Sur les berges de la Lagune Ebrié, au pays de Nana Houphouët-Boigny, un événement de grande ampleur tient en émoi les châtelains de Cocody comme les pauvres hères d’Adjamé et de Treichville. ADO au mur, Alassane, dans sa quête de la quiétude nécessaire à l’exercice de son troisième mandat, n’a d’autre choix que de se faire violence et fumer le calumet de la paix avec son pire ennemi d’il y a dix ans, Laurent le Bravo-rien qu’il a mis au gnouf, à la CPI. La nouvelle fait grand bruit dans le landerneau politique y-voit-rien. Le jeu en vaut la chandelle.

Le différend entre les deux hommes et leurs clans respectifs a plongé « la paisible et verdoyante » Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny dans un imbroglio politique, social et militaire sans précédent qui a fait 3 000 morts, effiloché le tissu social et sapé les fondamentaux de l’économie nationale. L’incarcération de Laurent le Bravo-rien et de son homme lige Charles Blé Goudé à la CPI a exacerbé les frustrations et la défiance entre les communautés. On peut d’ores et déjà estimer l’ampleur des enjeux et des défis auxquels renvoie la palabre qui réunit les deux hommes dont les parcours politiques ont été tantôt convergents, tantôt divergents. Les vicissitudes les ont contraints à se coaliser contre Henri Konan Bédié, ou l’un à faire chorus avec lui contre l’autre.

Les deux personnages se connaissent et sont, pourrait-on dire, pareils à deux larrons en foire. Ils s’estiment autant ils se détestent ? Lorsqu’ils s’attroupent sous l’arbre à palabre, n’attendez pas qu’ils caquettent comme de vieilles chipies sur vos misérables trivialités d’ici-bas. Ils n’en ont que dalle. Ils gambergent sur des sujets stratégiques qui ne manquent pas en ce moment dans leur pays. Il y a, à ne pas en douter, la problématique de la réconciliation nationale prémisse d’une paix solide et durable, dans un pays ravagé par de profondes et récurrentes crises socio-politiques.

Depuis la crise postélectorale de 2010-2011 et la justice des vainqueurs qui a suivi, la réconciliation est une thématique récurrente en Côte d’Ivoire. Le RHDP de Ouattara, le FPI de Gbagbo et le PDCI de Bédié en ont fait un leitmotiv sans malheureusement atteindre des résultats probants. Elle a été le talon d’Achille du régime d’ADO qui en a fait pourtant une cible majeure, demeurée un vœu pieux durant une bonne dizaine d’années.

L’acquittement de Gbagbo et de Blé Goudé doit être considéré comme une condition sine qua non du dialogue et de la réconciliation. On ne peut pas non plus occulter l’impact de la dynamique de rapprochement entre Gbagbo et Bédié. Outre ce vaste chantier de la réconciliation, les frères ennemis vont ergoter sur des enjeux mineurs de la politique ivoirienne, mais aussi sur les perspectives de recomposition du landerneau politique. Les deux larrons réussiront-ils où ADO, seul, a lamentablement échoué et consacrer leur énergie intellectuelle et physique au développement socioéconomique de la Côte d’Ivoire ? Rien n’est moins sûr !

Abraham Kayoko Doré