Depuis 2012, le Mali est dans un cercle infernal de coups d’Etat. Alors que les chefs d’Etat de la CEDEAO devaient se réunir ce dimanche 30 mai à Accra pour tenter une solution de sortie de crise, le colonel Assimi Goïta leur a coupé l’herbe sous les pieds en se faisant légitimer par la Cour constitutionnelle. Jusqu’où ira le bras-de-fer avec les hommes forts de Kati ?
En moins d’une décennie, l’armée malienne a déposé trois présidents pour s’emparer du pouvoir : le 21 mars 2012, feu Amadou Toumani Touré a été, inutilement, renversé à quelques semaines de la fin de son second et dernier mandat, par son homo le capitaine Amadou Haya Sanogo, 40 ans, à la tête des bérets verts. Le successeur d’ATT, Ibrahim Boubacar Keita, élu le 4 septembre 2013, sera évincé à son tour le 18 août 2020 par une junte militaire dirigée par le colonel Assimi Goïta, 38 ans. Sous la pression de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), un président, Bah N’Daw et un Premier ministre, Moctar Ouane, civils, sont nommés pour diriger une transition de 18 mois devant déboucher sur le choix par les Maliens d’un nouveau chef de l’Etat démon-crac-tiquement élu. Sauf que ces derniers ont été arrêtés à leur tour le 24 mai dernier par Assimi Goïta, conduits au camp militaire de Kati. Le lendemain, Bah N’Daw a signé librement, l’arme sur la tempe, sa démission. Comme l’avait fait, il y a neuf mois, IBK. Ainsi se referme le cycle de la Malidiction des coups d’Etat.
Forte contre le pouvoir, impuissante face au terrorisme
S’il s’était lui-même emparé du pouvoir en mars 1991 par la force, en déposant Moussa Traoré, Amadou Toumani Touré fut malgré tout un acteur majeur de l’avènement de la défunte démocratie au Mali. Puisque l’année suivante, il avait rendu le pouvoir en organisant un scrutin libre (auquel il s’était gardé de participer), remporté par Alpha Oumar Konaré, décidément l’unique président malien irréprochable. Ce dernier n’a non seulement pas été renversé et, en retransmettant le pouvoir en 2002 à celui qui le lui avait passé dix ans auparavant, ATT, était rentré à la maison en conduisant lui-même son teuf-teuf personnel. Alpha Oumar Konaré avait en effet laissé au Palais de Koulouba véhicule de fonctions et garde du corps ! Ce fut la belle et brève parenthèse démocratique du Mali, un cas d’école pour l’Afrique.
ATT fera à son tour deux mandats (2002-2012), au terme desquels il comptait prendre librement sa retraite, n’eût été l’irruption de la bande à Amadou Haya Sanogo. Le putsch a été à l’unanimité qualifié le plus bête et inopportun du monde. Les arguments des putschistes étaient que Amadou Toumani Touré, partisan du compromis, était incapable d’empêcher l’avancée des salafistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et la rébellion indépendantiste touarègue du MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad). L’armée reprochait enfin au président déchu de ne pas lui donner les gros moyens pour aller en découdre avec les terroristes. ATT a été déposé, il s’est exilé à Dakar, avant de rentrer mourir au Mali : où en est la guerre contre le terrorisme ? Quelles sont depuis les grandes victoires de l’armée malienne face aux djihadistes ? Le Mali, dix ans après, a-t-il regagné ou davantage perdu sa souveraineté dans le Nord ? Sans l’intervention des forces Barkhane et Onusiennes, Bamako serait tombé entre les mains des terroristes, sous le regard impuissant d’Assimi Goïta et d’Amadou Haya Sanogo.
Qui de Kati et d’Accra en sortira vainqueur ?
La CEDEAO multiplie les actions depuis le nouveau coup d’Etat du 24 mai au Mali, même si son médiateur Goodluck Jonathan n’a jusque-là pas eu beaucoup de…chance. Alors qu’il hâtait le pas pour limiter les dégâts, à son arrivée à Bamako le 25 mai, lendemain de l’arrestation de Bah N’Daw et de Moctar Ouane, l’ancien président du Nigeria n’a pu que constater la démission (anticipée ?) de l’ancien président de la transition. Et Assimi Goïta n’a pas fini de prendre de court l’organisation sous régionale. Il s’est fait déclarer, vendredi 28 mai, « président de la transition, chef de l’Etat » par la Cour constitutionnelle, après que celle-ci a constaté la vacance du pouvoir consécutive à la démission forcée de Bah N’Daw. Cela est intervenu à 48h d’un Sommeil extraordinaire des chefs d’Etat de la CEDEAO exclusivement consacré au Mali, tenu dimanche 30 mai dans la capitale ghanéenne Accra. Lorsque nous allions sous presse, le Prési Alpha Grimpeur qui ne devait pas faire de déplacement, allait y participer par visioconférence. Entre la crainte d’asphyxier par des sanctions économiques des Maliens, déjà éprouvés par les conséquences du Covid-19, et celle d’assister à une jurisprudence des coups d’Etat dans la sous-région, la tâche ne s’annonce pas aisée. Car, quoique la CEDEAO fasse mine de se préoccuper de l’avenir de la démocratie dans son espace, cette organisation de plus en plus taxée de syndicats de chefs d’Etat donne à croire qu’elle se soucie plutôt de sauvegarder les fauteuils présidentiels de ses membres. Difficile de ne pas imaginer que cette perception a encouragé Assimi Goïta à reprendre le pouvoir et de rester sourd aux injonctions de la CEDEAO qu’il estimerait mal placée pour lui donner des leçons de démocratie. L’enjeu des intérêts est en jeu.
Diawo Labboyah