Le magnat des mines est reconnu coupable d’avoir versé des millions de dollars pour s’emparer de gisements miniers en Guinée.

Le roi du diamant Beny Steinmetz a été condamné vendredi à une peine de 5 ans de prison ferme par le Tribunal correctionnel de Genève pour avoir corrompu en Guinée. Il devra aussi verser 50 millions de francs à titre de créance compensatrice, une forme de confiscation. Son coaccusé Frédéric C. écope également d’une peine ferme, sa femme de confiance d’une peine avec sursis. Le tribunal n’a retenu aucune circonstance atténuante pour les trois accusés.

Beny Steinmetz est néanmoins ressorti libre du tribunal grâce à un sauf-conduit qui lui avait été délivré avant le procès. Il s’est dit victime d’une «grande injustice» et a annoncé son intention de faire appel. Selon le premier procureur Yves Bertossa, qui soutenait l’accusation, les sauf-conduits délivrés aux trois accusés, tous venus de l’étranger, empêchent leur incarcération immédiate.

Âgé de 64 ans, l’homme d’affaires franco-israélien était accusé d’avoir corrompu la quatrième femme de l’ancien président de la Guinée pour s’emparer du gisement de fer de Simandou. Entre 2008 et 2011, son entreprise Beny Steinmetz Group Resources (BSGR) a versé 34,5 millions de dollars à un trio d’intermédiaires qui avaient rémunéré l’épouse présidentielle, Mamadie Touré, à hauteur de 8,5 millions de dollars au moins.

«Volonté de corrompre»

En lisant le jugement, la présidente du Tribunal correctionnel, Alexandra Banna, s’est livrée à un récit détaillé et cinglant des versements de BSGR au profit de Mamadie Touré. Elle a dénoncé les «justifications absurdes» et les «mentions mensongères» utilisées par le groupe de Beny Steinmetz pour camoufler ces versements. Elle a aussi insisté sur le rôle personnel de Beny Steinmetz dans ces opérations. Selon elle, ces versements s’inscrivent dans une «unité naturelle d’action qui procède d’une volonté unique: corrompre le président guinéen».

La juge a littéralement mis en pièces les arguments présentés par la défense durant le procès. Selon elle, Beny Steinmetz et ses coaccusés ont bien conclu en 2005 un «pacte de corruption» avec le président guinéen Lansana Conté pour faire main basse sur le plus gros gisement de fer inexploité au monde, dans les collines de Simandou. Ils ont utilisé dans ce but sa quatrième épouse, Mamadie Touré, qui leur a donné accès au président en échange de quelque 10 millions de dollars. Le chef de l’État, «en violation des devoirs de sa charge», a cédé le «joyau de la couronne» qu’était Simandou à Beny Steinmetz et son groupe, sans autre contrepartie que les millions versés à sa quatrième épouse. Le fait que le président soit mort en 2008 ne joue aucun rôle, puisque le pacte de corruption est resté valable et que les versements à Mamadie Touré se sont poursuivis jusqu’en 2012.

«Il est personnellement informé, impliqué»

La présidente n’a laissé aucune chance à l’argument de Beny Steinmetz selon lequel il ne serait qu’un consultant de son groupe, étranger aux événements en Guinée. «Steinmetz connaît parfaitement tous les projets du groupe et est très impliqué dans les aspects financiers», a affirmé la juge en s’appuyant sur la masse d’e-mails internes et de documents saisis en Suisse, en Israël et ailleurs durant les six ans qu’a duré l’enquête. «Il est personnellement impliqué, informé, considéré à l’intérieur et à l’extérieur comme le chef de BSGR, le numéro 1 ou le boss. […] Il est impliqué dans toutes les étapes importantes du projet guinéen.»

Appel «jusqu’à Dieu s’il le faut»

La prise de contrôle de Simandou s’est avérée extraordinairement lucrative pour Beny Steinmetz et son groupe. En 2010, ils ont revendu le projet pour 2,5 milliards de dollars au géant du fer brésilien Vale, avant que le nouveau président guinéen, Alpha Condé, n’annule les permis miniers pour cause de corruption. Sur cette somme, Beny Steinmetz a personnellement reçu 150 millions de dollars par le biais de la fondation liechtensteinoise Balda, administrée par son avocat Marc Bonnant.

La magistrate relève aussi que Beny Steinmetz et ses complices ont utilisé une «structure opaque mise en place depuis Genève» pour camoufler les versements, une fois les droits sur Simandou acquis. Des comptes ont été falsifiés, des transactions «inventées de toutes pièces», des «circuits internationaux variés et opaques» ont été utilisés pour effectuer les versements. Ils n’ont pu être percés à jour que grâce à une «coopération internationale longue et ardue» des enquêteurs genevois, notamment avec Israël. Au final, selon le tribunal, l’opération de corruption en Guinée constituait une «faute importante» qui «menace l’existence même de l’État de droit».

Devant le Tribunal correctionnel, les défenseurs de Beny Steinmetz et de ses deux coaccusés avaient dénoncé une enquête menée «exclusivement à charge» par le procureur genevois Claudio Mascotto, ainsi que l’absence de tous les témoins étrangers convoqués au procès. Ils promettent désormais de recourir, «jusqu’au Tribunal fédéral et jusqu’à Dieu s’il le faut», a lancé l’avocat de Beny Steinmetz Marc Bonnant à l’issue du jugement. «Je reste totalement combatif et confiant, ajoute un communiqué de Beny Steinmetz, la justice établira la vérité.»

Sylvain Besson,

La Tribune de Genève