En six mois, plus d’une demi-douzaine de chefs d’Etat d’Afrique francophone se sont fait réélire lors d’élections sans alternance qui ressemblent à des mascarades, sources de gaspillage sans nom d’argent public. C’est sans doute le meilleur baromètre de l’état de la démocratie en Afrique : 19 chefs d’Etat et pas moins de trois chefs de gouvernements étaient présents vendredi 16 avril à l’investiture de Denis Sassou dont on sait qu’il a été réélu dans des conditions controversées pour un quatrième mandat après 37 années au pouvoir.
De Djibouti à Brazzaville en passant par Bangui, Conakry, Cotonou, Niamey, N’Djamena, des scrutins présentiels organisés entre novembre 2020 et avril 2021 ont pris la forme de farces électorales qui pouvaient faire rire, si elles n’avaient pas conduit à des morts inutiles : près de 80 morts pour la réélection d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, plus de 40 morts pour la réélection de Alpha Condé, environ 3 morts pour la réélection de Patrice Talon au Bénin, au moins deux morts dont la mère d’un opposant pour la réélection d’Idriss Déby au Tchad, au moins trois morts pour l’élection de Mohamed Bazoum au Niger. Mais même là où il n’y a pas eu des morts, les présidentielles n’ont été ni inclusives, ni démocratiques, ni transparentes. Elles ont été verrouillées en amont par différentes manœuvres qui ont permis d’écarter les opposants les plus sérieux. C’est le cas du Bénin où le système dit de parrainages a écarté les vrais challengers du président sortant, en particulier l’opposante Reckya Madougou qui a fini d’ailleurs par être jetée en prison pour « terrorisme ».
D’autres chefs d’Etat ont tout mis en œuvre pour contraindre la vraie opposition à ne pas aller à ces présidentielles. A Djibouti, le président sortant, Ismail Omar Guelleh, a gagné sans combattre, l’opposition ayant choisi de ne pas aller au scrutin ; au Congo l’UPADS, le parti de l’ancien président Pascal Lissouba, première force d’opposition, n’a pas participé au scrutin. En Guinée, une grande partie de l’opposition n’est pas allée aux élections.
Mais même là où l’opposition a refusé la politique de la chaise vide et a choisi d’aller aux élections, elle s’est fait avoir lors des opérations électorales, particulièrement le décompte des voix. Nul ne peut garantir comment Archange Faustin Touadéra a pu remporter la présidentielle en Centrafrique, dans un pays occupé aux deux tiers par les groupes armés. Au Niger, les chiffres communiqués par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), avec des taux de participation à plus de 100% dans certains bureaux du nord du pays, ont jeté un doute sur la sincérité du scrutin. Et comme pour achever d’enlever le peu de crédit qui pouvait encore rester à ces élections, les présidents sortants ont remporté leurs élections avec des scores soviétiques que l’on pensait oublier à jamais : Ismaïl Omar Guelleh 98,58%, Denis Sassou Nguesso 88,40%, Patrice Talon 86%. Outre des CENI aux ordres, les régimes sortants ont caporalisé les institutions nationales d’arbitrage du contentieux électoral, tout particulièrement les Cours constitutionnelles qui rejettent partout et systématiquement les recours des opposants.
Une Afrique coupée en deux
Alors que la démocratie continue de reculer en Afrique subsaharienne francophone, y compris dans un pays comme le Bénin cité en exemple il n’y a pas si longtemps, la partie anglophone du continent enregistre de son côté des avancées. Au Kenya, la Cour constitutionnelle avait ordonné en 2017 la reprise de l’élection présidentielle pour faire droit à une demande de l’opposition qui dénonçait des fraudes après l’élection du président sortant Uhuru Kenyatta. Au Malawi aussi, la Cour constitutionnelle avait ordonné en 2019 la reprise de la présidentielle, estimant que la victoire du président sortant, Peter Mutharika, était entachée d’irrégularités. Plus à l’Ouest du continent, l’alternance à la tête de l’Etat et le respect de la limitation des mandats présidentiels à deux sont devenus la règle au Ghana tout comme au Nigeria. Mieux, au Ghana et au Nigeria, des présidents sortants, John Dramani Mahama (2017) et Gooluck Jonathan (2015), ont organisé des élections présidentielles qu’ils ont finalement perdues. Au Malawi aussi, le président Mutharika a fini par perdre des élections qu’il a organisées en 2019.
Il y avait déjà une Afrique à deux vitesses au plan économique, on s’achemine désormais vers un continent coupé en deux au plan politique en raison du recul de la démocratie dans les pays francophones.
Avec Mondafrique