Devant la suspension, pendant 30 jours, d’un titre de presse indépendant tanzanien, Reporters sans frontières (RSF) dénonce une décision arbitraire et zélée, en totale contradiction avec la fin des sanctions contre les médias annoncée par la nouvelle présidente du pays.
Raia Mwema n’est plus en kiosque depuis le 6 septembre. La veille, le porte-parole du gouvernement tanzanien, Gerson Msigwa, a annoncé la suspension pendant 30 jours de cet hebdomadaire indépendant en langue swahili, l’un des plus populaires du pays. Il est principalement reproché au journal d’avoir présenté, dans son édition du 3 septembre, l’homme qui a abattu plusieurs policiers et un agent de sécurité, le 25 août dernier, comme un membre du Chama Cha Mapinduzi (CCM), le parti au pouvoir depuis l’indépendance de la Tanzanie en 1962. De fait, le journal avait retrouvé et publié des photos du tueur portant des habits aux couleurs du CCM. Joint par RSF, son directeur, Joseph Kulagwa, précise s’être également appuyé sur les déclarations du directeur des enquêtes criminelles, qui avait indiqué que le tueur s’était placé «sous l’égide» de ce parti pour couvrir ses «activités terroristes.»
Lors d’une rencontre avec les journalistes au mois de juin, la présidente Samia Suluhu Hassan, qui a pris ses fonctions il y a trois mois, à la suite du décès soudain du président John Magufuli, avait assuré vouloir améliorer la liberté d’expression et le développement des médias dans son pays. Quelques semaines plus tôt, elle s’était également engagée à lever les sanctions contre les médias visés par le passé.
«La suspension de ce journal s’inscrit en totale contradiction avec les promesses de la nouvelle cheffe d’Etat, dénonce le responsable du bureau Afrique de RSF, Arnaud Froger. Il s’agit du même type de sanctions arbitraires et zélées prises durant les années au pouvoir de son prédécesseur, John Magufuli, une période marquée par un déclin inédit de la liberté de la presse en Tanzanie. Les médias tanzaniens sont à bout de souffle. Cette politique répressive doit prendre fin.»
A l’instar de nombreux médias, Raia Mwema, avait déjà fait l’objet d’une suspension en 2017 : il avait dû cesser sa parution pendant 90 jours après avoir publié un article intitulé «La présidence Magufuli vouée à l’échec.»
L’annonce de la présidente tanzanienne de lever les sanctions prises contre les médias sous l’ère Magufuli n’a jamais été suivie d’effets, bien au contraire : début avril, le porte-parole du gouvernement avait annoncé la révision de la décision présidentielle, selon laquelle seules les télévisions bénéficieraient de cette mesure – une manifestation supplémentaire de la volte-face gouvernementale en termes d’engagement envers la liberté de la presse.
La Tanzanie occupe la 124e position sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021. Sous la présidence de John Magufuli, le pays avait perdu 53 places depuis 2016. Aucun autre État au monde n’a connu une telle dégradation ces dernières années.
Reporters Sans Frontières