Par Martin Mateso,  France Télévisions

L’inquiétude grandit en Afrique de l’Ouest à l’approche des élections présidentielles d’octobre en Côte d’Ivoire et en Guinée. « La folie du troisième mandat » risque de précipiter toute la région dans le chaos, redoutent les analystes. Alioune Tine est un familier des crises qui ont secoué l’Afrique de l’Ouest, pour y avoir travaillé longtemps comme directeur régional d’Amnesty International. C’est un fervent défenseur des Droits de l’Homme respecté dans toute la région. Alors que le débat sur le syndrome du troisième mandat fait rage en Côte d’Ivoire et en Guinée, où des élections présidentielles sont prévues en octobre, il redoute une violente déflagration aux conséquences incalculables. Les présidents Alassane Ouattara et Alpha Condé « fonctionnent en mode pilotage automatique, sourds et aveugles », observe-t-il dans les colonnes du quotidien sénégalais Vox Populi. Il pointe un risque « de chaos et de somalisation » de la région.

Au mois de mars, Alioune Tine avait qualifié d’historique, la décision du président Alassane Ouattara de ne pas briguer un troisième mandat. Il a déchanté depuis que le chef de l’Etat ivoirien, privé de son dauphin brutalement décédé, s’est remis dans la course sous la pression de ses partisans. Un revirement qui fait des vagues en Côte d’Ivoire. Des manifestations anti troisième mandat de Ouattara ont déjà fait plus de six morts et une trentaine de blessés. Et l’on craint le pire dans les jours et les semaines à venir.

« Une imposture intellectuelle »

Pour Alioune Tine, ce troisième mandat, qui suscite tant de tensions et d’inquiétudes en Afrique de l’Ouest, n’a aucune réalité juridique et constitutionnelle.  C’est une imposture intellectuelle qui dissimule les nouvelles formes de coup d’Etat constitutionnel et de coup d’Etat électoral. Cela crée instabilités et régressions. Pour lui, la limitation de mandats est évoquée en Afrique pour éviter que ça dépasse deux mandats. Le reste relève « d’extrapolations infectes menant à un coup d’Etat constitutionnel », dénonce-t-il.

Pourquoi Alassane Ouattara prend-il le risque de mettre le feu au pays ? Pour l’analyste politique ivoirien, Sylvain N’guessan, si le président ivoirien veut se maintenir au pouvoir, c’est en raison de l’échec de la réconciliation nationale et du processus de justice transitionnelle inachevé après la grave crise postélectorale de 2010-2011 qui s’était soldée par plus de 3 000 morts.

« Les tenants du pouvoir actuel redoutent que si l’opposition arrive aux affaires, ils seront obligés de prendre leurs effets et de partir en exil. Dans ce genre de contexte, tous les moyens sont bons pour conserver le pouvoir », explique Sylvain N’Guessan sur l’antenne de la BBC.

L’analyste politique ivoirien observe que même les chefs d’Etats africains qui arrivent à imposer leur dauphin pour prendre leur relève ne s’en tirent pas toujours à bon compte. Il cite le cas de l’ancien président angolais, José Edouardo Dos Santos dont le dauphin s’est émancipé rapidement de son mentor. Résultat : certains membres de sa famille, dont ses propres enfants, ont été traînés devant les tribunaux pour corruption et détournements de fonds publics. D’où la tentation de garder les commandes le plus longtemps possible pour éviter les mauvaises surprises. Mieux vaut s’accrocher quitte à mourir au pouvoir pour préserver, non seulement sa tête, mais aussi les intérêts de la famille et de son clan.

Aux quatre coins de l’Afrique, on ne compte plus le nombre de chefs d’Etat qui, au terme de leur deuxième et dernier mandat, manipulent la constitution pour rester au pouvoir. C’est le cas du président de Guinée, Alpha Condé, qui est poussé par ses partisans à briguer, lui aussi, « un mandat de trop ». L’intéressé n’a pas encore annoncé officiellement sa candidature. Mais, après le référendum constitutionnel qu’il a organisé, personne n’en doute plus dans son pays. Ses opposants sont déjà sur le pied de guerre.

Des recettes pour un départ en douceur

Comment inciter les chefs d’Etat africains à quitter le pouvoir pacifiquement ? Comment aider ceux qui se reprochent beaucoup de choses en matière de gouvernance ? Ceux qui craignent des audits pouvant sortir des cadavres de placards ? L’ancien chef de la diplomatie mauritanienne et ancien haut fonctionnaire de l’ONU, Ahmedou Ould Abdallah, a quelques recettes qu’il a exposées sur le site de Wathi, un Think Tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest.

L’ancien diplomate mauritanien propose d’offrir aux anciens chefs d’Etats une amnistie conditionnelle, valide tant qu’ils restent dans leurs pays. Il suggère qu’une pension généreuse leur soit accordée, en même temps que divers avantages pour que leur sécurité matérielle soit durablement assurée. Le tout avec les honneurs protocolaires liés à leur statut d’anciens présidents. Il estime que cette démarche coûterait moins cher que les pillages auxquels ces chefs d’Etats s’adonnent. Mais, comme il le reconnaît lui-même, ses propositions ont reçu une fin de non-recevoir de la part des partis d’opposition en Afrique de l’Ouest.

Pour sa part, Sylvain N’Guessan estime qu’il faut que les sociétés civiles africaines prennent leurs responsabilités pour peser dans le débat lors de la rédaction des constitutions et à l’occasion de leur modification. « Elles doivent expliquer les enjeux de ces réformes aux électeurs et aux populations concernées », pour que ces dernières agissent en connaissance de cause, plaide-t-il.

MM