Le prix Reporters sans frontières (RSF) pour la liberté de la presse 2021 sera décerné le 18 novembre prochain. Des journalistes et des médias originaires de 11 pays ont été retenus dans trois catégories : le courage, l’impact et l’indépendance du journalisme.

Le jury de cette 29e édition, avec à sa tête le président de RSF, Pierre Haski, est composé d’éminents journalistes ou de défenseurs de la liberté d’expression du monde entier : Rana Ayyub, journaliste indienne et chroniqueuse d’opinion au Washington Post ; Raphaëlle Bacqué, grand reporter française au journal Le Monde ; Mazen Darwish, avocat syrien et président du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression ; Zaina Erhaim, journaliste syrienne, responsable communication à l’Institute for War and Peace Reporting ; Erick Kabendera, journaliste d’investigation tanzanien ; Hamid Mir, journaliste, chroniqueur et auteur pakistanais ; Frederik Obermaier, journaliste d’investigation pour le journal munichois Süddeutsche Zeitung ; Mikhail Zygar,  journaliste et rédacteur en chef fondateur de la seule chaîne de télévision indépendante russe, Dozhd. 

«Ces hommes, ces femmes et ces médias luttent avec courage et détermination contre des forces qui convergent pour affaiblir l’indépendance du journalisme. Dans de nombreux pays au monde, les professionnels de l’information sont souvent menacés, poursuivis ou emprisonnés. Des médias sont censurés, stigmatisés, marginalisés, interdits ou fermés. Le prix RSF est un hommage mais surtout un soutien à tous ceux qui incarnent les idéaux du journalisme. » déclare Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. «La liste des nominés de l’édition 2021 reflète les défis que relèvent des journalistes et médias engagés dans un combat commun pour la liberté de l’information,

Depuis 1992, le Prix encourage, soutient et récompense le travail d’un journaliste ou d’un média ayant contribué de manière notable à la défense ou à la promotion de la liberté de la presse dans le monde. Plus d’une cinquantaine d’hommes, de femmes, de rédactions ou d’organisations, qui ont en commun leur engagement, ont reçu ce prix. 

Ils sont quatre par catégorie, soit douze nominés au total, pour le Prix RSF 2021 : six journalistes, dont quatre femmes, et six médias ou organisations de journalistes, notamment spécialisés dans l’investigation, là où le droit d’informer est mal en point ou malmené : Biélorussie, Chine, Brésil, Turquie ou, même, Irlande du Nord (Royaume-uni).

Les nominés du Prix du Courage :

KAY ZON NWAY (BIRMANIE)
Jeune journaliste chevronnée, Kay Zon Nway est le symbole de ce combat courageux pour la liberté d’informer en Birmanie, qui l’a menée en prison, après son arrestation dès le 26 février, alors qu’elle couvrait (en “live-stream”) un mouvement de protestation anti-putsch. Libérée le 1er juillet, elle y a passé 124 jours. Kay Zon Nway est aussi le symbole de la génération de reporters qui ont commencé à travailler durant la parenthèse démocratique birmane (2011-21) et juge inconcevable de se plier à la censure imposée par le régime. Elle fait partie de l’équipe de Myanmar Now, média historique de la liberté de la presse en Birmanie.

ZHANG ZHAN (CHINE)
Cette avocate devenue journaliste a été condamnée le 28 décembre 2020 à quatre ans de prison pour avoir « attisé des querelles et provoqué des troubles » alors qu’elle couvrait l’épidémie de Covid-19 dans la ville de Wuhan en février 2020. En dépit des menaces constantes des autorités, elle diffusait en direct (sur Youtube, Wechat et Twitter) des images des rues et des hôpitaux, et documentait le harcèlement dont les familles des malades étaient victimes. Ses reportages, largement partagés sur les réseaux sociaux, ont constitué l’une des principales sources d’information indépendante sur la situation sanitaire à Wuhan. Arrêtée en mai, détenue au secret, et sans motif officiel pendant plusieurs mois, Zhang Zhan a entrepris une grève de la faim qui lui a valu d’être entravée et nourrie de force par une sonde. À l’heure actuelle, les craintes qu’elle ne subisse d’autres actes de torture et des mauvais traitements sont toujours vives.

PATRICIA DEVLIN, IRLANDE DU NORD (ROYAUME-UNI)
Journaliste spécialiste des affaires criminelles pour l’hebdomadaire d’Irlande du Nord Sunday World, Patricia Devlin a travaillé partout dans l’île et est actuellement basée à Belfast. Ses enquêtes sur le crime organisé et les activités paramilitaires ont valu à sa famille et à elle-même de lourdes pressions et de graves menaces, particulièrement obscènes et sexistes, qu’elle a courageusement dénoncées. Elle a engagé deux  actions en justice d’une part contre le Service de police d’Irlande du Nord pour son incapacité à enquêter de manière juste sur la situation dangereuse dans laquelle elle se trouve, et d’autre part contre Facebook, afin d’obtenir des informations concernant un utilisateur l’ayant menacé de violer le bébé qu’elle venait d’avoir.

CONFIDENCIAL (NICARAGUA)
Fondé en 1996 par le journaliste Carlos Fernando Chamorro, Confidencial est un hebdomadaire nicaraguayen connu pour son journalisme d’investigation et l’un des rares médias indépendants qui existent encore dans le pays. Le 20 mai dernier, le gouvernement de Daniel Ortega a ordonné que la rédaction soit perquisitionnée, puis a procédé à l’arrestation des journalistes ayant couvert l’opération. La police a confisqué des serveurs, des ordinateurs, des enregistrements télévisés et des caméras. Le 13 décembre 2018, le siège de Confidencial avait déjà été perquisitionné sans mandat par la police. Depuis, la censure et les attaques contre les médias indépendants se sont intensifiées.

Les nominés du Prix de l’Impact :

PEGASUS PROJECT (INTERNATIONAL) 
Le Pegasus Project est une enquête publiée par un consortium international de plus de 80 journalistes issus de 17 médias* de 11 pays différents, coordonné par l’organisation Forbidden Stories (lancée à l’origine par RSF), avec l’appui technique des experts du Security Lab d’Amnesty International. Sur la base d’une fuite de plus de 50 000 numéros de téléphone, le Pegasus Project a notamment révélé comment près de 200 journalistes ont été espionnés par 11 États, des régimes autocratiques, mais aussi démocratiques. Cette enquête a fait prendre conscience de l’ampleur de la surveillance dont pouvaient être l’objet les journalistes. Elle a conduit RSF ainsi que de nombreux médias à porter plainte et à demander un moratoire sur ces technologies de surveillance. 

*(Aristegui Noticias, Daraj, Die Zeit, Direkt 36, Knack, Forbidden Stories, Haaretz, Le Monde, Organized Crime and Corruption Reporting Project, Proceso, PBS Frontline, Radio France, Le Soir, Süddeutsche Zeitung, The Guardian, The Washington Post et The Wire)

BELARUSIAN ASSOCIATION OF JOURNALISTS (BAJ) (BÉLARUS) 
L’Association des journalistes biélorusses (BAJ) a été fondée en 1995 pour soutenir le journalisme indépendant. Depuis les élections contestées d’août 2020, la BAJ a eu un rôle essentiel dans la documentation des attaques et des arrestations sans précédent de journalistes dans le pays. Arrestations, perquisitions arbitraires, violences, censures… En dépit du harcèlement des autorités à son encontre, la BAJ répertorie rigoureusement la traque des journalistes et des médias indépendants qui ne cesse de s’intensifier depuis un an. Le  travail de la BAJ a permis d’alerter les citoyens biélorusses, les organisations internationales et les Etats étrangers sur la gravité de la situation de la liberté de la presse au Bélarus.

BELLINGCAT (ÉTATS-UNIS)
Bellingcat est un collectif indépendant de chercheurs, d’enquêteurs et de citoyens-  journalistes travaillant sur une variété de sujets. Grâce à une approche innovante qui consiste à utiliser les données open source accessibles au public, l’analyse des réseaux sociaux et les enquêtes de citoyens-journalistes, ils ont effectué un travail d’investigation approfondi sur les violences commises contre les journalistes lors de manifestations nationales organisé l’été dernier, après la mort de George Floyd. Leurs articles mettent en avant des faits particulièrement significatifs et intègrent des présentations visuelles qui  montrent comment les forces de police ont délibérément ciblé les journalistes pendant ces manifestations. L’année dernière, aidé par une équipe de bénévoles, Bellingcat a travaillé avec une organisation partenaire pour cartographier des centaines d’autres occurrences de violences policières visant les manifestants, les passants et les journalistes au cours des manifestations de mai et juin 2020.

THE INTERCEPT BRASIL (TIB) (BRÉSIL)
L’enquête de The Intercept Brasil (TIB) sur les messages échangés entre procureurs à propos de l’opération Lava Jato (« Lavage express ») – un scandale de corruption impliquant de hauts responsables du gouvernement – a révélé un mépris flagrant de la loi brésilienne en prouvant la partialité du juge et son implication dans l’accusation. L’équipe de journalistes de TIB a été menacée, harcelée et s’est vue contrainte de répondre à des enquêtes judiciaires. Glenn Greenwald, alors directeur de TIB, a reçu des menaces de mort. Mais le site d’information a poursuivi ses publications confirmant les abus commis par des magistrats lors de Lava Jato. En avril 2021, la Cour suprême du Brésil a annulé les condamnations de l’ancien président Lula, considérant que le juge Sergio Moro avait été partial dans son jugement. Les messages rendus publics par TIB ont révélé les illégalités entachant les condamnations de plusieurs accusés.

Les nominés du Prix de l’Indépendance :

STAND NEWS (HONG KONG)
Fondé à Hong Kong en décembre 2014, Stand News est un site d’information indépendant et à but non lucratif en chinois cantonais. Se voulant un espace où les journalistes sont « indépendants des entreprises, des actionnaires, des autorités et des partis politiques”, le média s’engage à défendre les valeurs fondamentales de Hong Kong, “la démocratie, les droits humains, la liberté, l’État de droit et la justice”. Après la fermeture forcée du quotidien Apple Daily en juin 2021, six des administrateurs de Stand News ont été contraints de démissionner par crainte d’être à leur tour poursuivis et le média a dû retirer tous les articles d’opinion et tribunes de son site pour protéger leurs auteurs. Aujourd’hui, Stand News continue à couvrir les événements politiques et sociaux cruciaux du territoire, avec des reportages approfondis concernant tous les procès liés à la loi sur la sécurité nationale et les nouvelles politiques du gouvernement. 

MAJDOLEEN HASSONA (PALESTINE) 
Avant de rejoindre la chaîne turque TRT et de s’établir à Istanbul, cette journaliste palestinienne a été régulièrement poursuivie et harcelée aussi bien par les autorités israéliennes que palestiniennes pour ses publications critiques. En août 2019, alors qu’elle était revenue en Cisjordanie fêter l’Aïd avec son fiancé (également journaliste à TRT et basé en Turquie), elle est retenue à un checkpoint israélien et apprend qu’elle est visée par une interdiction de quitter le territoire émise par les services israéliens de renseignement “pour des raisons de sécurité”. Sans liberté de mouvement, la journaliste est bloquée sur place depuis lors. Elle a décidé de continuer son travail sur place et notamment couvert en juin 2021, les manifestations antigouvernementales qui ont suivi  la mort de l’opposant Nizar Banat.

MOUSSA AKSAR (NIGER)
Au Niger, impossible de vivre d’une publication si vous faites de l’investigation. Les pressions sont aussi importantes que les annonceurs se font rares. Pour assurer la survie et l’indépendance de L’Événement, un journal qu’il a fondé en 2002, Moussa Aksar, s’occupe aussi d’une ferme. L’édition papier a cessé depuis trois ans mais le site du journal résiste et continue à informer et à enquêter malgré les menaces. Rien que sur les deux dernières années, Moussa Aksar qui préside aussi le centre Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation (CENOZO), a été auditionné huit fois par la justice. Il a finalement été condamné en juin dernier à 1 830 euros d’amende et de dommages-intérêts après avoir participé à une enquête internationale de journalisme d’investigation ayant révélé des détournements massifs d’argent public pour des achats d’armement.

ANDRAS ARATO (HONGRIE)
Il dirige la radio indépendante Klubradio, réputée pour sa critique libre et humoristique du pouvoir. Après la décision du Conseil des médias hongrois (MMHH) — jugée discriminatoire par la Commission européenne — mais confirmée par la cour suprême du pays de suspendre la licence d’exploitation de la radio pour un motif administratif banal. Klubradio est devenue une victime de plus de la politique de censure du gouvernement hongrois.

Aujourd’hui, Klubradio ne diffuse plus que sur internet et survit grâce aux dons de ses auditeurs. En tant que directeur général, Andras Arato continue de mener le combat juridique et financier pour sa radio, qui reste une des dernières sources importantes d’informations indépendantes en Hongrie.

Relations médias,

Pauline Adès-Mével

(Reporters Sans Frontières)