Ce 16 avril, Amadou Diouldé Diallo passe sa 49è nuit en taule à Cona-cris, dans une Guinée qui a décriminalisé les délits par voie de presse. Accusé d’offense au chef de l’État, le journaliste sportif, historien, homme de culture est allé en prison par les vertus de l’article 235 du code de procédure pénale. Pourtant, la loi organique L/ 2010/ 02/ CNT du 22 juin 2010 portant liberté de la presse réprime le même délit.  Même si elle ne totalise que 148 articles, elle couvre tous les aspects des délinquances médiatiques. Amadou Diouldé Diallo goûte ainsi aux délices de l’incarcération en partie parce que son rôle de lanceur d’alerte a été jeté à la poubelle de l’histoire. Si l’on avait agi dans le sens de l’Histoire, on aurait peut-être décerné au prisonnier un diplôme de reconnaissance. Hélas, c’est la thèse de l’offense qui a prévalu.

Tel M. Jourdain, on peut offenser sans le savoir. Diouldé a noté avec amertume des anomalies qui montent crescendo dans la vie de la nation guinéenne depuis l’arrivée au pouvoir du Président-Grimpeur en 2010. Il a demandé au chef de l’État d’agir autrement pour mieux gouverner. « Il a dit ses vérités. » Celles-ci n’ont pas plu. Il a été enfermé. Son rôle de lanceur d’alerte a été stigmatisé, transformé en « offense au Chef de l’État.» On le dit souvent, ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on réussira à baisser la température. Ce que Diouldé craignait se manifeste tous les jours en Guinée. Son retour en prison le 13 avril n’a rien réglé de fondamental. Triste coïncidence : quand il s’expliquait à la barre, Boké et N’Zérékoré étaient en ébullition.

Comme l’ont rapporté nos confrères de Laguinee.info, à Boké, une opération de déguerpissement qui visait les vendeuses aux abords de la voirie urbaine du marché Goreye a viré à l’affrontement. « Nous n’avons pas où aller et nous sommes vraiment dans le besoin. Mon mari ne travaille pas. C’est moi qui prends en charge le quotidien de la famille et paie la scolarité des enfants. .S’ils nous disent de quitter ici sans nous dire où aller, ce sera  vraiment compliqué. Ces responsables ne font rien que de nous faire du mal tous les jours. Il n’y a pas de routes, pas d’eau, pas d’électricité. Ils doivent penser à rétablir ces éléments au lieu de nous accuser à tort. Après tout, on a proclamé Boké zone économique spéciale. C’est tout simplement honteux, » réagit une vendeuse, Salématou Sylla.  

Les taxis-motos étaient également visés. L’un d’eux raconte : « Dès mon arrivée à notre arrêt, j’ai vu des policiers et des gendarmes partout. Je me suis dit qu’il y a quelque chose qui ne va pas et directement un policier m’a dit de quitter. J’ai fait ce qu’il m’a dit. Entre temps ils se sont mis à retirer les clefs des motos, considérant que c’est nous qui poussons ces femmes à être là. Donc, cela a causé une très grande frustration chez mes amis motocyclistes qui ont finalement jeté des cailloux et c’est à partir de là que les policiers ont lancé leurs gaz lacrymogènes pour nous disperser. Deux femmes se seraient évanouies sous l’effet des bombes lacrymogènes et auraient été transportées dans un centre hospitalier de la ville.»

Tout comme Amadou Diouldé Diallo, ces conducteurs de taxi-moto, Salématou Sylla et les femmes évanouies, toutes originaires de Boké, personne n’est pro ou anti Alpha Condé primaire. Le problème est ailleurs. Ils veulent vivre la vie normale à laquelle ils ont droit. Seulement voilà ! La pédagogie des gaz lacrymogènes peut ne pas être la meilleure. Nietzsche est ce qu’il est, mais il a dit que « l’on peut toujours faire autrement.» Diouldé ne l’a pas plagié, mais les deux ont quasiment dit la même chose.

Les mêmes confrères de Laguinee.info rapportent que le 14 avril, le lendemain de la comparution d’Amadou Diouldé Diallo devant le juge de Dixinn, « le maire de la commune urbaine de N’Zérékoré a rencontré plusieurs religieux de la place. Les échanges ont porté sur l’affrontement entre deux groupes de jeunes survenu la veille à N’yeh Kpama 2, un des quartiers de la ville. Il a demandé de prôner la paix entre musulmans et chrétiens, rappelant que N’Zérékoré est une région très sensible aux problèmes religieux. Le rendez-vous a connu la présence de plusieurs imams venus de différentes mosquées de la ville de N’Zérékoré…On va multiplier les sensibilisations vers les fidèles pour les inviter à la retenue et à la cohésion sociale dans la commune urbaine. On a commencé cela avant même le mois saint du Ramadan. On va continuer jusqu’au bout. Les imams ont pris l’engagement de faire  mieux pour l’instauration de la paix dans nos différentes communautés. On ne veut plus que cela se répète dans notre ville. Je demande à tous les fidèles de préserver la paix, d’éviter les violences. Restons solidaires, la paix n’a pas de prix ! Soyons et vivons en paix ! », dit El Hadj Aly Souleymane Condé, secrétaire communal aux affaires religieuses de N’Zérékoré.

C’est dans le souci de « ce vivre ensemble » dans l’harmonie et la justice, dans l’harmonie par la justice, qu’un journaliste émérite croupit aujourd’hui en prison. Il y croupit parce que ceux qui veulent qu’il continue d’y croupir n’ont pas apprécié à sa juste valeur cette vérité de Paul Renouvier selon laquelle « la morale pure, c’est la paix ;  elle a pour champ d’application, la guerre.» Le Rwanda est là pour le prouver. N’est-ce pas, Diouldé ?

DS