Le 29 avril, Alpha Condé a nommé Tibou Kamara porte-parole du gouvernement, cumulativement à ses fonctions de ministre d’Etat conseiller personnel à la Présidence, ministre de l’Industrie et des PME. Dans cette dernière partie de la longue interview que le nouveau promu a accordée à La Lance, Tibou explique comment compte-t-il améliorer la communication gouvernementale, ses ambitions politiques, ses relations avec l’ancien président gambien Yahya Jammeh, son inimitié avec Sidya Touré et répond à ses détracteurs.
On va refermer cette parenthèse amitié avec vos relations difficiles avec Sidya Touré. Qu’est-ce qui vous oppose tant ?
Il a été Premier ministre du président Lansana Conté. Je rappelle qu’avant le décès de ce dernier, ils étaient déjà brouillés. Contrairement à beaucoup de ses collaborateurs. Il était devenu un opposant, même s’il avait déclaré avant cela qu’il était voué à développer des activités dans le cadre d’une ONG que de s’opposer au régime Conté. Ce fut un collaborateur du président Lansana Conté, mais ce n’était plus son ami. Conté l’a regretté d’ailleurs qu’il en soit ainsi, après lui avoir donné sa chance à servir le pays et surtout favoriser son retour en Guinée.
Je n’ai pas avec lui de problème personnel ni de conflit particulier. Mais il est quand-même important que chacun assume ses choix et s’assume. La difficulté est lorsqu’on n’est pas d’accord avec lui, on est pris à partie par lui et ses partisans. C’est la dictature de l’opinion et un peu le terrorisme intellectuel et impolitique qu’on peut imposer à tout le monde. Ma compréhension de la démocratie et de la politique, ce n’est pas celle-là. Je pense qu’il est de mon devoir lorsque je ne suis pas d’accord de l’exprimer librement. Cela dit, je souhaite que notre opposition reste dans le cadre du débat politique et de l’engagement public de chacun d’entre nous et non des débats de personne. Les Guinéens ont besoin de savoir ce que chacun fait pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Malheureusement, ce débat n’est pas mené. C’est ce qui explique la désaffection pour la politique et le peu de crédit parfois qu’on accorde à ses acteurs.
Vous évoquiez la nécessité de donner un souffle nouveau à la communication gouvernementale. Après chaque conseil des ministres, outre l’habituel compte-rendu, vous comptez désormais animer un point presse. Pourquoi ?
La responsabilité publique doit nécessairement s’accompagner de l’obligation de rendre compte, de donner une information régulière à l’opinion publique de manière à ce que les citoyens soient au courant de ce que fait le gouvernement, qu’elles puissent suivre l’évolution de l’action gouvernementale et la situation du pays en général. Mon rôle n’est pas seulement de défendre le gouvernement, c’est aussi de savoir quelle est l’attente et l’inquiétude de la population par rapport à une situation donnée et d’essayer d’y apporter les réponses conséquentes de manière à édifier l’opinion et de la protéger de la désinformation liée parfois à la sous-information. Il faut partir du principe que l’opinion est de bonne foi et qu’elle a envie de savoir. Il faut avoir avec la presse des rencontres régulières, être disponible pour répondre aux questions parce que ce sont celles des populations en réalité qu’elle relaie. L’information doit circuler, cela suppose des contacts réguliers avec les médias, à leur demande ou à l’initiative du gouvernement. Il y a d’autres rencontres qui seront systématisées : conférences de presse périodiques avec le porte-parole, d’autres membres du gouvernement, le Premier ministre et pourquoi pas le président de la République. Chacun de nous est un acteur de l’information et doit être à un moment donné disponible pour être interrogé sur ce qui est fait et ce que l’opinion a besoin de savoir. Avec une démarche aussi dynamique, une approche aussi inclusive et la disponibilité, il n’y a pas de raison que l’opinion ne soit pas bien informée à travers les médias qui sont un trait-d’ union entre l’opinion et nous, sans compter la campagne de proximité qui consiste d’aller à la rencontre des citoyens, d’échanger avec eux sur leurs préoccupations, y apporter des réponses. La démocratie est aussi une démocratie d’opinion, il est important de gagner cette bataille pour la stabilité du pays mais aussi pour que le gouvernement soit mieux perçu et jugé sur les faits et non sur les erreurs de perception et certains préjugés qui plombent la compréhension des décisions, des choix.
Est-ce la volonté du président de gouverner autrement qui s’exprime-là ?
Oui, on peut le dire. Nous nous sommes rendu compte qu’il y a plus d’efforts à consentir pour faire connaître les actions du gouvernement. Gouverner autrement, c’est un peu cela : se rapprocher des citoyens, une gouvernance plus transparente, plus efficace en terme de délai et de procédure, de méthode de travail. Le chef de l’Etat l’a dit : avec le mandat qui s’est achevé et celui qui lui avait été confié en 2010, il y a eu le temps de mieux connaître la situation du pays et mieux connaître la société guinéenne. Il a voulu en tirer les conclusions, les leçons et les conséquences, pour mieux affiner sa politique et sa méthode de travail qu’il partage d’ailleurs avec l’ensemble de ses collaborateurs. Effectivement, cela s’inscrit dans l’esprit et la dynamique de « Gouverner autrement ».
Quand le ministre Damantang portait la parole du gouvernement, il avait créé la Cellule de communication. Sera-t-il question de la redynamiser ?
C’est en cours. Nous allons maintenir les acquis, parce que mes prédécesseurs ont fait le travail à leur manière. Nous allons partir de ces acquis pour apporter d’autres innovations avec le même souci d’efficacité, pour défendre les acquis du régime tout en faisant la promotion d’idées nouvelles et des réformes en cours.
Vous avez la confiance du président. Votre ascension pourrait-elle culminer à la Primature, les prochains mois ou années ?
Il faut se contenter de ce qu’on a et le faire bien. Je n’ai jamais revendiqué un poste ni prétendu à une fonction. Le président de la République nous connaît tous et sait ce que chacun peut faire de mieux. En fonction de cela, il confie à chacun un rôle, une responsabilité. Moi je suis assez motivé à faire ce qu’on m’a confié et à mériter déjà la confiance qu’on a placée en moi. Je n’ai pas les pieds sur terre et la tête dans l’avenir. Je n’ai pas d’agenda, ni de calcul. Je n’ai aucune ambition en dehors de celle que le président de la République a pour moi, des fonctions qu’il a décidé de me confier. Je suis convaincu qu’il nous connaît tous et qu’il est capable de savoir ce que chacun pourrait faire. C’est en fonction de cela qu’il distribue les rôles et les fonctions.
Après le président Alpha Condé, aspirez-vous à conquérir le pouvoir ?
Etes-vous capable de lire dans l’avenir ?
Non, mais on peut se projeter…
Il faut se projeter déjà dans ce qu’on fait et se concentrer sur la mission qu’on nous a confiée. D’expérience, tous ceux qui ont regardé plus loin que ce qu’ils avaient n’ont pas été là où ils voulaient, mais ont perdu ce qu’ils avaient.
Quels sont vos liens avec les autres barons du RPG et du pouvoir ?
Ce sont des très bons liens dans la mesure où nous appartenons à la même équipe et nous nous réclamons tous du même homme. Il n’y a pas de raison qu’il y ait la moindre distance quand on est engagés pour la même cause. D’ailleurs, c’est ce que le président de la République nous demande. Tous ceux qui sont proches de lui et qui ont des responsabilités ou sont des amis à lui, il leur a demandé d’unir leurs force et intelligence pour le bonheur de la majoritaire et la solidité du camp présidentiel. C’est la cohésion de notre groupe qui fera sa force, son meilleur atout et le succès de son mandat.
Comment allez-vous concilier vos fonctions de ministre de l’Industrie, de Conseiller du président d’avec votre nouvelle fonction de porte-parole ?
Je pense que tout est lié parce qu’il faut savoir que chaque ministre dans son secteur est un conseiller du président de la République. La fonction de conseiller est commune à tous les ministres. Le principe est que chacun de nous soit conseiller dans son domaine. Maintenant, s’il estime qu’on doit lui conseiller plus dans un domaine précis, en ce moment, on peut donner la qualité du conseiller ou la formaliser davantage. Ensuite, pour ma fonction de porte-parole, je considère que ce n’est pas un travail de plus. Je suis vraiment à l’aise pour pouvoir assumer ces différentes taches.
Monsieur Sékou Koundouno n’a de cesse de relayer d’anciennes tribunes que vous écriviez contre le régime pendant votre exile. Il entend ainsi vous mettre en face de vos propres contradictions. Que lui répondez-vous ?
Le débat est libre. Chacun aussi est libre de choisir son repère dans le temps : il y en a qui aime s’attarder sur les rancœurs du passé. Vous vous rappellerez que dans le dernier discours qu’il a prononcé au moment de son installation, après l’élection qui vient de se passer, le président de la République nous a tous invité à tourner la page, pour nous projeter dans les espérances de l’avenir. Même Dieu ne fait pas l’unanimité. Je mets quiconque au défi de dire qu’il a gardé la même opinion à toutes les époques sur les mêmes sujets et les mêmes personnes.
Je m’en voudrais de ne pas vous demander si vous échangez toujours avec l’ancien président de la Gambie, Yahya Jammeh.
Bien-sûr ! Vous savez que le président Yahya et moi sommes mariés dans la même famille, à des sœurs. Vous imaginez bien que nous parlons comme tous les membres d’une même famille et nous échangeons régulièrement, aussi bien avec lui qu’avec son épouse qui est ma belle-sœur. Il se porte bien. Nous échangeons régulièrement, tout se passe très bien.
Comment vit- il l’après-pouvoir ?
Avec la foi qu’on lui connait et la sérénité des hommes d’Etat lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés…
Pourrait-il revenir aux affaires ?
Je souhaite que vous lui posiez cette question parce que nous, nous parlons plus de la famille et de ses projets personnels.
Son retour serait un bon projet, non ?
Sincèrement, je ne peux pas me prononcer à sa place. La plupart des discussions que nous avons concernent la famille que l’ambition politique qu’il aurait. Ce serait difficile d’être son porte-parole sans en avoir été mandaté. Il est mieux placé pour évoquer ses ambitions politiques.
Un dernier mot ?
Depuis l’indépendance, l’Histoire de la Guinée est faite de conflits, de rancœur, de haine, de blessure, frustration, déception… On a assez vécu dans ce climat pour savoir que cela ne nous mène pas loin. Pourquoi ne pas essayer de s’aimer et de s’accepter ? Je suis convaincu qu’en le faisant, on va s’épanouir.
Propos recueillis par
Diawo Labboyah Barry