En Guinée, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), invite au retour rapide à un processus démocratique après le coup d’État qui a emporté le président Alpha Condé, dimanche 5 septembre. Parmi les principaux dirigeants de cette plateforme d’opposition et de la société civile, l’ancien Premier ministre Sidya Touré, président de l’Union des forces républicaines (UFR). Actuellement en Côte d’Ivoire, il rentre samedi à Conakry avec l’objectif d’intégrer les concertations annoncées par les nouveaux dirigeants du pays, dont il veut croire en la bonne foi. Il répond aux questions de François Mazet.
RFI : Tout d’abord, avez-vous été surpris de la survenance de ce putsch militaire et de la chute d’Alpha Condé ?
Sidya Touré : Je peux dire « franchement pas ». Simplement, nous l’espérions tellement qu’on se disait que cela n’arriverait jamais. Mais les conditions étaient réunies pour que quelque chose comme ça se passe en Guinée. Avec la mauvaise gouvernance qu’on a eue, la déliquescence des institutions, la division qu’il a instaurée au sein des Guinéens, je pense que tout était prêt pour que l’on se retrouve dans une situation comme celle-là. Nous le regrettons, nous qui l’avons bien connu, on estimait qu’à un moment donné, à la fin de ces 10-11 ans, il aurait vraiment pris conscience de la situation dans laquelle il avait plongé le pays. Mais apparemment, non. Et il était aidé en cela par quelques journalistes alimentaires, des fois même venus d’Occident.
Vous considérez qu’Alpha Condé est le seul responsable de sa situation actuelle ?
Je suis quelqu’un parmi ceux qui connaissent le mieux Alpha [Condé]. Il a jeté aux orties tout ce qui avait été la base, je ne vais pas dire de son combat, mais en tout cas de son militantisme de gauche. Mais ce sont surtout les résultats de cette gouvernance qui ont pesé sur les populations guinéennes qui sont dans une misère absolue. La Guinée est deuxième productrice de bauxite, une des premières réserves mondiales d’or. Mais, si vous allez en Guinée, après avoir exporté pour trois milliards de dollars par an pendant ces dix ans, vous verrez ! Il n’y a pas de pont, il n’y a pas d’hôpital, il n’y a pas une université, il n’y a même pas un stade qu’Alpha a pu construire. Donc, il y avait réellement une cassure entre ce qu’il prônait de son palais là-bas et la réalité quotidienne de nos compatriotes.
Mais n’est-ce pas toujours un constat d’échec pour qui défend la démocratie de voir un dirigeant civil tomber du fait des militaires ?
Absolument, on n’applaudit pas quelque chose comme ça. Mais, c’est effectivement ce constat qu’on doit dire. Mais de prime abord, ce qui peut-être nous rassure aujourd’hui, c’est un peu la personnalité du jeune homme qui est arrivé. Le langage est très clair, il n’est pas trop long (dans ses déclarations), il n’est pas verbeux. Nous estimons que peut-être il a un objectif clair et précis comme il l’a annoncé : mettre en place une structure de transition qui permettra la démocratisation du pouvoir et à des élections libres et transparentes. En tout cas, nous comptons sur cela. Et lors des concertations, nous ferons en sorte qu’il l’entende très bien.
La libération de plusieurs prisonniers est déjà un bon signe signal ?
Absolument. Mais c’était attendu. Lorsque tous ces gens étaient en prison, sans aucune raison valable, 99% d’entre eux n’ont jamais été jugés. Cela a duré des fois plus d’une année, un an et demi. Mais il y avait des gens qui ont été également arrêtés, qui étaient dans un camp à Soronkoni, à Kankan, à 660 kilomètres de Conakry. Donc, nous attendons que ceux-là aussi reviennent.
Quelle forme doit prendre la transition et à quelles conditions vous pourriez y participer ?
La concertation pour qu’on puisse mettre en place un gouvernement de transition, qu’on fasse en sorte que nous négocions quelque chose qui nous permettra de ne pas être exclus totalement des financements extérieurs et de nos rapports avec la Cédéao [Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest] et de l’Union africaine.
Donc, l’Union des forces républicaines (UFR), votre parti, et plus largement le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) doivent participer à ce gouvernement de transition, selon vous ?
Je pense que nous devons tous participer, pas à titre individuel, mais au niveau des partis. S’il y a un gouvernement, nous y participerons, nous le soutiendrons, nous serons dans la concertation pour donner nos points de vue et faire en sorte que ce soit une réussite. C’est cela notre objectif, c’est-à-dire qu’on ait un consensus, une nouvelle Constitution qui ne sera pas loin de l’ancienne Constitution qu’on a eue en 2010. Donc, nous pensons que, sur cette base-là, oui, on arrivera à des élections. Il faut travailler sur le fichier électoral, il faut travailler sur la commission électorale. Ce n’est pas chose facile en Guinée, cela va être l’un des principaux points qu’il va falloir gérer afin que les élections donnent des résultats qui soient acceptables par tous.
Est-ce que vous allez appeler à enquêter sur les morts causées dans les manifestations de l’opposition et à poursuivre les responsables ?
Absolument. Nous sommes prêts à ce que les enquêtes soient menées de ce côté. Nous allons encourager cela, mais nous sommes prêts également à ce que des enquêtes soient menées sur le détournement de deniers publics. L’une des causes de la chute d’Alpha, c’était la corruption généralisée. Il y a de l’argent de l’État qui est sorti dans des quantités inimaginables et qui sont détenues en grande partie par les hauts cadres, les hauts fonctionnaires qui sont là. Et à mon sens, ces audits doivent être menés.
Mais, sur la question de l’impunité, est-ce qu’il ne risque pas d’y avoir des difficultés si certains membres des forces spéciales ont été impliqués dans la répression des manifestations d’opposition ?
J’ai entendu cela, mais personne ne peut dire qu’il y avait ces gens dans les manifestations. Moi, je ne sais pas, honnêtement. Il y a tellement de corps en Guinée. Et il y en a beaucoup plus, les forces spéciales ne représentent que 400 ou 500 personnes, il y a plus de 19 000 personnes qui sont militaires en Guinée. Et dieu seul sait, il y a les « bérets rouges », il y a beaucoup d’autres forces qui ont participé à ces manifestations, et c’est la raison pour laquelle on doit clarifier les choses. Mais, je ne pointe pas du doigt les forces spéciales par rapport à d’autres gens, je n’en ai aucune preuve.