Le vendredi 29 janvier, les rares nouvelles têtes du gou-bernement Cas-Sorry ont pris fonction : aux Travaux poussifs, Mousto Naïté a passé la main à Kadiatou Emilie Diaby ; aux Affaires étranges et des Guinéens de l’étranger, Mamadi Touré a cédé la place à Ibrahima Khalil Kaba alias «Lilou». Ce dernier hérite d’une diplomatie sous pression: condamnations occidentales suite à la détention et à la mort d’opposants dans les geôles guinéennes, fermeture des frontières… le tout dans un contexte sanitaire difficile.
Huit ans durant, il avait bossé dans l’ombre de Sékhoutouréya, en étant chef de cabinet civil, ministre chef de cabinet, puis ministre directeur de cabinet à la Présidence. Le discret Ibrahima Khalil Kaba sera désormais constamment devant les projecteurs et portera la voix de la diplomatie guinéenne. Dans un discours d’une vingtaine de minutes, son prédécesseur, Mamadi Touré, a dû lui rappeler les enjeux de son nouveau poste, à travers cette sagesse de Kofi Annan, défunt secrétaire général de l’ONU : «Une des singularités de la diplomatie est que l’essentiel se fait discrètement. Lorsque la diplomatie fonctionne, personne n’en parle. Lorsqu’elle ne fonctionne pas, tout le monde s’en plaint».
Jean-Yves… de colère !
La Guinée sort d’une éprouvante sélection présidentielle qui conforte l’assertion de l’écrivaine française, Alice Ferney : «Dans une guerre, la victoire même est une défaite». Celui qui a été déclaré vainqueur par les institutions guinéennes, tout comme son adversaire, n’en sort pas indemne. En dépit de la «diplomatie préventive, des rencontres périodiques avec l’ensemble du corps diplomatique accrédité en Guinée et la sensibilisation de nos partenaires à l’étranger» menée par le ministre sortant, pour essayer de crédibiliser le scrutin du 18 octobre aux yeux du monde. Le lendemain du scrutin, le président français, Emmanuel Macaroni, n’avait pas caché sa déception et ses inquiétudes pour l’avenir de la démocratie en Guinée.
Malgré l’investiture d’Alpha Grimpeur, les morts de prisonniers politiques dans des conditions obscures à l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie suite à des détentions prolongées d’opposants sans procès, les relations entre la Guinée et l’Occident ont du mal à se normaliser. Les Etats-Unis qui viennent de remplacer l’indifférent Donald Trump par un Démocrate (Joe Biden) plus regardant en matière de démocratie et des droits de l’homme, l’Union Européenne et la France ont rivalisé de condamnations ces derniers jours envers Cona-cris.
Souverain et muet
«Avec l’Union européenne, nous avons demandé aux autorités de Guinée de faire toute la lumière sur les événements qui se déroulent en ce moment, avec éventuellement des mesures à prendre si cette lumière n’est pas faite», a menacé, mercredi 27 janvier lors d’une intervention au Sénat, Jean-Yves Le… Truand, ministre français des Affaires étrangères. La bosse du Quai d’Orsay d’enfoncer le clou: «Nous condamnons les détentions hors procédure judiciaire d’opposants, en particulier monsieur Diallo (Ousmane Gaoual Diallo, dirlo de la communication de l’UFDG, ndlr) que vous connaissez et pour lequel j’ai décidé d’apporter la protection consulaire. Il est incarcéré alors qu’il a des soucis de santé». En marge de l’investiture du Ghanéen Nana Akufo-Addo le 7 janvier à Accra, Jean-Yves Le…Truand aurait exposé à Alpha Grimpeur l’impérieuse nécessité de calmer le jeu politique en Guinée.
Pour le moment, Cona-cris donne sa langue au chat. Entre porte-parolat du gou-bernement, mystère de la Justice et Affaires étranges, on se rejette la paternité de la réaction. Même si la bosse de la Sécu et de la protection civile Damantang Albert Cas-marrant s’est offusqué chez nos (con)frères de Djoma TV en ces maux: «Quand il s’agit de l’Afrique, toutes les organisations ont un œil condescendant, bienveillant et même paternaliste vis-à-vis des opposants, des organisations de défense des droits de l’homme, et c’est systématiquement l’Etat qui est interpellé».
Le sortant Mamadi Touré a martelé pour sa part que les questions de souveraineté nationale sont non négociables : «Les élections ont été également l’occasion pour la diplomatie guinéenne de réitérer son profond attachement aux principes qui régissent les relations entre les Etats, notamment celui de la non-ingérence dans les affaires internes. Sur cette question et bien d’autres, la voix de la Guinée, qui a une histoire politique avant-gardiste dont elle est fière, doit rester ferme et respectée».
Colère…sans frontières
Comme pour joindre l’acte à la parole, la Guinée n’a pas tardé à emboîter le pas à la France qui a fermé ses frontières aux voyageurs non européens pour des raisons de coronavirus, à compter du 31 janvier. « Dans le cadre de la réciprocité avec l’Union européenne, l’ambassade de Guinée en France a l’honneur d’informer les demandeurs de visas que son service des visas est fermé au public jusqu’à nouvel ordre ». (Communiqué du 29 janvier). Sont exemptés de cette mesure : diplomates ou membres d’organisations internationales implantées en Guinée, humanitaires, détenteurs de visas long séjour, conjoints de ressortissants guinéens, Européens résidant en Guinée, miniers et experts français en mission en Guinée.
Les frontières guinéennes étaient déjà fermées à trois pays voisins sur six : Sénégal, Sierra Leone, Guinée Bissau. Le président léonais Julius Maada Bio avait profité du 53e sommeil de la CEDEAO, tenu le 23 janvier par visioconférence, pour se plaindre contre la Guinée. A la fermeture de la frontière, il avait dénoncé « la multiplication des incursions des troupes guinéennes dans la région de Yenga, territoire souverain incontesté de la Sierra Leone. Nos homologues guinéens continuent d’empiéter les frontières terrestre et maritime de la Sierra Leone ».
Des pourparlers ont été finalement entamés avec la Sierra Leone dont une délégation conduite par Abass Bundu, prési de l’Assemblée nationale, a séjourné les 27 et 28 janvier à Cona-cris. Au menu des discussions : «la réouverture de la frontière entre la Sierra Leone et la Guinée, la démarcation de la frontière à Yenga-Nongowa et les questions de sécurité et coopération en général entre les deux pays», selon la résolution lue par «Lilou», peu après sa prise de fonction. «Les deux parties ont convenu d’un cadre de concertation pour résoudre les préoccupations dans les plus brefs délais. (…) Dans le cadre des actions immédiates à entreprendre, il a été convenu qu’une délégation guinéenne se rendra en Sierra Leone en février 2021 pour travailler avec ses homologues sierra-léonais afin de convenir d’un terrain d’entente pour une coopération plus approfondie. Cela servira de base de discussion entre les deux Chefs d’État qui se réuniront pour conclure sur les questions soulevées».
Visas et passeport
Si Mamadi Touré se targue d’avoir «réussi à ramener la délivrance des visas électroniques dans les prérogatives du ministère des Affaires étrangères et des Guinéens de l’étranger» et que prochainement, les ambassades et consulats pourront délivrer le précieux sésame, l’ancien chef de la diplomatie guinéenne a en revanche précisé : «La question de l’enrôlement et de la délivrance des passeports ne relèvent pas des attributions du département des Affaires étrangères qui est en réalité demandeur. Pour soulager nos compatriotes vivant à l’étranger, nous avons engagé des discussions avec le ministère de la Sécurité et de la protection civile en vue du déploiement d’agents de police dans certaines de nos ambassades, notamment aux Etats-Unis, en France, en Russie, en Chine et en Angola. Des agents seront très bientôt dans ces pays pour procéder à l’enrôlement et à la délivrance de passeports à nos compatriotes demandeurs».
En guise de reconnaissance à Alpha Grimpeur, «Lilou» jure quant à lui, la main sur le palpitant, de «servir en toute circonstance de manière loyale, dans le respect de l’éthique, des valeurs républicaines et avec la culture du résultat. Je m’engage devant vous à donner le meilleur de moi-même à ce nouveau poste». Parmi les chantiers du nouveau patron des Affaires étranges, figure la mise en œuvre des recommandations de la première édition de la Conférence diplomatique de Guinée, tenue en avril 2019 sous le signe de la «diplomatie au service de l’émergence».
Mobiliser la diaspora et les partenaires
Ibrahima Khalil Kaba, qui a étudié et travaillé vingt-ans durant aux Etats-Unis et présidé le Comité de suivi de l’accord stratégique sino-guinéen, aura la lourde charge de concilier les intérêts antagonistes occidentaux, chinois et guinéens, en menant une diplomatie économique dans un contexte de crise sanitaire. Et la diaspora ne devra pas être laissée pour compte. «Notre ministère est celui des affaires étrangères mais aussi et surtout celui des Guinéens de l’étranger. Ces millions de nos braves concitoyens de la diaspora qui constituent une force extraordinaire de développement de notre pays. Nous devons veiller à la mobilisation de ces compatriotes pour leur participation effective au développement socioéconomique du pays. Nous devrons aussi veiller à leur sécurité dans leurs pays d’accueil et de transit, et faciliter le retour et la réinsertion de ceux d’entre eux qui en expriment le souhait». Amen.
Agé de 47 ans, marié et père de cinq garçons, «Lilou» est fils de diplomates : son père, Karamo Fiman Kaba, instituteur devenu député de Kouroussa à l’âge de 28 ans, fut le premier secrétaire de l’ambassade de Guinée à Rome (1971-1977), avant de diriger la division Afrique-Caraïbes-Pacifique–Communauté économique européenne (ACP-CEE) du ministère de la Coopération sous Sékou Tyran ; sa mère, Saran Daraba, ancienne ministre des Affaires sociales, de la promotion féminine et de l’enfance dans le gouvernement du Sid Touré, en 1996, ancienne candidate à la présidentielle de 2010, avait été Secrétaire générale de l’Union du fleuve Mano.Du haut du plateau de Koloma, où a été construit le nouveau siège du ministère des Affaires étranges, il veillera désormais sur la diplomatie guinéenne.
Diawo Labboyah