Reporters sans frontières (RSF) dénonce la détention arbitraire d’un dessinateur de presse tanzanien pour avoir publié une caricature représentant la présidente du pays et déplore un nouveau signal désastreux pour les journalistes alors que la liberté de la presse n’a cessé de se dégrader ces dernières années en Tanzanie.
Privé de liberté pour avoir publié un dessin de presse. Optatus Fwema a été arrêté le 24 septembre dernier à son domicile puis emprisonné à la station de police d’Oysterbay, à Dar es Salaam, la capitale économique de la Tanzanie.
Mardi 5 octobre, la police s’est rendue au domicile du dessinateur afin de trouver des preuves incriminantes sans en informer son avocat. Selon les informations obtenues par RSF, aucune charge n’a encore été officiellement retenue contre Optatus Fwema alors même que la loi n’autorise pas la police à détenir un suspect plus de 48 heures sans inculpation. Le caricaturiste pourrait être présenté devant le tribunal ce jeudi.
Publié sur sa page Instagram, le dessin pour lequel Fwema a été arrêté représente Samia Suluhu, qui a pris la tête du pays en mars à la suite du décès de l’ancien président John Magufuli, sous les traits d’une enfant “faisant mumuse” avec une bassine d’eau. Derrière elle, l’ancien président Jakaya Kikwete, considéré comme son mentor, est présenté comme celui qui la protège des critiques et qui rassure la population, ce qui illustre son influence dans la politique actuelle.
“Seuls les pires régimes autoritaires jettent en prison leurs caricaturistes pour un simple dessin satirique représentant le leader du pays, déclare le responsable du bureau Afrique de RSF Arnaud Froger. Cette détention arbitraire est un nouveau signal désastreux pour la liberté de la presse, dont l’état ne cesse de se dégrader ces dernières années. Nous demandons la libération immédiate et sans condition de ce dessinateur de presse et appelons la cheffe de l’Etat à ne pas emprunter la même voie prédatrice que son prédécesseur.”
Cette arrestation intervient deux semaines après les déclarations du ministre de l’Intérieur, George Simbachawene appelant la police à prendre des mesures contre les individus se livrant à “des actes criminels via les réseaux de médias sociaux”, notamment ceux qui “insultent la présidente”. Il y a trois semaines, la nouvelle ministre de l’Information et de la Communication, Ashatu Kijaji, avait tenu un discours tout aussi inquiétant, arguant que les journalistes devaient être “guidés par le patriotisme envers la nation” et qu’elle ne tolérerait “pas les journalistes qui choisissent de ternir la bonne image du pays”.
Le 6 septembre dernier, l’un des journaux indépendants les plus populaires du pays, Raia Mwema, avait été suspendu pour 30 jours pour avoir présenté l’homme qui a abattu plusieurs policiers et un agent de sécurité fin août, comme un membre du Chama Cha Mapinduzi (CCM), le parti au pouvoir depuis l’indépendance de la Tanzanie en 1962.
Lors d’une rencontre avec les journalistes au mois de juin, la présidente Samia Suluhu Hassan avait pourtant assuré vouloir améliorer la liberté d’expression et le développement des médias dans son pays. Quelques semaines plus tôt, elle s’était également engagée à lever les sanctions contre les médias visés par le passé. Ces annonces n’ont pas été suivies d’effet.
La Tanzanie occupe la 124e position sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021. Le pays a perdu 53 places depuis 2016. Aucun autre État au monde n’a connu une telle dégradation ces dernières années.
Reporters Sans Frontières