuse également la saison des pluies: «Pendant les pluies, on doit souvent interrompre les opérations, ce qui crée un retard cumulatif…»

Seulement voilà, les récriminations vont plus à l’encontre de la société Alport Conakry, filiale du Groupe Albayrak. Elle gère le terminal conventionnel du Port autonome de Conakry depuis 2018. Elle avait en charge, selon les termes de la concession, la réhabilitation, l’équipement et l’exploitation de cette partie du Port. Une source au PAC explique que la congestion actuelle résulte du non-respect de l’engagement d’Alport. Celle-ci devait construire au moins 3 quais à déchargement au plus tard en 2026. A moins d’un an de l’échéance, on est encore au stade de construction du premier quai. Alport aurait préféré investir dans l’achat d’équipements, notamment des grues mobiles. Et les autorités «ferment les yeux». Or, le quai fonctionnel ne peut à lui seul assurer la fluidité du Port.

Le personnel d’Alport pointe aussi le traitement qui lui est réservé par ses responsables. Il y aurait une différence salariale abyssale entre expatriés et locaux. Le personnel a voulu récemment manifester au PAC, la protestation aurait été tuée dans l’œuf par des pandores. Cet état de fait contribuerait à décourager les travailleurs et impacterait négativement sur le fonctionnement normal du terminal.

L’autre souci est l’indisponibilité des entrepôts et des camions. Bien de ces engins seraient réquisitionnés pour transporter du matériel estampillé Simandou. Les conteneurs vides s’entassent dans les entrepôts du Port. La direction du Port a dû trouver des sites où stocker désormais ces conteneurs vides pour décongestionner le Port.

La ligne de défense d’Alport

Accusée d’être le principal facteur du blocage du port, la société Alport se défend. Comme le directeur du PAC et le ministre des Transports, mardi 28 octobre dernier, le directeur gênant adjoint d’Alport a accusé lui aussi l’augmentation du trafic: «Il y a eu une croissance de 35% du volume des navires. Dans les normes de gestion portuaire, la progression maximale est de 10 à 11%. Cela est dû essentiellement au projet Simandou.» Ousmane Savané met aussi en avant le fait que des quais soient occupés par la centrale flottante servant de l’électricité à une partie de Cona-cris ou encore le dépôt d’hydrocarbures, pour ravitailler les stations-service du bled. Il confirme cependant que les priorités ont été revues. Après le matériel du Simandou, viennent les navires chargés de denrées alimentaires. Ceux ayant à leur bord d’autres marchandises (matériel de construction, habits, produits cosmétiques…) doivent attendre.  Joint par votre satirique le 31 octobre, Mamadou Baldé, le prési de la Chambre nationale de Commerce, a indiqué qu’il ne peut pas se «prononcer sur la question. Parce que  le problème est en cours de résolution». La fin de la crise, ce n’est pas pour demain.

Yacine Diallo et Ibn Adama