Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités nigérianes de garantir la protection d’un journaliste d’investigation qui craint pour sa vie après que plusieurs de ses sources ont été tuées en marge de son enquête sur des massacres.
La nuit, son téléphone s’allume tout seul. Le jour, il est parfois impossible de mettre fin à certains appels sans éteindre l’appareil. Ibanga Isine, journaliste d’investigation nigérian, plusieurs fois primé pour son travail, ne fait plus confiance à ses portables, sans doute compromis et sous écoute à cause de son enquête sur les massacres commis dans le sud du Kaduna, un État du nord-ouest du Nigeria. Le rédacteur en chef de The Next Edition, l’un des sites d’investigation les plus suivis du pays, vit désormais loin de chez lui. Les menaces liées à son travail devenaient trop pesantes. Depuis le début de son enquête dont le quatrième et dernier volet a été publié samedi 23 janvier, plusieurs de ses sources sont mortes. Un chef coutumier a été assassiné à son domicile. Un avocat et un ancien gouverneur sont morts soudainement. Tous accusent Malam Nasir El-Rufai, le gouverneur de l’Etat, d’avoir joué un rôle trouble dans les affrontements intercommunautaires qui ont fait plusieurs centaines de morts depuis un an.
«Après ce qui est arrivé à certaines de ses sources, ce journaliste a toutes les raisons d’être inquiet et de prendre des précautions pour éviter de connaître le même sort, déclare le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger. Compte tenu de sa contribution importante pour mettre en lumière et documenter ces massacres afin qu’ils puissent cesser, nous demandons aux autorités nigérianes de garantir la sécurité de ce journaliste et de tout mettre en œuvre pour qu’il puisse exercer son métier sans crainte de représailles.»
Sollicité par RSF, le gouverneur de l’Etat du Kaduna n’a pas donné suite aux demandes formulées par notre organisation concernant la sécurité de ce journaliste et de ses sources.
«Ici, la peur empêche souvent les journalistes d’entreprendre ce genre d’enquêtes et il est pratiquement impossible d’avoir une couverture équilibrée car les autorités refusent de communiquer ou ont recours à l’intimidation», témoigne un reporter local qui préfère rester anonyme pour des raisons de sécurité. L’Etat de Kaduna est l’un de ceux ayant enregistré le plus d’arrestations de journalistes dans le pays ces dernières années et les critiques exprimées contre le gouverneur mènent parfois en prison.
De manière générale, le Nigeria est devenu l’un des pays les plus dangereux pour les journalistes sur le continent africain. Depuis 2019, trois reporters ont été tués par balles dans l’impunité la plus totale en marge de manifestations ou de rassemblements violemment dispersés par les forces de sécurité. Malgré les poursuites engagées par les familles et soutenues par des organisations de la société civile dont RSF, aucune des enquêtes engagées n’a abouti à l’identification et à la traduction des responsables présumés devant la justice.
Le Nigeria occupe la 115e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.
Reporters Sans Frontières