Eric Zemmour, le très médiatique écrivain et polémiste français, est souvent critiqué pour ses propos juges xénophobes et islamophobes. Ces critiques proviennent très souvent de Noirs et de musulmans de manière générale. Si l’on organisait aujourd’hui une consultation populaire au sein de ces communautés sur la question de savoir si Éric Zemmour devait être oui ou non  interdit d’antenne, il ne serait pas surprenant que le oui l’emporte à une très large majorité .

Mais en Guinée, des Guinéens, des Noirs traitent d’autres Guinéens, des Noirs tout  comme eux, d’étrangers dans leur propre pays. Ce qui est plus grave, c’est que des médias sont prêts à leur offrir une tribune au nom de la liberté d’expression, pour tenir des propos qui pourraient contribuer davantage à fragiliser le tissu social, presque en lambeaux. La liberté d’expression n’est pas la liberté de dire tout ce qu’on veut; la liberté d’expression n’est pas l’expression de la haine raciale, religieuse ou ethnique.

On comprend maintenant, même si on n’est pas toujours d’accord, pourquoi presque partout en Europe, tout ce qui concerne  l’antisémitisme et la négation de la Shoah est prohibé et ne saurait être toléré au nom de la liberté d’expression. Il en est de même de tout ce qui se rapporte à la négation ou la minimisation du génocide au Rwanda. La liberté d’expression sans limite est tout simplement dévastatrice. La situation est encore plus dangereuse dans un pays où le tissu social est très fragile et où l’État est déliquescent.

La liberté de presse, la liberté d’expression et la liberté de parole font partie des libertés et droits fondamentaux consacrés par nos textes. Mais, il n’existe pas de liberté sans responsabilité. En ce qui concerne les médias et sans prétendre leur donner des leçons, il est fondamental qu’ils ne négligent pas  la responsabilité sociale du journaliste. Tout ce  qui met en péril ou est susceptible de mettre en péril le vivre-ensemble doit être traité par les médias avec beaucoup de circonspection.

Chaque pays devrait mettre un frein à la liberté d’expression compte tenu de questions ou de sujets auxquels il accorde un intérêt particulier. Mais d’une manière générale, les propos et/ou les actes de nature à occasionner des clivages religieux, raciaux, ethniques ou à exacerber des tensions sociales  doivent constituer les limites à ne pas franchir dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression.

En ce qui concerne la fameuse et sensible question de la  » récupération » des terrains vendus à des étrangers » en Basse- Côte, il est important de savoir qui a donné mandat aux prometteurs de cette action. Les terrains ont été vendus par leurs propriétaires coutumiers ( la loi guinéenne reconnaît la propriété coutumière) et seuls ces derniers ont le droit de remettre en cause ces ventes, et pour des  causes qui sont légalement définies.

La vente est un acte consensuel, et de gré à gré. Aucun propriétaire n’a été contraint de céder sa propriété. Et si les vendeurs estiment que les acheteurs ont exploité leur situation de pauvreté pour leur imposer des prix dérisoires en contrepartie de vastes domaines, il existe des voies de droit pour obtenir de justes prix. Même s’il est vrai que certains acheteurs se livrent aujourd’hui à des spéculations en revendant des terrains à des prix beaucoup plus élevés que ceux auxquels ils les ont acquis, il n’est du droit de personne d’user de violences, de voies de fait pour, dit-on, récupérer ce qui a été vendu par les propriétaires légitimes. Seul l’État peut exproprier un citoyen à condition que ce soit pour cause d’utilité publique et après une juste indemnisation.

Mais au-delà de tout, ce qu’il faut éviter et surtout dénoncer, c’est la tentative de politisation de cette question. Par ailleurs, la Justice doit absolument s’intéresser à cette question et faire l’effort de résister aux pressions d’où qu’elles viennent pour y apporter une réponse strictement juridique toutes les fois qu’elle sera saisie. C’est la seule manière d’éviter des tensions liées à cette affaire.

Me Mohamed Traoré,
Ancien Bâtonnier de l’Ordre des Avocats