Reporters sans frontières (RSF) condamne fermement le harcèlement judiciaire dont est victime un journaliste camerounais poursuivi depuis plus de cinq ans par la société d’exploitation forestière FIPCAM, après avoir enquêté sur certaines de ses pratiques. RSF demande à cette entreprise et à la justice camerounaise de mettre fin à ces poursuites-bâillons.

Le journaliste camerounais Nestor Nga Etoga a déjà parcouru plus de 10 000 km et dépensé environ 30 000 euros en frais de défense et de déplacement pour comparaître devant les différentes juridictions camerounaises. Depuis plus de cinq ans, le reporter fait l’objet de multiples poursuites initiées contre lui par la société d’exploitation forestière FIPCAM. Ce jeudi 1er juillet, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Renard, directeur des rédactions du site Lescoopsdafrique.com et reporter pour plusieurs sites d’information, comparaissait pour la 94e fois devant le tribunal. Une audience de nouveau renvoyée… Depuis le 24 novembre 2016, date de la première procédure entamée à son encontre, le journaliste n’a cessé de faire des allers-retours entre les villes de Douala et Mfou, à 270 km l’une de l’autre, pour assister aux audiences des trois procès lancés contre lui. 

L’affaire débute en septembre 2015, lorsque Nestor Nga Etoga confronte les dirigeants de la société FIPCAM à des documents obtenus relatant des faits d’infractions forestières, de corruption et de violations des droits des employés de la société. Selon le journaliste joint par RSF, une cadre de l’entreprise a tenté, en vain, de le dissuader d’enquêter, notamment en lui proposant de l’argent et la réalisation d’un plan de communication pour valoriser l’image de la société. Le journaliste poursuit son enquête et publie plusieurs articles dénonçant les pratiques de la FIPCAM. Cette dernière décide alors de porter plainte à plusieurs reprises contre lui, l’accusant d’avoir lancé “une campagne de dénigrement” contre la société et son dirigeant. 

Le journaliste est arrêté en octobre 2016 sur la base de ces accusations, avant d’être relâché quelques heures plus tard. Il sera déclaré non coupable le 3 février 2017 dans le cadre d’une première plainte en diffamation. Cette première procédure se poursuit devant la Cour d’appel du littoral de Douala et deux autres procès sont lancés contre lui en parallèle, l’un pour des faits de diffamation, l’autre pour «chantage et complicité de chantage». Joint par RSF sur ce qui motive ces accusations, la société FIPCAM a répondu qu’elle communiquerait ces éléments à la justice «au moment opportun» et que la multiplication des audiences était une question «à poser aux tribunaux».

«La multiplication de ces procédures judiciaires dans différentes villes du pays depuis plus de cinq ans vise clairement à épuiser le journaliste moralement et financièrement, dénonce le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger. Nous condamnons fermement cette pratique des poursuites systématiques qui a pour but de dissuader les journalistes d’enquêter. La justice camerounaise porte également une responsabilité. De simples poursuites en diffamation ne devraient pas conduire à des débats interminables et d’innombrables audiences. Ce traitement judiciaire participe à la stratégie d’intimidation caractéristique des poursuites-bâillons intentées contre certains journalistes.»

Plusieurs ex-employés de la FIPCAM, contactés par RSF, ont également dénoncé les conditions de travail au sein de la société, corroborant les investigations réalisées par Nestor Nga Etoga. Dans une lettre ouverte adressée en avril 2019 au chef de l’État, leur porte-parole demandait l’ouverture d’une enquête sur les activités de la FIPCAM et assurait avoir remis des preuves de «l’exploitation forestière illégale», de «la fraude fiscale», et de la «corruption» aux collaborateurs de Paul Biya.

L’exercice du journalisme d’investigation est particulièrement difficile au Cameroun. Le pays est caractérisé par une autocensure importante de la part des médias, particulièrement pour traiter de sujets sensibles. Les procédures bâillons, le harcèlement judiciaire et les poursuites devant des juridictions spéciales ou militaires font également partie de l’arsenal déployé pour réduire les journalistes au silence. L’ancien directeur général de la CRTV, Amadou Vamoulké, est en détention provisoire depuis près de cinq ans. Le journaliste comparaîtra également , vendredi 2 juillet, pour la 73e fois devant le tribunal criminel spécial (TCS) de Yaoundé, un record pour un journaliste camerounais.

Le Cameroun occupe actuellement la 135e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.

Reporters Sans Frontières