Suite de notre dossier sur la migration irrégulière. L’ampleur du phénomène a placé la Guinée parmi les premiers demandeurs d’asile en Europe alors qu’en 2015, notre bled ne figurait pas dans le top 10. Après l’étape de Mamou, un des points de départ des clandestins, nous nous dirigeons sur Labé, autre plaque tournante de la migration.

La gare-routière du quartier Conserverie dans la commune urbaine de Mamou enregistre ses premiers passagers à multiples destinations ce 23 novembre vers 8h 00. Sur la ligne Mamou-Dalaba-Pita-Labé, non encore peint en jaune, un taxi dit six places (en réalité il ne devait en prendre que trois: deux sur la banquette arrière, un au siège de devant, mais en Guinée même le taxi urbain double ses passagers) embarque ses passagers. Nous nous y enregistrons. Sur les six passagers, deux devraient continuer sur le Sénégal, pour deux raisons: rejoindre un membre de la famille, recherche du bonheur. La fermeture des frontières à la veille du scrutin présidentiel du 18 octobre dernier, l’état d’urgence sanitaire à cause de Covid-19, ils s’en balancent. «J’ai déjà parlé avec un frère qui m’attend à la frontière. Mon problème, j’ai appris que pour traverser la frontière côté guinéen, il faut payer fort avec les taxi-motards qui connaissent comment éviter le poste de contrôle de Bhoundou-Fourdou…», se lamente l’un d’eux. Parcourir les 147 kilomètres qui séparent Mamou de Labé, aura duré 4 heures et demi, pas moins.

A Labé, connaissant certes les pratiques néfastes des passeurs sur la couche juvénile du buisson, peu de citoyens parlent des passeurs. D’autres, comme les migrants, ont une rage contre eux au point qu’ils ne veulent pas parler d’eux, qui seraient tapis à la gare-routière du quartier Daaka, dans la commune urbaine.

Au siège du gouvernorat, Aboubacar Tounkara dirige le SERACCO (Service régional d’appui aux collectivités et de coordination des interventions des coopératives et ONGs), prési de l’Unité technique régionale OIM de Labé, affirme : «Les citoyens disent qu’il y a des passeurs à Labé, mais nous, nous ne les avons pas encore rencontré. Ils évoluent clandestinement, on nous a parlé de la gare-routière de Daaka, mais on ne les a pas rencontrés.» Selon lui, les services de sécurité sévissent à la frontière, «surtout avec Koundara. Il y a des gens qui prennent des enfants ici, pour dire qu’ils les envoient en Mauritanie ou au Sénégal pour étudier le Coran. C’est un argument qui n’est plus valable, parce qu’il y a des foyers ici de récitation du Coran, mais c’est avec cet argument qu’ils embarquent les jeunes. Heureusement que les services de sécurité de Koundara sont vigilants, ils parviennent à interpeller ces mineurs migrants non accompagnés…» Il explique que parmi ces «migrants retournés assistés par l’OIM, il y en a qui ont passé par la route du Sénégal…» Selon lui, l’Unité technique régionale, appuyée par l’OIM, comprend les services de sécurité qui appuieraient les autorités régionales dans la lutte contre la migration irrégulière, le SERACCO, les Inspections régionales de l’Elevage, Jeunesse, Education, Action sociale, Plan, Société civile. Bouba Tounkara témoigne que récemment deux camions auraient été interpellés à Koundara, avec des marmots non accompagnés à bord. L’Inspection régionale de l’Action sociale aidée par l’Unicef a cherché à les identifier et les ramener dans leurs familles respectives. Seulement voilà, les services de la Sûreté régionale impliquée dans la gestion de ce dossier n’ont pas voulu en parler avec nous. Au siège de la Compagnie régionale de la Gendarmerie, le Colonel Lamah s’est déchargé sur un certain Colonel Kéïta, commissaire des frontières à Bhoundou-Fourdou, à Koundara. La justice de Labé, elle, dit n’avoir pas encore enregistré de contentieux entre passeurs clandestins et migrants.

A l’Inspection régionale de l’Action sociale

L’Inspectrice régionale de l’Action sociale, de la Promotion féminine et de l’Enfance à Labé, Mme Barry Fatoumata Diakité, se dit préoccupée par «la multiplication de la mobilité des enfants dans la région de Labé.» Beaucoup de marmots s’engagent en aventure, non accompagnés. Elle indique que des équipes mobiles appelées assistants sociaux travaillent sur le terrain, des syndicats de transport sont formés pour qu’ils «puissent intercepter les enfants voyageurs non accompagnés et les signaler à l’Inspection régionale de l’Action sociale». Dès qu’ils sont interceptés, il y en a qui refusent de parler, il y en a qui mentent en disant qu’ils vont chez leurs grands-pères ou grand-mères qui les manquent beaucoup. «Mais quand on les met avec d’autres enfants, en jouant ensemble, ils parlent et disent la vérité. Les autres parviennent à avoir l’objectif de leur voyage et nous faisons le retracement familial pour trouver d’où ils sont venus. Quand nous retrouvons leurs familles, on les embarque à nos frais à la gare-routière, pour qu’ils les rejoignent. Et nous les écoutons des fois, pour connaître leurs besoins. Si ce sont des élèves, on fait ce qu’on appelle un accompagnement scolaire, pour qu’ils puissent continuer les études, s’ils ne le sont pas, on procède à leur réinsertion professionnelle, pour qu’ils apprennent un métier par exemple (…)» Dame Diakité affirme que «des enfants disent qu’il y a des passeurs ici à Labé avec qui ils ont échangé au téléphone, qui leur ont demandé de l’argent, mais qu’ils ne les ont pas rencontré encore.» Lorsque ces gamins ne disposent pas des sous que ces passeurs leur réclament, ils travaillent dans le marché de Labé comme portefaix ou font «des travaux qui ne conviennent pas à leurs âges, pour juste trouver l’argent qu’on leur demande afin qu’ils continuent leur voyage». L’Inspection régionale de l’Action sociale envisagerait des enquêtes, pour dénicher ces passeurs, non « pour les traduire devant la justice, mais pour les sensibiliser, afin qu’ils sachent le danger que ces enfants sont en train de courir.» Amen !

Que dit l’OIM-Labé ?

Dame Déjèné Sangaré, Assistant-projet du point focal de l’OIM-Labé (sous couvert du sous-bureau de Mamou) ne parle pas des passeurs. Elle parle de ce qui la regarde : réinsertion et réintégration des migrants de retour dans la région de Labé composée de cinq préfectures: Koubia, Tougué, Mali, Lélouma, et la commune urbaine de Labé. Combien sont-ils, ces migrants retournés ? C’est l’OIM Cona-cris qui maîtrise les chiffres. Peut-on les estimer ? «C’est vraiment Conakry qui détient les chiffres

Gare-routière de Daaka

Pi-piii ! Voilà la gare-routière de Daaka, ligne Labé-Koundara. Les jeunes se rendant au Sénégal, Guinée-Bissau ou Gambie s’embarquent là. A cause de la fermeture des frontières avec le Sénégal, la Guinée-Bissau, il n’y a point de tacot vers ces destinations. Contrairement à l’habitude. «Mais arrivés à Koundara, migrants ou simples voyageurs qui rejoignent leurs parents au Sénégal pour une raison ou une autre, empruntent les taxi-motos pour arriver à Madina-Gounass, Djaladian, Missira.» Le syndigaleux se disant chef de la ligne Labé-Koundara, Abdoul Karim Diallo, confirme que ni la pandémie Covid-19 ni la récente fermeture des frontières avec le Sénégal et la Guinée-Bissau n’ont stoppé le trafic Labé-Koundara. «A l’heure actuelle, les jeunes voyageurs qui s’embarquent à Labé continuent en majorité vers le Sénégal, la Gambie ou vers la Mauritanie, je crois qu’ils se rendent au Maroc aussi par la route du désert. En tout cas, on embarque au moins deux taxis de (neuf places chacun) par jour ici à destination de Koundara, mais en réalité, ils continuent vers ces pays», ajoute un autre. Même si le trafic est «beaucoup réduit».

Cette enquête a été réalisée grâce à un appui du Bureau régional de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture) à Dakar, dans le cadre de son projet: «Autonomisation des jeunes en Afrique et lutte contre la migration irrégulière à travers les medias et la communication». Projet réalisé dans huit pays: Côte d’Ivoire, Cameroun, Ghana, Guinée, Mali, Niger, Nigeria et Sénégal. Le projet est financé par le Ministère italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale (MAECI), via l’Agence italienne pour la Coopération au Développement (AICS).

Mamadou Siré Diallo
Envoyé spatial